Tigrine ou le voyage dans le temps !

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La société kabyle effectuait, jadis, des travaux en tous genres, pour le moins herculéens, en dépit du manque de moyens.

À ces époques lointaines, il n’y avait ni entreprises, ni bureaux d’études, ni engins,…mais seulement la volonté des hommes avec, en sus, des moyens rudimentaires. Pour vérifier cela, il faut se rendre dans ces rares villages, où les maisons traditionnelles, construites à la pierre sèche et cimentées avec le torchis, résistent encore au temps et à la bêtise humaine. Faut-il voir, aussi, les champs, où il existe encore ces traces de travaux champêtres pour le moins renversants! Nos aïeux nous ont légués tout un mode de vie génial que nous devrions sauvegarder coûte que coûte. Le village de Tigrine, dans la commune de Boudjellil, à 100 Kms de Béjaïa, et perché à 600 mètres d’altitude, garde encore des dizaines de maisons artisanales presque intactes les unes que les autres. Si vous vous rendiez un jour dans ce beau village au panorama à couper le souffle, et que vous empruntiez ses étroites ruelles, vous auriez l’impression de faire un voyage dans le temps, tellement à chaque coin, il y a une habitation de style architectural typiquement kabyle qui se déclinera à vous. Même si elles sont inhabitées pour la majorité vous auriez cette impression de voir des ombres qui passent furtivement! Cet ancien village, habité par près de 200 habitants seulement, démontre une maîtrise exceptionnelle et incroyable de la construction en lieux pentus et difficiles d’accès. Comment de simples bâtisseurs Kabyles qui n’ont jamais connu l’école, ont érigé des maisons à la pierre sèche aux abords de précipices vertigineux, et ce, sans études préalables, sans plans, ni matériels nécessaires? Ces vieilles bâtisses -ou à vrai dire ce patrimoine matériel- ont, pour les plus « jeunes » d’entre elles, au moins 2 siècle d’existence! À ces époques lointaines, il n’y avait ni école, ni bureau d’architecture, mais de simples villageois qui vivaient du travail de la terre et de l’élevage. Ce village fut peuplé avant de connaître un exode massif intervenu durant la guerre de libération, et qui reprit dans les années 1970/1980, où des dizaines de familles l’ont quitté pour aller vivre dans les grandes villes comme Alger, Constantine et Oran.

« Afeniq », le mythique coffre de Tabouaânant!

La boiserie utilisée dans ces maisons artisanales tient encore, et peut résister encore pour d’autres siècles. Les portes sont imposantes et munies d’un système de fermeture typiquement kabyle. Elles étaient fabriquées par des ébénistes du village voisin de Tabouaânant, à la demande. Elles sont ensuite transportées en pièces à dos de mulet vers le village de Tigrine, entre autres, pour être assemblées et installées. Elles sont tellement imposantes et bien travaillées qu’on croirait qu’elles sont fabriquées à notre époque actuelle dans des ateliers de menuiserie ! Le village de Tabouaânant était connu pour la fabrication de la boiserie (portes et fenêtres) ainsi que des coffres appelés communément Ifeniqen (Afeniq pour le singulier). Ces coffres vont du petit au grand modèle. Ils peuvent atteindre 1 mètre de hauteur et 3 mètres de long, c’étaient de véritables meubles de géants, où sont mis les habits, les couvertures (ihembel) et autres provisions ! La société kabyle de jadis, c’était comme une fourmilière; tout le monde bossait! Chacun apporte sa propre pierre à l’édification du village. Il y avait un code d’honneur que personne n’osait transgresser sous peine de châtiments « fiduciaires » ou de bannissement du village! De véritables travaux de fourmis ont été effectués par des gens qui n’ont d’autres moyens que leur volonté et leur union. Ils ont ouvert des centaines de kilomètres de sentiers ou de muletiers à travers monts et vaux. À Tigrine, ces voies artisanales aménagées dans des flancs abrupts des montagnes qui parcourent cette localité nous ont laissé ébahis! Il y a un sentier ouvert probablement depuis des siècles, et qui va du village jusqu’à la source d’eau douce en aval du village sur une déclivité en continu.

Sidi Messaoud, le saint tutélaire oublié!

