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De l'émission "Houna Bariz" à Facebook : La saga de la communication dans un coin de Kabylie

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"Être le grain de sable que les plus lourds engins, écrasant tout sur leur passage, ne réussissent pas à briser". Voilà comment l’intellectuel Jean-Pierre Vernant, dans son livre "La Traversée des frontières&quot,; voyait la force de la communication et des hérauts.

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L’information et son mode de transmission ont tellement évolué en l’espace d’un demi-siècle, que, pour une même personne ayant vécu ces métamorphoses, il apparaîtra qu’elle a vécu plusieurs vies. Avoir écouté clandestinement les émissions de Radio-France « Houna Bariz » en…kabyle au début des années 70 du siècle dernier, puis « Radio Tandja » (Radio Tanger, actuelle Medi1) qui abritait l’opposition algérienne à Boumediene de 1975 à 1978, avoir lu pendant plusieurs années El Moudjahid et Echaâb, journaux gouvernementaux en dehors desquels il n’y avait d’autre voie d’expression, avoir regardé et suivi pendant deux, trois décennies la Télévision algérienne « Unique » et la radio publique en kabyle, la Chaîne II puis, se retrouver directement nez à nez avec des amis en direct sur Facebook; pareil rythme d’évolution n’a jamais été connu dans l’histoire de la communication. Jamais une quarantaine d’années n’ont servi un faire faire à la communication, un bon si extraordinaire. Pendant près de deux siècles, entre le 18e et le 19e, le monde industriel n’a connu que des versions plus ou moins améliorées de journaux papiers, pour lesquels la typographie et la diffusion se perfectionnaient lentement au cours des décennies.

Dans la boutique des Challah à Aïn El Hammam

Tant de changements rapides en l’espace de cinquante ans, nous rapprochent de cette belle métaphore de Baudelaire: « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans ». Malgré l’autocratie du régime de Boumediene, nous avions droit à la presse étrangère…soutenue comme le lait, le pain et l’électricité: Le Monde, Le Figaro, Le Matin de Paris, L’Express, Le Nouvel Observateur, Al Ahram, Al Hayat, Al Qods Al Arabi, Al Moustakbal, Jeune Afrique, l’Économiste du Tiers-Monde, et même de prestigieuses revues littéraires et scientifiques (La Nouvelle Revue Française [NRF], Les Temps Modernes, Le Magazine Littéraire, Sciences et Vie, Sciences et Avenir,…). Bien sûr, il y avait aussi Pif, Salut les Copains!, Nous Deux, Popey, Blek le Roc, Akim et mêle Système D.

Dans le paysage médiatique national-un terme un peu exagéré pour l’époque-Algérie-Actualité un hebdomadaire public tranchait avec le reste des titres gouvernementaux. C’est un journal d’idées, de pédagogie et de réflexion. On attendait de lire Djaout, Djâad, Abdou Benziane, Mouny Berrah, Fazia Hacene et d’autres noms qui nous apprenaient à aimer les mots, la musique, la peinture, le cinéma, les sites naturels du pays et son histoire. Ils éveillaient en nous l’esprit critique, qui refusait d’abdiquer à la fatalité de la pensée unique pourtant institutionnalisée.

Le lieu où je m’approvisionnais- avec des amis camarades d’école, à l’image de Chikhi Zoubir, Hamladji Farid et le martyr de la démocratie Amzal Kamal, existe encore, mais il est transformé en…quincaillerie. C’était chez les Challah, à Aïn El Hammam. Dda Youcef et feu Dda Mohand Tahar, dans leur minuscule épicerie, se pliaient en quatre pour satisfaire leur clientèle, entre abonnés et acheteurs occasionnels.

Le Facebook d’aujourd’hui était dans ce magasin où s’échangeait les idées sur la guerre au Sahara Occidental, les Jeux Méditerranéens d’Alger, les débats sur la Charte nationale et la Constitution de 1976, l’affaire de Cap Sigli, la répression en Afrique du Sud, la résistance en Namibie, la décolonisation du Mozambique, de l’Angola et de la Rhodésie du Sud (Zimbabwe actuel), la coupe d’Algérie de 1977 gagnée par la JSK, la guerre des Malouines entre l’Angleterre et l’Argentine, l’arrivée de l’Ayatollah Khomeiny au pouvoir en Iran, le Printemps berbère, l’arrivée de Mitterrand au pouvoir en France, la révolte des ouvriers polonais avec comme leader Lech Valessa, l’arrivée au poste de pape de Jean Paul II,…etc.

Le forum des « little big men »

La liste est longue de ces grands sujets, qui ont été discutés et débattus dans ce petit local qui ne payait pas de mine. Les voix s’élevaient, les mains dessinaient des gestes désapprobateurs, d’autres mains réclamaient la sagesse. Un bouillon de culture qui donnait la dimension d’un grand centre culturel ou d’un grand forum intellectuel à une boutique de 16 mètres carrés. Là se réunissaient les collégiens du CEM Amar Ath Chikh et les lycées de l’établissement Mostefa Ben Boulaïd. Deux véritables pépinières de futurs étudiants et de cadres.

