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Incendies de forêts, défrichements et assiettes pour les infrastructures publiques : L'environnement prend un coup sévère en Kabylie

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Par Amar Naït Messaoud

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Comme chaque été en Algérie du nord, en général, territoire sur lequel s’étend la majeure partie du tissu forestier national, et en Kabylie, particulièrement, la « fatalité » des incendies s’abat sur les massifs, brûlant sur son passage espèces forestières, oliveraies, figueraies, entre autres espèces fruitières, et ruches d’abeilles. C’est une véritable guerre contre l’économie locale, l’économie de la montagne, où chaque empan de terre, chaque arbre, chaque effort d’investissement, possède sa précieuse valeur économique, sa profondeur culturelle et sa dimension sociale, outre la dimension environnementale. Cette dernière, avant qu’elle ne soit étudiée sur les bancs de l’université représentait un capital de connaissances et de savoir-faire ancestraux, qui faisait que même l’exploitation du bois, unique moyen de chauffage servant aussi de matière pour la charpente, obéissait à des règles strictes devant consacrer le pérennité et la reproduction des massifs. Une fumée, détectée de loin, était vite étouffée par la population, avant que les services de l’État (protection civile et conservation des forêts) arrivent sur les lieux. Plus que du civisme, ce comportement et toutes les pratiques qui relèvent de la même logique, tiennent aussi d’un mode de vie, d’une stratégie d’adaptation à la nature sans laquelle aucune vie n’était possible. Cela a évolué en valeurs culturelles, vécues et défendues par les villageois de Kabylie. Ces réflexes sont, tant bien que mal, restés jusqu’à la fin des années quatre-vingt du siècle dernier. L’accès à une certaine « modernité » de mode de vie, l’abandon graduel du travail de la terre et, enfin, l’activité terroriste des années 1990, ont fini par oblitérer peu à peu les réflexes de défense et exposer la Kabylie à toutes les atteintes environnementales. La dénudation des collines et monticules par l’effet des incendies et des déboisements anarchiques font peser de grands risques sur l’équilibre de la couche superficielle du sol. Les citoyens l’apprennent chaque hiver à leurs dépens. Des coulées de boue dévalent les talus de la route nationale n°15 entre Larbâa Nath Irathen et Aïn El Hammam. Le chêne vert d’Icharidhène est d’Aït Sidi Ahmed ne passe pas une année sans subir l’épreuve du feu. Il en est de même sur la RN 5, dans la région de Lakhdaria. Les flancs dégarnis des talus laissent couler des masses de boues qui se déversent sur la route. Des maisons sont menacées aussi bien par les incendies eux-mêmes que par les conséquences qui s’ensuivent, à savoir la déstabilisation du sol (affaissements, fissuration, glissement en nappes,…). Sur le plan de la biodiversité les sites les plus florissants, les plus riches en espèces animales et végétales, subissent de terribles régressions. Le déplacement de singes magots vers les villages d’Iboudrarène, de Saharidj et de Bounouh, pour s’approvisionner en fruits et autres aliments, est un signe inquiétant de l’appauvrissement de leur biotope d’origine, à savoir les forêts de cèdre de Lalla Khedidja, Tikjda, Aït Ouabane et Tala Guilef. Une comparaison, par photos satellites prises à des dates différentes, du massif de Tikjda, donne une image épouvantable et triste de la dégradation du site en l’espace de quelques années. L’esthétique générale de la région est soumise à rude épreuve. Dans une réserve naturelle, supposée être patrimoine mondial, l’on ne manque pas d’y rencontrer des paysages lunaires qui n’ont rien à envier aux régions steppiques. Comment compte-on développer et promouvoir le tourisme dans des conditions aussi désastreuses? Le phénomène de dégradation des milieux naturel ne se limite pas à l’action du feu. La forêt d’Ath Mansour, dans la daïra de M’Chedallah a été attaquée avec des engins de travaux publics par des délinquants, défrichant des centaines d’hectares sur un site féerique comptant l’un des meilleurs peuplements de pin d’Alep du pays. L’État, avec ses différentes structures, demeure impuissant devant une telle situation. Même si l’administration des forêts a dressé des procès-verbaux, soit contre des personnes identifiées, soit contre X, l’enrôlement des affaires par la justice et l’exécution des décisions de justice demeurent souvent des vœux pieux. De même, les nouvelles infrastructures qui se réalisent actuellement en Kabylie, ou qui sont projetées dans le futur proche (autoroutes, pénétrantes, chemins de fer,…) ne manquent pas de consommer du foncier, une denrée rare et objet de grande sensibilité en Kabylie, mais aussi d’entraîner des défrichements, des dénudations du sol et sa fragilisation. On ne peut pas s’opposer au développement. Au contraire, il faut tout faire pour qu’il vienne et s’installe. Cependant, comme dans tous les pays du monde qui ont initié de tels projets, des mesures d’accompagnement et d’atténuation des risques environnementaux devraient figurer dans le devis de ces projets. Du point de vue de la politique générale du pays, cette tendance est supposée être la règle. Mais, dans la réalité il y a loin de la coupe aux lèvres. L’exemple de l’autoroute est-ouest, que pompeusement on avait dénommée au début « autoroute verte », est là pour prouver qu’un grand fossé demeure entre les intentions affichées et les pratiques déployées dur le terrain. Pour sa survie économique, sa stabilité environnementale et la permanence culturelle de ses paysages et sites, la Kabylie devra trouver en elle-même, dans l’intelligence et le dévouement de ces citoyens, le moyen de vivre la modernité sans grands dégâts.

A.N.M.

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