Une forteresse sans fortune

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Ighil Igueni, comme son nom l’indique, est un beau et majestueux village de la commune d’Amalou, dans la wilaya de Béjaïa.

Il est situé sur une protubérance d’une colline à quelques 1 200 mètres d’altitude. Ses habitants font face à des frimas hivernaux rudes, au chômage endémique frappant surtout les citoyens en âge de travailler, qui monnaient leurs forces de travail ailleurs. Une misère noire s’était installée après l’indépendance, ce qui a poussé beaucoup de familles à l’exode rural où beaucoup d’elles ont quitté le village pour aller s’installer à l’étranger ou dans les grandes villes du pays, à la recherche de meilleures conditions de vie. Mais beaucoup d’autres familles ont résisté à la mal vie, en continuant à vivre au village se contentant des maigres ressources que leur procure le travail de la terre pour ceux ayant des parcelles cultivables. Pour notre part, pour les besoins de ce reportage, nous nous sommes rendus, mardi passé en cette fin de l’été où vraiment on a eu pour notre déplacement de par ce qu’on a vu dans ce village typiquement Kabyle qui ressemble à un éden de par ce que la nature lui a façonné comme environnement sauvage d’une rare beauté. C’est un paradis de l’escapade et de l’escalade, même si le mot est un peu fort. Nous quittons donc la ville de Seddouk vers 10h du matin accompagné de notre ami Makhlouf, un natif de ce village devenu citadin depuis que sa famille s’est installée en ville. Selon lui, cela fait longtemps qu’il n’a pas revu son village, et c’est une aubaine pour lui de le revoir. Nous roulons sur le chemin de wilaya N°141 qui relie la ville de Seddouk à Akbou et nous souffrons de bon matin d’une chaleur suffocante qui s’accentue de plus en plus. Après cinq kilomètres, nous arrivons au village El-Mouhli et au niveau du premier quatre chemins situé au centre de l’agglomération, une plaque nous indique la route à gauche pour se rendre au village Ighil Igueni. Nous amorçons donc une route communale, bien entretenue d’ailleurs. La chaussée revêtue d’une couche de bitume est restée intacte. Cette route qui zigzague est en montée raid sur six kilomètres, c’est-à-dire jusqu’au village Ighil Igueni, lieu de notre destination. Cette route de montagne traverse une pinède aux arbres rabougris et à la végétation drue offrant à la vue une couleur verdâtre éclatante et scintillante aux rayons du soleil. Elle est habitée par différente sorte d’oiseaux aux chants suaves et mélodieux qui invitent tout automobiliste à s’arrêter pour entendre avec enchantement des gazouillements qui impressionnent l’esprit de par la douceur exquise des refrains. Nous marquons, donc, un temps d’arrêt pour se ressourcer de cet environnement sauvage et subtil que la nature a gracieusement offert à cette région de cocagne. En descendant de voiture, un air pur fait oxygéner nos poumons encrassés par la pollution de tout genre dont nous sommes habitués en ville. Les embruns envoutants des arbres chatouillent nos narines qui les captent agréablement. Le calme olympien qui règne en maître dans cette pinède fait reposer le moral. Devant ce panorama splendide qui n’existe nulle part ailleurs, nous primes une décision de revenir une autre fois spécialement pour explorer cette pinède en s’engouffrant à l’intérieur et s’offrir un bon pique-nique sous les ombrages des arbres en étant assis sur les feuillages qui forment un tapis végétal fané. Makhlouf n’est pas resté indifférent à ce décor verdâtre qui l’impressionne et regrette que ses parents l’aient quitté en préférant le cloisonnement entre des bâtiments géants des cités urbaines. Ne pouvant contenir son amertume, il lâcha tout de go ceci : «Je me demande si mes parents ne sont pas frappés de folie pour abandonner un tel univers environnemental qui n’apporte que des bienfaits à la santé humaine, pour s’installer en ville où il n’y a que des nuisances avec des tocades enfumées, des vacarmes diurnes et nocturnes, des encombrements de voitures sur les chaussées et des piétons sur les trottoirs». Malheureusement, l’endroit est souillé par une décharge sauvage se trouvant sur l’un des accotements de cette route.

Village clean !

