Négligence fatale !

Partager

La vie humaine a-t-elle encore une valeur ? La question peut choquer, certes, mais elle interpelle à plus d’un titre.

Elle saisit d’autant plus les esprits et les consciences, dans un secteur aussi sensible que celui de la santé publique. En effet, les décès entourés de zones d’ombres sont en passe de devenir la marque de fabrique des hôpitaux de la wilaya de Bouira. Après la mort d’un ouvrier séropositif, pris en charge à l’EPH Mohamed Boudiaf, survenue le mois dernier dans des conditions plus qu’obscures, la semaine dernière, c’était « le tour » d’une parturiente, admise à l’EPH de Sour El Ghozlane, de succomber au cours de son évacuation vers le CHU de Tizi-Ouzou, dans des conditions pour le moins étranges. Le tout, dans l’indifférence quasi- générale des responsables du secteur. Sous d’autres cieux, ces anomalies à répétitions auraient coûté très cher aux responsables. Mais dans notre pays, et plus précisément à Bouira, il semble bien que c’est une véritable mafia qui gère les hôpitaux. Qui dit mafia, dit impunité mensonge et manipulation à outrance. Le décès de la jeune maman a suscité un mouvement de colère général chez les citoyens de la commune, qui n’ont pas hésité à manifester, jeudi dernier, pour dénoncer les «  négligences » du personnel paramédical et plus exactement celles des sages-femmes. Mais en fait, y a-t-il eu réellement négligences ? C’est à cette question que nous allons tenter de répondre.

Qui décide à l’EPH de Sour El Ghozlane ?

 

La défunte, répondant aux initiales K.M, âgée de 39 ans et mère de trois enfants, avait avorté de son quatrième enfant, pour des raisons qui restent encore obscures. Après cet avortement, et d’après le directeur de l’EPH de Sour El Ghozlane et certaines sages-femmes, la parturiente se serait présentée au niveau de leur établissement le dimanche 7 septembre vers 15h. D’après nos interlocuteurs, cette femme s’était faite avorter au moins 24 heures avant son admission, puisque selon le responsable de l’EPH de Sour El Ghozlane, son col de l’utérus s’était déjà refermé signe que l’avortement avait eu lieu au moins 24H avant. Par la suite, ce même directeur nous a assuré que cette femme « a été admise dans notre établissement le 7 septembre dernier. Le fœtus était déjà mort. Par la suite, nous avons procédé dans la même journée à son hospitalisation afin de lui prodiguer les premiers soins et faire une opération de curetage. Le lendemain, elle a été évacuée vers l’hôpital de Bouira. Faute de gynécologues à l’EPH de Bouira, elle a été réorientée vers l’EPH de M’Chedallah ». Le directeur de l’EPH nous avait certifié en préséance des sages-femmes qu’entre l’admission et l’évacuation vers l’EPH de Bouira, il s’était écoulé 17 heures, pas une de plus. Cependant, cette version est contredite par d’autres sources crédibles qui affirment que la défunte avait passé plus de 17 heures à l’hôpital de Sour El Ghozlane. Ainsi et selon nos informations (rapports médicaux à l’appui), la victime avait été gardée 36h au niveau de l’EPH de Sour El Ghozlane. Elle n’avait pas été admise le 7, mais le samedi 6 septembre. De plus, et toujours d’après les éléments d’information en notre possession, cet EPH n’avait pas au moment des faits un gynécologue de garde. Mais ce dernier est installé dans la même commune, il aurait pu être appelé à la rescousse. Déjà première négligence. Seconde négligence et non des moindres, l’évacuation de la femme aurait pu se faire dans la soirée du 06 septembre. Pourquoi a-t-on décidé de la garder jusqu’à la matinée du 08 septembre ? Autre interrogation qui mérite d’être posée : A qui incombait la tâche de prendre une telle décision ? Toujours d’après des sources sûres, ce sont les sages-femmes officiant au niveau de cet EPH qui avaient décidé de la garder, tout en sachant qu’elles ne pouvaient absolument rien faire pour lui venir en aide. Cette décision vitale ne devait absolument pas être prise par de simples sages-femmes, qui n’ont aucune prérogative décisionnelle. C’est du ressort exclusif du directeur de l’EPH. Ce dernier ne savait-il pas ce qui se tramait dans ses services ? Dans ce cas, le poste qu’il occupe devrait lui être retiré car ses compétences en matière de gestion seraient durement remises en cause. Toutefois, nos sources affirment que le directeur de l’EPH ne pouvait pas ne pas être au courant des agissements des sages-femmes. Dans ce cas de figure, c’est une complicité manifeste. Cette thèse de collusion entre le directeur de l’EPH et ses sages-femmes est accréditée par la pseudo-manifestation des sages-femmes organisée dimanche (lire notre édition d’hier), afin de dénoncer des « accusation mensongères ». Etrangement, le directeur de l’EPH n’avait eu aucun mal à dissuader les protestataires de regagner leur poste. C’est du moins ce qui nous a été donné de constater lors de notre présence sur les lieux. En fait, c’était uniquement pour «  amuser la galerie » et adopter une posture de victime.

