L’enseignement de tamazight bénéficie, sans aucun doute, d’un climat psychologique et politique plus favorable depuis 2014, même si sur le terrain de la pratique et dans certaines administrations en charge du dossier, des contraintes majeures demeurent non levées; celles en relation directe avec le personnel pédagogique, la place de la langue dans le processus docimologique (différents examens que sont appelés à subir les élèves) et l’autre question, tout aussi pédagogique, d’enseigner tamazight ou en tamazight.
Ce sont des problématiques naturelles que le retard dans la prise en charge de cette langue millénaire des Algériens ne pouvait que mettre sur la table. Le climat dans lequel évolue l’enseignement de tamazight bénéficie, depuis 2014, de l’ouverture de Mme la ministre de l’Éducation sur la question, malgré les premiers « cafouillages » alimentés par la tradition « benbouzidienne » de l’école, consistant à faire valoir, à chaque occasion, le déficit de « demande sociale » dans certaine régions du pays. Ceux qui défendaient cette thèse avaient créé le problème pour pouvoir le présenter, par la suite, comme un alibi au statisme de l’administration, voire même un alibi à un certain esprit nihiliste. On a laissé pourrir la situation, avec les problèmes aussi bien logistiques que pédagogiques, si bien qu’une certaine « désaffection » s’est commençait à se faire sentir dans certaines wilayas, ce qui a quand même contribué à la baisse drastique du nombre d’établissements dispensant tamazight.
À la rentrée scolaire 2015/2016, l’enseignement de la langue amazighe a été élargi à vingt wilayas. « Toutes les conditions sont réunies pour le lancement de l’enseignement de tamazight la prochaine rentrée scolaire », avaient promis Messeguem Nedjadi et Farid Benramdane, respectivement inspecteur général et conseiller chargé de la pédagogie au ministère de l’Éducation. « Le ministère est prêt à ouvrir ces classes même avec un seul élève », avaient-ils assuré. L’avancée que semble connaître l’enseignement de tamazight doit aussi beaucoup au Haut-commissariat à l’amazighité (HCA), une institution relevant de la présidence de la République, qui a collaboré avec le ministère de l’Éducation pour asseoir sur de bonnes bases l’enseignement de cette langue dans le maximum d’établissements du pays. Outre l’enseignement de la première langue algérienne pour les élèves scolarisés, une autre opération, attendue depuis longtemps dans certaines régions du pays, vient d’être lancée en direction des adultes.
L’avancement effectif d’une langue, particulièrement comme tamazight qui a subi un retard historique, ne peut se réaliser que par l’association de l’enseignement régulier et l’alphabétisation. L’alphabétisation a été initiée déjà de façon informelle par des associations en Kabylie, en dehors de toute aide ou de tout concours des pouvoirs publics. Lorsque le gouvernement avait lancé les programmes d’alphabétisation en arabe au milieu des années 2000, avec des enveloppes financières consistantes, le tamazight n’a pas été envisagé dans ces opérations. Mieux vaut tard que jamais, le HCA, en collaboration avec l’association « Iqra », a conçu un programme d’enseignement de tamazight pour adulte à partir de cette saison. Le lancement des premières sections ont eu lieu, la semaine passée, au niveau de neuf wilayas.
Le coup d’envoi a été donné à Boumerdès par le secrétaire général du HCA, Si El Hachemi Assad, et la présidente de l’Association d’alphabétisation « Iqraa », Aïcha Barki. Hier, samedi, une journée pédagogique au profit des enseignants chargés de l’apprentissage de tamazight pour adultes a été organisée par le HCA. À cette occasion, son secrétaire général a déclaré à l’APS que « l’enseignement et la promotion du tamazight créeront certainement une fusion entre tous les Algériens, car c’est un facteur d’unité et de cohésion sociale », en révélant qu’ « il y a une très forte demande de toutes les franges adultes de la société pour l’apprentissage et la maîtrise de cette langue ». Pour les cours d’alphabétisation, le HCA a conçu, avec la collaboration de l’association « Iqraa », un premier manuel d’alphabétisation dénommé Aseghmigh (« alphabétiser » en tamazight). Ce manuel sera disponible au prochain Salon international du livre d’Alger, qui se tiendra du 29 octobre au 7 novembre au Palais des expositions des Pins Maritimes.
Si la problématique de l’alphabétisation en tamazight est aujourd’hui posée sur la table par des institutions officielles, elle ne fait, en réalité que remonter à la surface après avoir été « couvée » des années durant par des collectifs et des associations. Il est vrai que l’enseignement scolaire a été revendiqué d’une manière plus franche et offensive. Et c’est justement à l’occasion de la mise en œuvre de la politique de l’État en la matière que la demande d’enseignement des adultes en tamazight s’est faite plus pressante. Il y a aussi les programmes d’aide consentis par l’État à l’alphabétisation en arabe, à coups de dizaines de milliards de dinars, qui ont fini, dans les régions amazighophones, par susciter des questionnements sur l’ « oubli » par l’État de cette composante essentielle de la culture algérienne qu’est le tamazight. Au niveau de notre journal, cette problématique a accompagné toutes les analyses faites au sujet des programmes d’alphabétisation. Nous nous sommes posés la question de savoir « dans quelle langue alphabétiser ? » Béatrice Fraenkel, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), note à ce sujet : « L’alphabétisation elle-même est un acte politique qui a été souvent utilisé pour imposer une langue.
Les gouvernements des pays multilingues, en voie de développement, ont ressenti le besoin de promouvoir une langue afin d’affermir l’unité nationale et de contrôler les populations de leur territoire. L’alphabétisation a alors été utilisée pour diffuser la langue au détriment des langues des minorités (…) Un certain consensus existe aujourd’hui sur l’efficacité accrue d’une alphabétisation en langue maternelle. Il semble légitime de privilégier la langue maternelle d’un adulte qui désire s’alphabétiser. L’effort à fournir serait limité car l’apprenant maîtrise déjà la langue orale. En revanche, alphabétiser dans une langue étrangère revient à obliger l’apprenant à fournir un double effort : acquérir les mécanismes de la lecture et de l’écriture, mais aussi apprendre une nouvelle langue. Un deuxième argument en faveur de l’alphabétisation en langue maternelle met en avant le souci de préserver et d’affermir l’identité culturelle ».
Amar Naït Messaoud