Nous avons eu le courage de quitter cette forêt qui s’est vite régénérée d’un incendie qui l’a ravagée il y a trois ans. Premier village que nous avons traversé Thadarth Ouadda. Un beau village comme tous les villages de Kabylie. La route et les ruelles sont propres et le village semble bien nanti en matière d’infrastructures, à l’image de l’éclairage public avec des poteaux alignés sur tout le tronçon traversant le village. Nous continuons à rouler sur une route presque déserte, rarement de croiser un véhicule ce qui atteste de l’isolement de cette région. À ce décor naturel d’une grande magnificence s’ajoutent des haies de cactus portant encore leurs fruits (akermous). Des haies qui délimitent des parcelles de figuiers encore en production. Ce qui est merveilleux, nous sommes en pleine campagne de cueillette des figues fraîches et sèches. Sur la route, nous croisons des familles revenant des champs avec des paniers pleins de figues fraîches, un produit agricole du terroir fierté de tout kabyle. De plus en plus que nous gagnons de l’altitude, la chaleur cède le pas à la fraîcheur. Nous atteignons enfin le village d’Ighil Igueni, lieu de notre destination. Nous garons le véhicule dans une spacieuse placette, lieu de rassemblement des villageois. Quelques vieillards assis sur des bancs en ciment alignés le long des murs entourant la placette. Sur le côté une imposante mosquée visiblement construite récemment. Juste à côté de l’entrée de cette mosquée, une fontaine publique équipée de trois robinets et un bassin où l’eau ramenée du château d’eau est disponible de jour comme de nuit. Nous avons pris une ruelle en remontant jusqu’au sommet, où nous dominons toute la plaine de la haute vallée de la Soummam et du flanc Ouest de la montagne de Gueldamen. Ce village tourné naturellement vers le Djudjura comporte un vieux bâti situé tout en haut qui a été délaissé par les habitants à cause des ruelles étroites qui ne permettent le passage qu’à pied ou à mulet. Ils construisent des maisons somptueuses en bas, équipées de garages pour voitures et de jardins dont la plupart sont entourés de murets. Nous crûmes atterrir dans un éden avec ce calme olympien qui règne en maître, cette fraîcheur naturelle qui dispense de l’usage de climatiseurs, ses fruits du terroir qu’on mange frais en les cueillant des arbres. Tous ces bienfaits restent insuffisants chez les habitants qui reconnaissent habiter dans une forteresse mais sans fortune de par le manque qu’elle recèle en matière d’infrastructures, ce qui rend difficile la vie quotidienne.

Une épicerie pour 800 âmes

C’est monsieur Aït Kheddache qui s’est chargé de nous énumérer ces manques. «Notre village possède une école primaire qui fonctionnait jusqu’à il y a quelques années de cela quand la direction de l’éducation a décidé de la fermer pour manque de carte scolaire. Sa fermeture n’arrange guère nos enfants qui se rendent à Beni Djemhour, un village distant du nôtre d’environ cinq kilomètres, pour étudier. Ces va-et-vient chaque jour les agacent et les fatiguent. Beaucoup de familles scolarisent leurs enfants en ville», se plaint notre interlocuteur qui a aussi soulevé le problème épineux du transport. «Il faut avoir son propre véhicule pour pouvoir se déplacer à l’aise sinon, il faut le faire à pied ou faire de l’autostop avec une attente de quelques heures pour voir un véhiculé qui passe et s’il vous prend encore», a-t-il ajouté. Il n’a pas manqué de décrire la situation alarmante que vivent les jeunes de cette contrée. Leur quotidien n’est guère reluisant. Ils s’adossent aux murs, flânent dans les rues ou les champs. «Nous n’avons même pas une Maison de jeunes où ils peuvent pratiquer diverses activités, surfer à moindre frais ou se retrouver entre amis. Le seul endroit de loisirs qu’ils ont, c’est le terrain de jeux de proximité que la municipalité a réalisé. Mais ils ne peuvent pas tous sortir footballeurs bon sang», renchérit-il. Sur le plan social, ce village de 800 habitants possède une seule épicerie en alimentation générale qui ne commercialise que les produits de base. Selon notre interlocuteur, les habitants s’approvisionnent en ville et le commerce local ils ne l’utilisent que pour dépanner. «Le plus frappant c’est la rareté de la bouteille de gaz qui est vendue chère quand elle existe, atteignant des prix inabordables quand la route est obstruée par de fortes chutes de neige qui reviennent chaque hiver», dit-il, tout en s’interrogeant pourquoi les pouvoirs publics ont commencé par doter les villages situés dans la plaine au détriment de ceux situés en haute montagne qui en ont grandement besoin, pourtant ? À ce sujet, il fera savoir qu’un vaste mouvement de protestation émanant des villages d’Amalou, situés en haute montagne, est en préparation pour porter leurs revendications auprès des autorités locales qui leur ont promis de les faire figurer dans le programme quinquennal 2015/2019. Notre interlocuteur estime ne pas faire l’impasse sur la salle de soins dont le besoin se fait sentir à cet effet. Il dira à cet effet : «Notre village a consenti un lourd tribut durant la guerre d’indépendance en sacrifiant ses meilleurs fils. Il déclare, d’ailleurs, qu’il n’y a pas une seule famille qui ne possède pas un ou plusieurs Chahid et aujourd’hui, ils ne possèdent même pas un centre de soins dans le village. Ce qui est injuste à ses yeux. Tout compte fait, les habitants d’Ighil Igueni ne cessent de demander un plan de développement pour booster un village qui a beaucoup donné à l’Algérie qui a acquis chèrement son indépendance. La situation n’est guère reluisante tant que les insuffisances se conjuguent au pluriel. À Ighil Igueni, une charmante bourgade du douar d’Ath Aïdel, le charme de ses maisonnettes ardentes et proprettes reflète celui de toute la Kabylie. Après avoir passé quelques heures de bonheur, nous l’avons laissé continuer à languir au beau soleil de l’été.

L. Beddar

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