Les conditions d’un nouvel essor

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L’un des axes majeurs et élément clef de la diversification économique, présenté par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, jeudi dernier à Aïn Defla, est l’investissement dans le domaine agricole.

L’occasion s’y prête avec, symboliquement, la célébration du 41e anniversaire de l’Union nationale des paysans algériens (UNPA), mais aussi et stratégiquement, avec le nouveau virage que l’Algérie est en train de négocier pour s’adapter à la nouvelle situation de la contraction drastique de ses revenus pétroliers. Ce qui s’écrivait, il y a quelques années dans les journaux et se débitait, sans grand écho, dans des séminaires à propos de la nécessité pour le pays de revenir à sa vocation originelle, pour réduire la dépendance par rapport aux hydrocarbures, devient aujourd’hui que tous les acteurs, gouvernement, entrepreneurs, importateurs, citoyens sont «dos au mur», une matière fertile à même d’ébaucher une réflexion sérieuse non seulement sur la relance du secteur agricole, mais également sur tous les secteurs qui lui sont connexes : industrie agroalimentaire, commerce, formation professionnelle dans les métiers de l’agriculture, recherche scientifique orientée vers le secteur primaire (agriculture, élevage, forêts, hydraulique) et secteur bancaire.

Aujourd’hui, le secteur de l’agriculture se trouve imparablement dans une étape charnière, où il est appelé à répondre à des attentes de plus en plus pressantes, charriées par les besoins alimentaires de 40 millions d’Algériens. La facture alimentaire des deux dernières années a été gravement gonflée par l’importation de céréales, aliment de base des populations algériennes. Pour plusieurs raisons, les prix du blé ont connu, à l’échelle du monde, une flambée inédite. La baisse intervenue depuis le mois de juin ne devrait pas être prise comme une référence dans un marché fluctuant et instable. De restructurations en réformes, de l’agriculture professionnelle au développement rural, et de la production à la transformation agroalimentaire, les volets et les termes de références sur lesquels évolue l’activité agricole ne cessent de s’étoffer et de se diversifier. La dernière mesure prise par les pouvoirs publics est la fameuse circulaire 108 de février 2011, par le truchement de laquelle le gouvernement compte élargir la base productive de l’agriculture. En effet, ce nouveau dispositif est destiné à faire exploiter les terres marginales du domaine privé de l’État -celles qui n’ont pas été distribuées dans le cadre de loi de 1987 portant sur la création des EAC et EAI- et les terres de particuliers demeurées en friche. Cette dernière catégorie est promise à des incitations intéressantes, puisque des crédits bonifiés leur sont destinés à hauteur d’un million de dinars par hectare, selon l’importance et la nature du projet, bien entendu.

Les ambitions de l’autosuffisance

Depuis le lancement du Plan national de développement agricole (PNDA) en 1999, les pouvoirs publics ont, par l’intermédiaire de leviers inhérents aux différents dispositifs de soutien, commencé à réorienter l’activité agricole dans le sens de la reconversion des systèmes de culture. Ainsi, les superficies, habituellement emblavées en céréales, étaient de 4,5 millions d’hectares avec une production allant de 16 à 19 millions de quintaux, soit un rendement de 7 à 8 quintaux/ha. Les nouvelles mesures de soutien ont ramené cette superficie à 3,2 millions d’hectares, mais avec un rendement moyen de 35 à 40 qx/ha. Le «club» dit des «50», ensemble des agriculteurs qui atteignent ou dépassent les 50 qx/ha répertoriés au ministère de l’Agriculture, demeure une minorité. Une exception qui confirme la règle. Dans le sillage de la nouvelle politique agricole, les agriculteurs ont été encouragés à réaliser une bonne préparation du sol (défoncements et épandages d’engrais de fond) et des désherbages efficaces. En outre, certaines superficies céréalières ont été reconverties en vergers arboricoles ou viticoles de façon à mieux lutter contre les effets de la sécheresse qui menace cycliquement notre pays, et, dans la foulée, à réduire les risques d’érosion qui ont déjà affecté les parcelles céréalières à forte pente. Les bilans de la production végétale et animale indiquent que, pour plusieurs produits, l’Algérie a atteint l’autosuffisance. Si la facture alimentaire à l’importation est située autour de 6 à 8 milliards de dollars/an, c’est en raison de l’importation de céréales et d’autres produits indispensables. Les besoins de l’Algérie en céréales sont évalués à 60 millions de quintaux, tandis que la production locale tourne autour de 30 millions de quintaux. En matière de production laitière, l’Algérie produit 2,2 milliards de litres annuellement, tandis que la consommation annuelle atteint des moyennes annuelles de 4 à 5 milliards de litres. La différence est importée pour un montant de 600 millions de dollars. Pour atténuer cette lourde facture, l’Algérie a importé des milliers de vaches laitières et a constitué un réseau de collecte de lait crû. L’étape suivante que compte aborder le ministère de l’Agriculture est la labellisation de certains produits pour lesquels l’Algérie a montré une certaine maîtrise. C’est le cas pour l’huile d’olive, du miel et de la datte Deglet Nour.

