Les charlatans ont pignon sur rue

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Cartes de visites, encarts publicitaires, affiches… bref tout l’arsenal de promotion de ces activités, pour la plupart clandestines, est mobilisé par des guérisseurs qui ont dans la majorité des cas pignon sur rue à Tizi Ouzou.

Les détresses financières, sentimentales, familiales, mentales et sexuelles poussent à croire en ces sornettes et par conséquent mordent à l’appât de ces marchands de poudre perlimpinpin et autres incantations. Quand vous pénétrez dans le «cabinet» du raqi, vous êtes accueilli par des rayons achalandés de boîtes d’herbes, ce qui montre que vous avez affaire à un herboriste pas à un guérisseur et lorsque apparaît l’intéressé en blouse banche immaculée, vous découvrez l’homme qui a entre ses mains votre «guérison». Si vous avez pris la précaution de prendre un rendez-vous, vous êtes admis à attendre votre tour parmi de nombreux consultantes et consultants. Sinon vous êtes prié de téléphoner au préalable pour obtenir un rendez-vous. Nous remarquons que les femmes sont plus nombreuses que les hommes. Elles devisent sur les pouvoirs exorbitants du raqi. Une fois dans la salle de consultation, nous sommes soumis à un interrogatoire en règle : comment avez-vous obtenu l’adresse du cabinet, quel est l’objet de votre visite, que savez- vous sur moi, et tout un tas de questions tantôt claires, tantôt confuses. Certainement pour s’assurer qu’il n’a pas affaire à un curieux aux mauvaises intentions, pouvant nuire à son fructueux négoce. Rassuré il s’est mis à nous interroger sur la «pathologie» motivant le recours à ses services. Nous avions évoqué les récurrentes céphalées auxquelles nous sommes soumis au quotidien, nous empêchant de travailler et de vaquer à nos occupations les plus anodines. Là le diagnostic du praticien tombe comme une sentence : vous êtes ensorcelés et il vous faut plusieurs séances de désenvoutement. La première aura lieu jeudi. Cependant, il nous prescrit d’observer un rituel réglé comme du papier à musique. D’abord de nous oindre le corps avec une mixture ocre et de faire fondre un talisman dans 5 litres d’eau que nous devons boire tous les jours en attendant le jour du prochain rendez-vous. Une visite qui n’aura duré que 3 minutes et qui nous aura coûté 1 500 da. Nous nous éclipsons après avoir payé notre consultation sans demander notre reste.

Des statistiques ahurissantes

Le phénomène des guérisseurs et des consultants, forcément l’un ne va pas sans l’autre, qui  semble toucher sans distinction toutes les classes sociales, a fait l’objet d’une rencontre organisée, le 13 mars 2005, par le centre culturel islamique de Constantine où des études présentées par des sociologues ont révélé des vérités ahurissantes. Selon le docteur Ahmed Zerdoumi de l’université de Constantine, des statistiques effectuées par les spécialistes avancent le chiffre d’un charlatan pour 5 000 habitants en Algérie, alors qu’il existe entre 15 à 20 000 «praticiens», sans compter un million d’individus qui exercent dans le domaine sous différentes formes. Les adeptes de la sorcellerie, qui usent de tous les moyens pour tromper leurs clients, profitent généralement de leur crédulité bénéficiant d’une propagande gratuite au sein de la société notamment dans les fêtes de mariage. Parmi les types de sorcellerie les plus répandus en Algérie, figure au premier rang le recours aux effets des plantes médicinales, des minéraux et des organes d’animaux. Parmi les clients recensés et dont on trouve même des universitaires, on compte 70% de femmes, alors que parmi les hommes, plus de la moitié sont des jeunes âgés entre 20 et 35 ans. Si les raisons qui poussent ces gens à recourir aux services d’un sorcier ou d’un raqi sont connues par le commun des mortels, les conditions socioéconomiques sont souvent les plus incriminées. Et pas seulement, il existe parmi les consultant des gens aisés. Selon l’avis d’un juriste, les pratiques des sorciers et des charlatans sont qualifiées d’actes d’escroquerie par la loi. L’article 372 du code pénal prévoit une peine pouvant aller de 6 mois à cinq ans d’emprisonnement. En cas de décès suite à la consommation d’un produit quelconque décrit ou vendu par le guérisseur, l’acte est qualifié comme homicide involontaire. En cas de conséquences graves, les mis en causes pourront même perdre leurs droits civiques et politiques en vertu des articles 8 et 14 du code pénal.

