Les lieux de l'authenticité auressienne

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L’Algérie ne connaît de tourisme que l’anarchie régnant sur les plages, d’où l’autorité de l’Etat est évacuée par les jeunes armés de bâtons et parfois de couteaux. On est soumis à la loi de la jungle, avec, en prime, le décor et le cadre de vie qui laissent à désirer. Des dizaines de milliers d’estivants ont investi les plages depuis la fin du Ramadhan, mais sans qu’une politique claire en la matière soit établie.

Tout ce qui a été dit par les autorités avant le mois de juin, sur la gratuité des plages et autres avantages accordés aux estivants, n’est que parole en l’air. L’autre saison, qui commence en décembre au Sud du pays, est malheureusement plombée par plusieurs aléas dont le volet sécuritaire demeure la plus prégnant, avec l’incertitude qui pèse sur les frontières. Le nombre de touristes étrangers qui se rendent sous ces latitudes, pour passer les réveillons de Noël et de la Saint-Sylvestre s’est réduit comme peau de chagrin au cours de ces cinq dernières années.

Ce qui a jeté dans le chômage tous ceux qui travaillaient dans les dizaines d’agences de voyage implantées un peu partout dans les wilayas du grand Sud. Hormis ces deux facettes figées et mal prises en charge, tout ce qui se vit ailleurs comme tourisme de montagne, tourisme paysager et rural, demeure une notion quasi obscure en Algérie. Tikjda, Tala Guilef, Azrou n’Thor, Ti n’Jaâboub, le Musée de l’eau de Toudja, Tababort (sommet de plus 2 200 m entre Jijel et Sétif), sont encore, bien que leur nom soit répandu dans la presse et même à la télévision, des lieux presque vierges, qui n’ont reçu aucun aménagement.

Pour certains de ces lieux, il n’y a même pas de route en bonne et due forme. Les projets de zones d’expansion touristique traînent en longueur, butent sur des obstacles bureaucratiques et changent d’orientation avec la noria de ministres qui ont présidé au destin de ce secteur au cours de ces dernières années. À l’intérieur du pays profond, sur des espaces qui ne relèvent ni de la côte ni des sables du Sud, existent des endroits magnifiques, encore vierges, pleins de discrétion et de beauté féérique, où le visiteur est envoûté par le silence de la terre, le galbe des collines, la déclivité des falaises, l’effilement des pics, la vastitude des pénéplaines, le fil discret de l’eau dans les ruisseaux, les traces imperceptibles de l’homme. Nous y sommes. Nous voguons aujourd’hui dans les Aurès. Pour cette pérégrination, nous proposons au lecteur ce texte extrait de notes de voyages que nous avons établies il y a dix ans.

Arris, Ghoufi et le refuge de la Kahina

Arris est une agglomération moyenne de la wilaya de Batna d’environ quarante mille habitants ; une ancienne commune mixte du temps de la colonisation. Son territoire couvre la partie ouverte de la vallée à 1200 m d’altitude, au pied du mont Taguechrirt (1901 m). Depuis la plus haute antiquité l’habitat s’est stabilisé dans la région d’Arris ; c’est pourquoi, une certaine harmonie de l’activité agricole, jouant sur l’association des céréales, du maraîchage, de l’arboriculture et l’élevage est fortement établie. L’urbanisation, rampante, sur la plus grande partie des Aurès, n’a pas encore détruit l’ancienne typologie de la construction propre au monde rural.

Les chèvres et les moutons des bourgades limitrophes (M’zata, Bouseda, El Hamra, Tagrout Igrassirène,…) se rencontrent sur les rives du cours d’eau principal ou bien sur l’Oued El Anza, au pied de la lame rocheuse de Zellatou. La vallée se rétrécit au fur et à mesure que l’on perd de l’altitude jusqu’aux légendaires gorges de Tighanimne qui sont excavées par la nature à 870 m d’altitude depuis l’ère tertiaire. Tout au long du défilé long et étroit qui prend parfois l’aspect d’un véritable canyon, des hameaux et des masures sont incrustés dans les parois rocheuses sous formes de repaires.