Aléas du foncier et retard dans l’agro-industrie

La nouvelle étape qui s’ouvre est aussi celle de la stabilisation de la distribution et de la commercialisation, sachant qu’une grande partie de la crise qui a frappé certains produits alimentaires de première nécessité au cours de ces deux dernières années, à commencer par la pomme de terre, est due à la spéculation organisée souvent par des gens qui ont bénéficié du soutien de l’État. C’est pourquoi, la protection du consommateur prend une importante dimension dans la nouvelle stratégie de relance du secteur agricole. Lutte contre la spéculation, contre la fraude et contre les faux exportateurs. L’administration compte également structurer la Chambre de l’Agriculture de façon à l’habiliter à jouer un rôle essentiel dans la promotion du secteur agricole, l’exportation des produits de l’agriculture et le démantèlement du monopole, y compris le monopole des chambres froides. Les problèmes publiquement soulevés lors de la crise de la patate par ces équipements, destinés initialement pour la régulation du marché militent effectivement pour un assainissement définitif de ce créneau. S’agissant du volet de l’exportation des produits agricoles locaux, il tombe sous le sens que l’on ne peut aborder un tel sujet sans la maîtrise du marketing et du design. L’ancien ministre de l’Agriculture, Saïd Berkat, a fait un constat sans appel : «Nous ne savons ni vendre ni acheter. Notre point faible se situe principalement dans le conditionnement et l’emballage». De même, l’Algérie souffre aussi d’un déficit de la «diplomatie économique», sachant que nos représentations à l’étranger (ambassades) s’investissent rarement dans le travail d’information, de marketing et de lobbying pour susciter la demande en produits algériens. L’actualité tendue des marchés des produits alimentaires dans le monde a eu, particulièrement depuis 2007, des répercussions directes sur la bourse et le moral de la majorité des ménages algériens et pour cause, le pays importe la majorité des produits que nous consommons. Il se trouve que même les produits agricoles sortis de nos fermes, se trouvent dépendants totalement des semences et matériels d’importation. Au vu de la mondialisation effrénée des échanges et de l’interdépendance de plus en plus complexe des différentes économies du monde, les défis qui se posent à l’agriculture algérienne deviennent de plus en plus multiples et complexes. L’on ne peut nier que des efforts importants ont été déployés en direction du secteur de l’agriculture par les soutiens aux producteurs, la mise à niveau des exploitations agricoles et l’extension de la surface agricole utile (concessions, mise en valeur par l’accession à la propriété foncière,…), ainsi que par l’actuelle expansion des périmètres irrigués, permise la mobilisation historique des eaux de surface. Cependant, la dépendance alimentaire, singulièrement par rapport à certains produits (céréales, légumes secs, lait), demeure une triste réalité. Outre des problèmes techniques ou liés au transfert de technologie (dans les domaines de la prophylaxie, des soins phytosanitaires, de la production des semences et de l’amélioration génétique), certains problèmes ‘’classiques’’ continuent à grever la performance du secteur agricole. Le premier d’entre eux semble être celui du foncier. Les trois millions d’hectares du domaine privé de l’État, constitués depuis 1987 en exploitations collectives et individuelles, tardent à faire acquérir un statut stable et sécurisant pour leurs exploitants issus des anciens domaines autogérés. La nouvelle loi de 2010, portant sur un remembrement de ces terres, sur le passage de la jouissance perpétuelle au mode la concession et sur la réduction du bail de 99 ans à 40 ans, ne semble pas emballer tous les exploitants du fait que la réduction du bail risque de dissuader un grand nombre d’entre eux de réaliser des grands investissements sur ces fermes (forages, puits, arboriculture de grande longévité bâtiments d’élevage,…). Le manque d’empressement de certains agriculteurs pour un tel mode d’exploitation a fait d’eux, dans certaines régions périurbaines, des complices de la dilapidation des terres à des fins de constructions anarchiques.

Poursuivre l’effort du développement rural

Parallèlement aux efforts fournis en direction de l’agriculture professionnelle depuis 2008, sous le nom générique de «renouveau agricole» et pour rendre justice aux zones rurales des montagnes et de la steppe, dans lesquelles les activités agricoles sont rendues difficiles par des facteurs objectifs (pente, érosion, indivision des terres, absence des titres de propriété morcellement des propriété absence d’ouvrages hydrauliques et de réseau de desserte), le ministère de l’Agriculture a conçu un axe de développement sous le nom générique de «renouveau rural», qui est un pendant obligé du «renouveau agricole», basé sur les projets de proximité destinés aux ménages et foyers des zones déshéritées. Financés par des fonds spécifiques, mais aussi par les PSD et les PCD, ces projets, managés par les services de l’administration des forêts, englobent toutes les activités relevant du monde rural, en plus de l’agriculture : habitat, centres de santé écoles, raccordement au gaz naturel, pistes rurales, aménagement de sources hydriques, artisanat,… etc. En développant une vision aussi globale et intégrée, les pouvoirs publics comptent stabiliser les populations rurales dans leurs hameaux par la création de richesses et d’emplois, comme ils tablent sur le retour des ménages qui ont subi l’exode pendant la décennie noire. Le retour progressif vers la terre d’origine est, d’ailleurs, bien perceptible dans certaines wilayas.

A.Naït Messaoud

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