Le sens du compromis

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Le dernier mouvement dans le corps des walis, dans la majorité des départements du pays, a ramené ce que la presse appelle le "premier magistrat de la wilaya" pour Tizi-Ouzou, en la personne de Brahim Mered, et pour Bejaïa, en la personne de Ould Salah Zitouni. La wilaya de Bouira, quant à elle, continuera à être dirigée par Nacer Maâskri. À Boumerdès, c'est Mme Nouria Yamina Zerhouni qui conduira l'exécutif de wilaya.

Les changements qui interviennent dans les postes de walis seraient appréhendés, sans doute, avec moins d’intérêt et moins de médiatisation, si notre pays avait bénéficié d’un système politique décentralisé sur le plan institutionnel et sur le plan des missions des différents démembrements de l’Etat. Le fait est que le jacobinisme, dont on se plaint à l’échelle macro-administrative, impliquant le fonctionnement des ministères et des hautes institutions de l’Etat, est malheureusement reconduit dans les segments intermédiaires et dans les structures de base. En résumé le schéma de l’hypercentralisation du pays se décline d’abord, dans l’itinéraire du processus de prise de décisions, qui prend un sens descendant, sans possibilité d’être remodelé adapté ou corrigé en cours de route, jusqu’à la structure la plus basse de la pyramide. Ensuite, ce schéma déroule sa « saga » dans la nature même des structures, auxquelles revient le dernier mot dans la prise de décisions, faisant sur les structures administratives, ont toujours un ascendant sur les structures élues.

Ce double problème, que le pays traîne depuis le début de l’Indépendance, a été abordé analysé et critiqué par des experts en économie, en sociologie et en aménagement du territoire. Il répond à une logique de monopôle politique. Cependant, avec un territoire aussi grand que l’Algérie, avec une population de 40 millions d’habitants et avec, aussi, la prise de conscience graduelle de la jeunesse algérienne, laquelle ose de plus en plus réclamer ses droits à l’emploi, à un cadre de vie sain, à la culture et à une organisation autonome, le schéma de l’organisation jacobine de l’Etat bute, chaque jour, sur ses limites objectives. Les symptômes sont, chaque jour, visibles sur le terrain. Des tensions insupportables pèsent sur les APC; chaque semaine, des sièges de mairies ou de daïras sont fermés par les citoyens en colère contre la médiocrité ou carrément l’absence de services publics; pour les mêmes raisons, des routes nationales sont barricadées par les jeunes en pleine saison estivale; les prisons pullulent d’élus ayant trempé dans des affaires de concussion et de détournement de l’argent public,…etc. Le résultat des courses, c’est que les franges les plus fragiles de la population sont malmenées et le contrat de confiance entre les citoyens et les responsables élus ou administratifs devient une chimère ou une simple vue de l’esprit.

Les limites du wali « superman »

Au vu du rôle central que l’Etat algérien assigne à la fonction de wali, tout le monde- populations, partis, associations, élus, presse,…etc.-, se montre concerné par les changements qui s’opèrent dans ces corps. Tout le monde veut savoir qui est le nouveau wali désigné pour nos wilayas. Les pages facebook vont plus loin, en déclinant ou en réclamant les CV des nouveaux chefs d’exécutif de wilaya. Les textes de loi, ainsi que la vision des administrés font, tous les deux, du wali une sorte de « superman ». Il est le « redresseur de torts », le mur des lamentations des citoyens oubliés ou méprisés par les responsables locaux. Il est l’ordonnateur principal du budget d’équipement de l’Etat, avec une myriade d’opérations que tient dans ses comptes l’irremplaçable DPSB (directeur de la planification et suivi budgétaire) et que le trésorier fait défiler, lors des réunions d’exécutif, en termes de taux de consommation de crédit. Sur la base de l’avancement de ce dernier, les directeurs d’exécutif sont loués ou blâmés.

Le wali délègue le secrétaire général pour présider la commission des marchés publics de la wilaya. Des centaines de dossiers atterrissent sur le bureau du responsable des marchés. Il doit les programmer pour les séances plénières, en leur désignant des rapporteurs parmi les directions de l’exécutif. Le nombre excessif de marchés et cahiers de charges qu’il faudra faire passer- particulièrement depuis le lancement des trois derniers quinquennats-, les quelques « flous artistiques » qui parsèment le code des marchés publics (amendé plus de cinq fois en dix ans, et dont une autre mouture a été présentée au dernier Conseil des ministres), la faiblesse de certains bureaux d’études, et d’autres facteurs objectifs et subjectifs transforment les séances de la commission des marchés en véritable cacophonie.

Des spécificités à pendre en compte

Dans le cas des walis qui sont appelés à travailler en Kabylie, et outre les problèmes communs à toutes les wilayas du pays, leurs prédécesseurs leur ont assurément transmis le message des spécificités de la région, aussi bien sur le plan physique (difficultés de relief, donc de la disponibilité du foncier et du coût de réalisation des infrastructures et équipements publics) que sur le plan de la sociologie locale, faisant que les populations de la région sont animées du désir d’équité de participation à la prise de décision et d’une certaine autonomie individuelle. Nous savons que les textes législatifs algériens réservent peu de place à l’initiative citoyenne et continuent à faire valoir l’inamovible pyramide administrative, y compris après la dernière création des huit wilayas déléguées au Sud du pays. Face à ces verrous législatifs, le premier magistrat de la wilaya, est appelé à user de son entregent, de son panache, de son sens des responsabilités, de sa vision prospective pour trouver des compromis entre la loi, froide et figée, et les aspirations des populations au développement et à un meilleur cadre de vie.

Amar Naït Messaoud

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