On rencontre parfois des chaumières et des maisons suspendues aux sommets des crêtes comme on en rencontre très souvent en Haute Kabylie. Il en est ainsi de Tabahalit, Ghiuffi, Ouled Mansour, Ouled Mimoun, villages qui, à partir de leurs hautes murailles, dominent les premières percées du Sahara septentrional. L’état des routes et des pistes, l’aspect délabré et vétustes de beaucoup de demeures nous renseignent quelque peu sur le degré de développement de la région qui reste en deçà des espérances nées de la guerre de Libération. «Malgré la beauté et le charme incontestables, se lamente un enseignant, l’on ne peut pas vivre seulement d’amour et d’eau fraîche. Une véritable politique de désenclavement s’impose avec un soutien aux vergers familiaux.

Après l’agriculture et l’hydraulique, ajoute notre interlocuteur, les pouvoirs publics doivent promouvoir le tourisme. Sachez que c’est un secteur en jachère qui n’a bénéficié d’aucune infrastructure, et vous constaterez par vos propres yeux les sites magnifiques de l’Oued Labiodh. Il faut être aveugle pour ne pas se rendre compte de cette réalité». Travaillant à Arris, notre compagnon ne cesse de parler comme un poète amoureux des falaises, des galets et des eaux cristallines de la rivière. Mais, il s’inquiète sérieusement du chômage qui pèse sur la majorité des jeunes et des taux de déperdition scolaire dans les campagnes. Qui a dit que le trafic et la consommation de stupéfiants sont l’apanage des grandes villes et des zones frontalières ? La drogue a acquis ‘’droit de cité’’ dans certaines zones très reculées des Aurès et certains bergers servent même d’intermédiaires très actifs.

Des villages et hameaux situés près de Ghassira (Ouled Abed, Messaouda, Tiffelfel, Rounda, Taghit, T’Kout, …) ont commencé à s’organiser au début des années 2000 en associations s’inspirant du Mouvement citoyen de Kabylie pour revendiquer leurs droits sociaux, économiques et culturels. Avancés dans notre itinéraire, nous sommes déjà loin de la ville de Batna, située exactement à 94 km d’ici. Et ce sont les fameux balcons du Ghouffi qui nous interpellent de toute leur force aimantée. Sur ce balcon, véritable belvédère, nous dominons du regard le lit de l’Oued Labiodh dont l’eau serpente au fond d’une gorge. Les rives immédiates de l’oued sont garnies de palmeraies et de jardins auxquels s’ajoutent l’armoise, les touffes d’alfa et d’autres plantes ligneuses très variées.

Sur les falaises, nous apercevons des grottes karstiques à plusieurs endroits et qui, nous apprend-on, étaient habitées jusqu’à un passé récent par les hommes. Sur presque 30 km, l’Oued Labiodh reste profondément encaissé allant de défilé en défilé. Il passe par Banian, Takroumt Aouana, atterrit à M’Chounèche, s’élargit à El Hable et, enfin, alimente le barrage de Foum Kherza, sis à 20 km à l’Est de Biskra. Un affluent de l’Oued Labiodh, la rivière Chenaouara, abrite lui aussi des beautés mystérieuses et picaresques qui ne manquent pas de merveilleusement intriguer le visiteur. La vallée de Chenaoura prend naissance à Ras Berdoun (1981 m) et draine les villages de Boucetta, Hembla, Chenaoura, El Ksar et T’Kout.

Ce dernier est réputé pour ses jardins aménagés et cultivés en sous-étages à l’ombre des palmiers. Une route venant de Ghassira passe par T’Kout et monte au col de Ferhous, puis descend dans la vallée de l’Oued Tadjemoul. Ici, on rencontre une immense grotte qui s’ouvre sur la façade d’une falaise : il s’agit du refuge de la Kahina, l’indomptable reine berbère. Ce refuge est suspendu à 800 m d’altitude et est surplombé par les monts Mezbel (1566 m) et Taktioutt (1931 m), le tout faisant partie de la gigantesque façade d’Ahmar Khaddou.

Amar Naït Messaoud

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