Ce sentier ne s’arrête pas là il va au-delà de cette source jusqu’au lieu-dit Metchik, sur une dizaine de kilomètres, où le mausolée de Sidi Messaoud trône sur une petite colline au beau milieu d’une pineraie. Beaucoup a été raconté au sujet de ce saint: des légendes, des anecdotes,… Il aurait été enterré dans ces lieux, qui font vraiment dressés les cheveux vers le 17e ou le 18e siècle. Des festivités traditionnelles, appelées localement Zerd, étaient célébrées avec faste depuis des siècles pour implorer Dieu de guérir les malades, de faire tomber la pluie, et ce, lorsque la sécheresse perdure! Une brave vieille dame nonagénaire, aujourd’hui décédée, témoignait à cet effet, en nous disant: « A chaque fois que les villageois organisaient un Zerd à Sidi Messaoud pour implorer Dieu de donner la pluie, celle-ci ne tardait pas. Un orage finit toujours par éclater, et nous prenions nos jambes à nos cous pour remonter vers notre village (Tigrine, ndlr) car la rivière de Tigrine entrait en crue. C’est parce qu’il y avait la niya (l’innocence ou la bienveillance, ndlr) ». Aujourd’hui, cette tradition n’est plus célébrée par les habitants, parce que les salafistes, qui propagent des idées rétrogrades et bizarroïdes, ont « haramisé » cette coutume ancestrale, qui, pourtant, ne fait de mal à personne! Franchement, ce village de Tigrine a beaucoup de charme et de secrets qu’il faudra déterrer. La vie des anciens villageois est tout bonnement ahurissante, avec toute cette organisation et cette discipline. Tigrine est entouré sur le flanc sud d’un épais couvert de figuiers de barbarie, lesquels font office de murailles protectrices, et de centaines d’amandiers et de figuiers, aux fruits mielleux, sur le flanc nord. Au fait, le village de Tigrine est niché sur une colline aux flancs abrupts, domptés par des bâtisseurs hors du commun. Elle est vraiment incroyable l’architecture de ces vieilles maisons. À les regarder, l’on se demande comment les familles qui les habitèrent ont eu le courage de les quitter, comme ça, sans aucun état d’âme pour s’installer ailleurs. Jmaâ liman, nous n’avons rien compris!

Il était une fois les métiers artisanaux…

En scrutant les flancs abrupts des pitons qui entourent ce village et qui sont recouvert d’un épais tissus végétal composé de pins d’Alep, nous avons remarqué la présence de sorte de gabions artisanaux aménagés, il y a probablement des décennies, par la force « unioniste » des villageois. Ces petites digues aux flancs des montagnes étaient aménagées avec des pierres superposées de sorte à retenir le sol, en le protégeant de l’érosion. C’est un véritable travail de fourmis qui fut accompli par les anciens habitants ingénieux et volontaires. Le sol tient toujours en place malgré le temps qui passa. Ces digues artisanales parcourent horizontalement, par paliers, plusieurs centaines de mètres les pentes des pitons, comme le mont Berchiche. Cette technique « purement » kabyle a permis la fixation du sol, et la plantation de centaines d’arbres fruitiers, comme les oliviers. Aujourd’hui, au lieu que les habitants de tous les villages touchés par l’érosion du sol copient sur leurs ancêtres cette technique exceptionnelle de fixation du sol dans les zones montagneuses, ils regardent impuissamment s’éroder le sol sous leurs pieds sans savoir que faire! Ddine oukavache! Cependant, contrairement à ce que l’on croirait et en comparaison à ces époques lointaines, la société kabyle a considérablement régressé au vu de ce qui a été accompli par nos aïeux avec des moyens rudimentaires. Il est fort à parier que, jadis, l’organisation sociale dans les villages était impeccable. Le volontariat, l’entraide et l’union étaient les mots-clés de la réussite. Néanmoins, en dépit de tout ce que l’on croirait, autrefois et contrairement à aujourd’hui, à Tigrine, il y avait une industrie artisanale. Ce village était connu depuis des siècles par le travail de l’Alfa. Des nattes, des couffins, des espadrilles et des ruches en Alfa étaient confectionnés par des hommes et des femmes de métiers. La vannerie n’était pas en reste, puisque l’on confectionnait aussi des corbeilles et des paniers. Actuellement, ces métiers ont tous disparus au grand dam des amoureux du patrimoine! Les choses ont changé et les aïeux ont emporté avec eux tout leur savoir-faire et leur savoir-vivre. Triste

Syphax Y.

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