Que dit la religion à ce propos ?

Le devoir des hommes de religion est de mettre en garde la société contre le charlatanisme. Leur rôle dans la sensibilisation contre ce fléau est essentiel. Ils sont les seuls à pouvoir influer positivement sur ces milliers d’Algériens et d’Algériennes qui, par ignorance, demeurent attachés aux pratiques de ces imposteurs qui prétendent détenir le pouvoir de guérison et la science de l’avenir (ghayb). Pourtant, le Coran ne pouvait être plus clair sur cette question largement traitée dans la (sourate an-Naml, verset 65) : «Ne sait les choses de l’avenir et ce qui est caché dans les cieux et la terre qu’Allah». Poussant l’outrecuidance plus loin encore, beaucoup de charlatans n’hésitent pas, pour plus d’emprise et d’influence, à réciter, lors de leurs séances d’imposture, des versets coraniques afin de mettre leurs clients en confiance et accentuer leur confusion. Mais le Coran ne peut se conjuguer à la magie. «Celui qui vient auprès d’un devin ou d’un charlatan et croit en ce qu’il dit sera devenu mécréant en ce qui a été révélé à Mohammed (QSSL)». En effet, il aura cru ainsi que ce charlatan a la connaissance des choses cachées. Le danger de ces gens n’est plus à démontrer. Leurs préparations «magiques» censées guérir toutes les maladies ou porter chance aux personnes désespérées n’est qu’illusoire. Outre le préjudice financier, moral et physique, ces charlatans abusent de la naïveté des citoyens en les entraînant dans les grands péchés. Sur la magie et le charlatanisme, Allah dit : «Craignez un jour dans lequel vous reviendrez pour le Jugement d’Allah, ensuite chaque âme recevra la rétribution de ce qu’elle aura acquis et nul ne subira d’injustice». Indubitablement la sorcellerie est un acte de mécréance, et celui qui la pratique, comme celui qui la demande chez un sorcier sont mécréants, même si le péché du sorcier est beaucoup plus grand, et leurs prières, actes de dévotion et attestation de foi, sont nuls jusqu’à ce qu’ils se repentent sincèrement ; on ne peut se marier avec une telle personne, ni l’enterrer avec les musulmans ; la loi islamique condamne le sorcier à la peine de mort. Il y a aussi des gens qui recourent aux sorciers par ignorance ou parce qu’ils ne trouvent pas de solution à leurs problèmes ; la règle est que l’ignorance des obligations n’est pas une excuse (..) La sorcellerie a-t-elle un effet réel ? Absolument. Ce n’est que par la permission d’Allah, mais Allah a permis que ce soit ainsi. Il suffit de considérer ce verset :«Ils apprennent auprès d’eux ce qui sème la désunion entre l’homme et son épouse. Or, ils ne sont capables de nuire à personne qu’avec la permission d’Allah ..» sourate El baqara, 2/102. En conclusion, ces guérisseurs doivent être combattus aussi bien par les sciences rationnelles, par les notions spirituelles que par la force de la loi, étant donné qu’il y a eu mort d’hommes, plusieurs cas de mutilation et tant d’autres maux aux conséquences fâcheuses pour le consultant et ses proches. «Une mauvaise pratique de la Roqia peut entraîner la mort par intoxication à l’eau, si le patient n’est pas pris en charge immédiatement, a mis en garde, mercredi, le Dr Lamine Redouane Mekacher, pharmacien assistant en toxicologie au CHU de Tizi-Ouzou. Ce spécialiste, qui a présenté une communication intitulée « Mauvaise pratique d’une Roqia religieuse et intoxication à l’eau : une pathologie évitable », dans le cadre des Troisièmes journées nationales de pharmacie tenues le 25 novembre 2014 au CHUTO, a expliqué que ce type de traitement basé sur la récitation de versets coraniques sur une eau destinée à être bue par le malade, peut être fatale à ce derniers si la quantité de liquide ingurgitée n’est pas maîtrisée par le « guérisseur ». « Ces pratiques qui sont censées apporter guérison ne sont pas sans dangers », a-t-il insisté. Donc, tout le monde est averti, tant consultants que « raqis » et même les pouvoirs publics, sur la dangerosité pour la santé publique des ces pratiques charlatanesques.

S. Ait Hamouda 

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