 

S’il y avait eu un gynécologue…

 

Une fois « délivrée » de l’hôpital de Sour El Ghozlane, la parturiente a été évacuée vers l’EPH de Bouira, le lundi 8 septembre à 10h15, afin d’y subir une opération de curetage.  Selon un rapport médical, que nous avons pu consulter, la défunte était arrivée « consciente et  ne souffrant d’aucun mal ». Là c’est une autre carence qui resurgit, à savoir le manque de gynécologues. Comment peut-on expliquer qu’un établissement hospitalier comme celui du chef-lieu de la wilaya puisse rester sans le moindre gynécologue, toute une journée, tout en sachant que cet EPH dispose de six gynécologues ? L’explication qui nous a été donnée par les responsables de cet hôpital réside dans le fait que les 06 médecins spécialistes n’ont pas de logements d’astreinte et qu’ils doivent faire la navette entre Alger et Bouira. Et ce jour-là aucun gynécologue n’était de garde. Pourquoi ne pas leur imposer une présence quotidienne ? Et bien, d’après les mêmes responsables, l’administration ne peut prendre « le risque » de les forcer à travailler chaque jour, et ne pas leur fournir un toit décent. Auquel cas, ces «gynécos», durement obtenus, pourraient prendre leurs valises et « s’envoler » pour des cieux plus accueillants. Pour en revenir à la défunte, les services de l’EPH de Bouira ont (document à l’appui) appliqué la circulaire N°7, laquelle stipule que le médecin avant de réorienter un patient vers n’importe quel hôpital, doit s’assurer que le spécialiste concerné s’y trouve. Chose qui a été faite, puisque le médecin qui a examiné la malade avait pris le soin de contacter l’EPH de M’Chedallah, qui disposait d’un gynécologue et d’un médecin réanimateur. Sur place, le médecin réanimateur avait remarqué que la victime avait perdu beaucoup de sang lors de son séjour à l’EPH de Sour El Ghozlane. Car selon des sources à l’hôpital de M’Chedallah, son taux d’hémoglobine était de 4g/dl, alors qu’il devait être entre 12 et 16g/dl. D’ailleurs, selon les mêmes sources, la patiente a « trop traîné » dans les hôpitaux ou pour être plus précis, dans l’EPH de Sour El Ghozlane, car rappelons-le, elle n’a fait que transiter à l’EPH de Bouira. Une fois l’opération de curetage effectuée (l’après-midi) avec succès, des saignements assez abondants  ont pris tout le monde de court vers 22h, dans la soirée de lundi 8 septembre. Au cours de son évacuation vers le CHU de Tizi-Ouzou, la dénommée K.M  décédera des suites de son hémorragie, dans la nuit du lundi 8 à mardi 9 septembre. A travers ce qui a été relaté et on prenant compte de chronologie des faits, il est plus qu’aisé de déduire qu’il y a bel et bien eu négligence. Celle-ci a été commise au niveau de l’EPH de Sour El Ghozlane. S’il n’y avait pas eu autant de retard (48h), entre son admission à l’EPH de Sour El Ghozlane et son évacuation vers l’EPH de M’Chedallah, cette femme aurait pu être sauvée.

Ramdane Bourahla

Partager