La société et l'État dans une même barque

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Même si l'été, avec sa chaleur et son taux d'humidité, joue encore les "prolongations&quot,; l'arrivée de l'automne est pour bientôt.

Une arrivée, comme la fait connaître souvent la culture populaire kabyle, soudaine, drue et dangereuse. « Am lahwa n lexrif » (comme une pluie d’automne), dit-on à propos de quelque chose qui déboule ou qui arrive avec force ou en grande quantité. Les averses automnales en Méditerranée sont connues depuis longtemps des climatologues et des populations. La confrontation électrique des masses nuageuses à forte amplitude thermique dès l’approche de l’équinoxe d’automne (le 21 septembre) charrie des pluies brutales, à grosses gouttes, et souvent même de la grêle. La Kabylie et le Nord d’Algérie en général connaissent bien cette situation- qui règne aussi dans l’ensemble méditerranéen- où, parfois, l’équivalent d’un mois de pluviométrie hivernale tombe en une heure en fin d’été ou début d’automne. Le sol n’ayant pas la capacité d’absorption à cette vitesse-là il fait répandre l’eau sous forme de grosses lames et de masses de torrents. Les villages kabyles, avec l’organisation qui était la leur jusqu’au début des années 1980, se préparaient en conséquence à une telle situation. Après avoir fait les provisions de bois pour l’hiver et étendu les claies de figues à sécher, les villageois procèdent au nettoyage de leurs quartiers et des toits de leurs maisons. Les tuiles qui ont accumulé les poussières d’été doivent être balayées. De même, les espaces ou petites venelles séparant les maisons et servant d’exutoire aux eaux  pluviales sont également nettoyés. Les cailloux, les pierres et les éventuels objets situés sans ces rigoles sont débarrassés. Les chemins pédestres menant aux champs sont réparés. Là où une partie du chemin a été rognée pendant l’hiver passé est censée être nivelée et réglée. Les fossés sont débarrassés de leurs détritus pour laisser l’eau couler librement. Quelle que soit l’intensité des pluies, les dégâts sont grandement réduits. Parfois, ils sont tout bonnement neutralisés.  À l’échelle des communes, l’administration algérienne a hérité de la tradition coloniale les pratiques de nettoyage en préparation de la saison automnale. Les travailleurs cantonniers dépendant du service des Ponts et Chaussées se mettent à l’ouvrage dès la deuxième moitié du mois d’août pour dégager tous les fossés obstrués par les feuilles mortes, la terre, les cailloux ou des objets domestiques. Il en est de même des ponceaux et de leurs puisards. Ils sont censés bénéficier d’une propreté sans faille. Au niveau des écoles primaires, la mairie déploie toute son énergie pour y mener les travaux de nettoyage que les ménages mènent chez eux à la maison: toiture, fossés, alentour des classes. On coupe les branches d’arbres qui risquent d’être cassées ou arrachés par les vents violents d’automne; on ramone les cheminées en préparation du froid d’hiver; on remplace les tuiles cassées ou fissurées. En tout cas, on laisse très peu de place au hasard ou aux accidents que ne manque pas de ramener la saison violente de l’automne.  Les précieuses traditions de l’organisation de la société et de l’administration ont fait imperceptiblement place, depuis un quart de siècle, à une espèce de grave relâchement sur tous les plans. L’on n’a besoin pour preuves que des incidences et des dégâts que les premières pluies de septembre ont sur les biens et les personnes. Paradoxalement, depuis que ce concept de « biens et personnes » est pris en charge par les structures spécialisées de l’État (Protection civile, services de sécurité structures de la santé…), l’on n’a pas arrêté de compter les destructions, les morts et les blessés. Une comptabilité macabre qui revient chaque année.  Outre le relâchement de la société dans certaines des actions de prévention domestique qu’elle avait l’habitude de mener, l’État, en tant qu’instance de régulation et de coercition, a enregistré un recul grave de son autorité. Il n’y a qu’à voir la manière dont sont érigés les nouveaux édifices (immeubles, villas, garages de commerce,…). Dans des quartiers où l’anarchie et l’absence d’autorité font loi, il n’y aucun respect des règles de prévention contre les inondations. Des quartiers entiers, voire des villes, sont continuellement exposés au danger des inondations à cause de la mauvaise planification en matière d’occupation de l’espace lors de la construction, et à cause également de la dénudation intensive des terrains en amont (forêts, bosquets, broussailles). D’ailleurs, phénomène nouveau, les inondations ne se limitent pas à la vieille définition de l’invasion des eaux. Elles sont actuellement, et souvent, constituées de coulée de boue qui obstruent des routes nationales et des quartiers d’habitation. Le retour aux règles élémentaires de la construction et la protection des terres contre le déboisement sont, à bien y regarder, les premiers réflexes qui devraient reprendre le dessus dans la vie en société. À cet effet, comme dans d’autres domaines de la vie quotidienne, l’on ne peut pas faire fi de l’autorité de l’État. Au contraire, il faudrait qu’elle reprenne sa place et sa mission dans tous les créneaux et domaines de la vie publique. Sans l’exercice de ses prérogatives régaliennes, l’État aura du mal à faire valoir les nouvelles méthodes de lutte contre les inondations et à exploiter les résultats des études qui sont menées actuellement dans ce sens avec le concours de l’Union Européenne.

Amar Naït Messaoud

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