Violences sociales et toxicomanie en débat

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L’auditorium du centre hospitalo-universitaire Nedir Mohamed de Tizi-Ouzou a abrité avant-hier, les travaux de la 14ème Journée nationale de psychiatrie sous le thème «Violences sociales et toxicomanie». Plusieurs communications étaient au programme de cette journée, dont une dès plus pertinentes, fruit d’une étude réalisée par les Dr S. Zeggane, S. Seklaoui, A. Messaoudi, le Pr A. Ziri et l’EHS Oued Aïssi de Tizi-Ouzou, animée par le Dr S. Zeggane, intitulée : «L’immolation, violence auto infligée en réponse à une violence subie». Selon l’orateur, le phénomène de l’auto-immolation est une conduite connue depuis fort longtemps dans des rituels religieux. «En plus du sacrifice chez les moines tibétains, les annales de l’histoire renferment des récits de femmes hindoues résolues à quitter le monde des vivants pour suivre dans l’au-delà leurs époux», dira-t-il. Par ailleurs, poursuivra le Dr Zeggane, «ces dernières années, elle s’est transformée en une manière de revendication sociale et un geste de désespoir face à des difficultés socioéconomiques sources de détresse psychologique». Il s’agit là dira le psychiatre, «d’une violence dirigée contre soi pour dénoncer des conditions de vie faites de violence insurmontable qui n’est pas spécifique à une région ou à un groupe social donné». L’orateur expliquera : «l’immolation par le feu est une conduite qui peut survenir chez tous les sujets confrontés à un passage difficile qui déborde sur leurs capacités d’adaptation. Se brûler est un moyen d’interpeller les pouvoirs publics sur le désir de vivre dignement». En Algérie, dira-t-il, « des  individus désespérés se transforment en torches humaines pour crier leur désarroi dans une société qui semble faire la sourde oreille à leurs souffrances. L’immolation, comme toutes conduites dites pathologiques, parfois appelées également, de façon atténuée, conduites à risque, a pour particularité de concerner les jeunes générations en Algérie». L’orateur soulèvera la difficulté des spécialistes à définir ce passage à l’acte qui se déroule généralement en public, en présence de témoins, à côté de bâtiments officiels dans 9 cas sur 10 : «Les immolations se déroulent sur la place publique, en ciblant le plus souvent un bâtiment officiel (siège d’APC, daïra, wilaya, commissariat, direction de l’emploi, tribunal ou quelque autre institution». Parfois filmées et postées sur Youtube et face book, dans le but de «ratisser large et interpeller tout le monde», pas pour se donner la mort, mais revendiquer des droits sociaux et une vie meilleure, «difficile de savoir si l’intention est suicidaire ou a une valeur de revendication ou de punition du système sociopolitique !», avancera le Dr Zeggane. «Après les Harraga, voici donc venu le cycle des grands brûlés de la vie», dira le psychiatre. «On est passé de l’eau au feu, et l’expression de la détresse sociale est ainsi montée d’un cran ! Le psychiatre se trouve confronté à une tâche ardue de compréhension, d’explication et de soins à la victime bien qu’il ne soit pas le seul interpellé ce phénomène complexe nécessite des approches multiple tant son déterminisme et sa prise en charge nécessitent des approches psychologique sociologique et politique», expliquera le communicant. «Face à des conditions socioéconomiques difficiles, voire asphyxiantes, que le patient perçoit comme une violence infligée par le système social et politique, il utilise ce procédé en s’infligeant une douleur insupportable à valeur, à la fois, sacrificielle, culpabilisante, revendicative et non sans une volonté de revanche», dira l’orateur qui ne manquera pas de noter que « les immolations sont devenues un instrument de chantage, de négociation ou de pression, c’est selon, et tendent à s’ériger en moyen de revendication sociale». Des données internationales rapportées dans cette présentation, révèlent que ce procédé suicidaire représente 1% de l’ensemble des moyens utilisés pour des fins d’autolyse. De 1987 à 2012, le service des grands brûlés de Douéra a enregistré 92 cas d’immolation par le feu avec une moyenne d’âge de 28 ans, 73% sont de sexe masculin. 13% des cas ont des antécédents psychiatriques. Ce phénomène a dû franchir aisément la barre des 100 victimes quand on sait que le service des grands brûlés du CHU d’Oran a enregistré à lui seul 45 tentatives d’immolation, dont 43 ont succombé à leurs brûlures. Le premier cas enregistré en Algérie est un entrepreneur de 40 ans, établi à Djelfa, qui s’est immolé par le feu, le 18 mai 2004, devant la Maison de la presse, à Alger, pour protester contre la saisie de ses biens par la justice. Le 29 octobre 2009, c’est toute une famille qui s’asperge d’essence à l’APC de Chlef suite à la démolition de sa construction jugée illicite. En 2011, 32 personnes sont décédées par immolation par le feu (Congrès de la SFAP. Oran). Le processus de l’immolation, selon le communicant, passe par le sentiment d’être négligé marginalisé personne ne veut entendre parler de ses problèmes ni même trouver une solution à cette impasse insurmontable et à l’épuisement des mécanises d’adaptation. Une réaction violente, un «ras-le-bol» généré par le cumul de stresseurs sociaux conduisant à un débordement émotionnel et à une colère dévastatrice. Fragilité et susceptibilité à affronter les frustrations psychologiques de différentes origines, qui peuvent révéler une fragilité psychologique sous-jacente. On relève quelques symptômes du registre affectif (tristesse, colère) et une anxiété importante. En conclusion, l’orateur dira : «Devant cette triste situation de déliquescence du lien social dans tous ses volets, le traitement de la souffrance psychique et matérielle des individus doit être pris en compte, afin d’enrayer le phénomène de l’immolation».

Karima Talis

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