De même, toute une littérature clandestine nous parvenait sous cape; celle écrite en berbère ou sur la question berbère. Tisuraf, revue publiée à Paris à la fin des années 1970 et diffusée par un réseau d’étudiants et de lycéens, était un joyau en la matière. Viendra ensuite la prestigieuse revue Tafsu ronéotypée, éditée par les étudiants et enseignants de l’université de Tizi-Ouzou.

À la Radio kabyle, il y avait Ben Mohammed, Boukhalfa Bacha, le couple Belkacem et Abdelkader de l’émission sur l’émigration, Tassadit, Hadjira Oulbachir et d’autres noms qui ont donné vie à cette chaîne et qui ont même fait de la résistance culturelle.

À peine trois décennies après ce bouillonnement culturel qui a évolué dans un contexte d’adverse fortune, les moyens technologiques des médias ont atteint un nouveau insoupçonnable qui nous fait quitter peu à peu le domaine et le support du papier pour nous introduire dans le monde numérique et virtuel. La vertu du virtuel, c’est l’instantané et la « package » (services audio, vidéo et écrits en simultané). La révolution est totale, sans qu’elle dise réellement son dernier mot. Le dira-t-elle un jour?

On ne peut pas parler aujourd’hui de communication sans évoquer les réseaux sociaux portés par le canal d’internet. En Algérie, Facebook est le plus populaire. Il a commencé timidement il y a quelques années, avec une espèce de « tchatche » entre des amis, pour évoluer en « organe » d’expression officielle de certaines personnalités politiques, littéraires, journalistiques,…etc. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, s’exprime sur Facebook. Son dernier post date de jeudi dernier, où il demande aux hadjis, se rendant aux lieux Saints de l’Islam, d’évoquer l’Algérie et de lui faire une prière pour que règne la sécurité et la stabilité. Il y a quelques jours, c’est Mme Nouria Benghebrit Remaoun, ministre de l’Éducation nationale, qui a démenti la rumeur publique qui avait annoncé sa démission du gouvernement. Le journaliste écrivain Kamal Daoud consigne ses chroniques publiées dans plusieurs journaux, sur sa page Facebook. Il en est de même de Nordine Boukrouh et de beaucoup d’autres auteurs.

La démocratisation de la communication et le libre échange de l’information ont été admirablement boostés, depuis 2004, par Mark Zuckerberg, le créateur de l’entreprise Facebook. En Algérie, cela correspond à une révolution médiatique et culturelle de grande ampleur. Associant l’écrit, l’image, la vidéo et le son, ce genre de réseau social a bouleversé les habitudes et projeté les jeunes algériens dans l’instantané. Un instantané qui n’est pas fuyant puisqu’il se convertit en même temps en une bibliothèque multimédia où sont stockés et revisités les documents enregistrés ou partagés.

Nouveau mass media

Les choix du statut à donner à sa page Facebook (publique ou échanges avec des amis seulement) est un autre atout pour gérer l’échange et le partage de documents. Cela peut se transformer en un forum de discussion, avec des références et renvois à des sites internet consultés par des amis et qu’il importe de partager. Des correspondants partagent leurs plaisirs d’avoir découvert des sagesses populaires, des mots de philosophie, de l’humour, des poèmes, des articles de journaux électroniques du monde entier et d’autres richesses encore. Facebook a bien noué des relations avec des gens qui ne se connaissaient pas jusque-là. Il a même permis à certains (es) de trouver l’âme sœur et de convoler en justes noces. Évidemment, comme tout forum de rencontre, qui plus est, quasiment gratuit, Facebook a son revers de la médaille. Un « vaillant » anonymat qui fait diffuser parfois des rumeurs, du langage ordurier, des insultes,…etc. Certaines affaires- de traitement de photos par Photoshop afin de leurs donner des traits suggestifs ou carrément obscène- ont atterri aux tribunaux. Cependant, la législation commence à se moderniser pour prendre en charge ce domaine du droit qui agit par le décryptage de la traçabilité des communications.

On n’a sans doute pas le droit de rejeter des outils modernes de communication, comme Facebook ou d’autres réseaux sociaux, pour la simple raison qu’ils sont aussi accessibles à des mains ou à des esprits indélicats. La communication a pris aujourd’hui un tel essor qu’elle a donné du sens et du contenu à ce qui fut appelé naguère les mass média. Elle les a tellement servis qu’une forme d’atomisation commence à se faire sentir, créant des groupes sous forme de bulles isolées, partageant les mêmes centres d’intérêt, avec une étanchéité respectable par rapport aux autres groupes.

Dix années de Facebook donnent une esquisse, non, plutôt une idée confuse et imprécise de ce que deviendra la communication sans papier ni mégaphone dans les années à venir.

Amar Naït Messaoud

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