Aït Saïd, un village révolutionnaire au patrimoine délaissé

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Le village Aït Saïd, à quelque trois kilomètres du chef-lieu communal de Bouzeguène, culmine à 900 mètres d’altitude. Il existe depuis près de 1750.

Ses habitants ont, pour leur majorité des champs d’oliviers à Azaghar et de fourrage à la montagne d’Adrar. Les coutumes et traditions y sont jalousement préservées. Tajmaât, ou l’institution villageoise, consiste l’une des composantes principales. C’est le lieu de transmission des connaissances, de sagesse, de loyauté et de bravoure. C’est là aussi que chaque individu connait ses devoirs et ses droits ainsi que les limites à ne jamais transgresser. Elle est représentée concrètement par le comité du village et deux Tamens, vu que le village compte deux fractions (iderma) Aït Saïd et Aït Ouamara, qui veillent sur l’application des lois tracées par le comité en assemblée générale, à laquelle tous les hommes de plus de 18 ans doivent assister. Tous les conflits se règle à l’assemblée générale. Le comité du village en collaboration avec le Tamen veillent sur la propreté du village, la disponibilité de l’eau, le bon déroulement des fêtes. «Les villageois sont soumis à un règlement intérieur. Les réunions hebdomadaires sont organisées par le comité pour la répartition des tâches et tous les hommes du village, de 18 à 65 ans, doivent être présents et ceux qui ne se présentent pas doivent payer une amende. Chaque retard ou absence est cotée à 1 200 DA», explique Djamel Azouaou, président du comité de village. «Les sources financières viennent des dons de bienfaiteurs, des amendes et des cotisations annuelles fixées à 600 DA pour les résidents permanents, 1 200 DA pour les résidents hors du village et 2 400 DA pour les émigrés qui sont organisés, eux aussi, en comité en France». Aït Saïd compte quatre associations : culturelle, environnementale, sociale et religieuse et toutes travaillent en collaboration avec le comité du village. Lors des fêtes, on ne distingue pas qui est association ou comité. Ils mettent tous la main dans la main pour la réussite des événements. «Grâce aux citoyens du village, aux bienfaiteurs ainsi qu’à la direction des affaires religieuses de Tizi-Ouzou, les travaux de la mosquée, démolie en 2011, avancent bien et sont, au jour d’aujourd’hui, à 99%. On a, depuis quelques semaines, lancé les cours du Saint Coran pour les enfants (filles et garçons) du village», dira avec fierté Djamel Azouaou. L’ouverture de pistes a commencé depuis 2001 à la polyclinique de Louda et à Aït Ikhlef. En 2014, les villageois ont sollicité l’aide de la direction des travaux publics, mais à ce jour, aucune suite n’a été donnée. Aït Saïd est l’un des premiers villages à avoir bénéficié du gaz de ville, dont le réseau est passé par les champs et terrains des villageois. En aucun cas les propriétaires terriens ne se sont opposés au projet, ce qui a encouragé la direction des énergies et des mines à inscrire le village comme prioritaire à l’alimentation.

L’AEP n’a jamais été un souci

Aït Saïd est l’un des rares villages de Bouzeguène qui ne souffre pas du manque d’eau potable et ce, grâce aux multiples sources y existant, à l’image de celle de Boualem et celle de Tibhirine Gaghzar. Aux années 70, les habitants ont fait des captages de la montagne. Les habitants, conscients de la valeur de cette source vitale, ont tout fait pour préserver cet acquis. L’année passée, le village a bénéficié d’une enveloppe budgétaire conséquente pour le renouvellement du réseau en PEHD de près de 10 Km d’Adrar au village Aït Saïd, pour éviter les fuites et avoir une meilleure qualité et aussi pour accélérer les travaux qui sont à 80%. De leur côté les citoyens ont contribué en main d’œuvre. Au volet santé le village compte une unité de soins qui ressemble à tout sauf à une unité de soins. Pour accueillir les malades des quatre villages Aït Saïd, Ibouyisfène, Ibekarène et Aït Ikène, le personnel exerçant au niveau de cette unité souffre le martyr avec le manque de moyens, d’hygiène… En hiver, les eaux pluviales inondent les salles. Pas de médecin sur place.

L’environnement, un volet pris en charge depuis des années

Au moment où les villages de Bouzeguène, à l’instar de plusieurs régions du pays, ne trouvent pas de solution pour leurs ordures, à Aït Saïd, l’environnement ne pose aucun problème. Car il y existe depuis longtemps une décharge contrôlée. Cette décharge est installée depuis les années 80 avec un ouvrier que payent les habitants avec les cotisations. Ajouter à cela, les femmes du village ont pris le défi du tri sélectif. Les bacs sont mis à la disposition des citoyens au foyer de jeunes. L’association environnementale, en collaboration avec le comité du village et les autres associations, s’est lancée dans un centre de tri juste à côté de la décharge. Il est à 60% pour concrétiser ce rêve des femmes qui veulent aller loin dans ce domaine. Du carton, du plastique, des bouteilles… sont des matières premières pour réaliser des produits de grande utilité qui aideront l’économie à prospérer.

Un village révolutionnaire

Le village Aït Saïd a abrité le poste de commandement (PC) de la wilaya 3 durant la guerre de libération, de 1959 à 1960, lors de l’opération jumelle. Il s’agit de la maison de Sadaoui Salem qui a servi de refuge pour le colonel Mohand Oulhadj, chef de la wilaya 3. Les villageois soucieux de la sauvegarde du patrimoine historique prient les autorités et les services concernés de transformer ce refuge en musée. Le village Aït Saïd souhaite par ailleurs la réalisation d’une stèle pour ses quatre maquisards jetés au fond d’un puits à Bouzeguène-centre durant la guerre de révolution. Il s’agit d’Amara Ferhat, Ameziane Lahlou, Hamouche Lahcène et Hamouche Mohand Ouahend. Il y a même des moudjahidine encore en vie qui témoignent, à ce jour, sur les faits.

Les jeunes, ces délaissés…

Un foyer de jeunes a été réalisé par l’État, néanmoins, à part l’infrastructure, deux ordinateurs et quelques bureaux rien n’a jamais été fait pour rendre actif. Il est sans âme. Il est dans un état de dégradation avancée. On l’entretient parce qu’il sert, pour le moment, de lieu de réunion pour les associations et le comité du village. Les villageois appellent les autorités, notamment la direction de la culture, à prendre en charge l’unique infrastructure culturelle qui peut faire sortir la population de la morosité. Ils souhaitent son aménagement en moyens humain et matériel. Il faut des machines industrielles pour les jeunes filles et femmes qui, pour leur apprentissage, sont obligées de se rendre au chef-lieu communal. «Nous avons l’ancienne école juste à côté du foyer de jeunes. Nous avons à maintes reprises sollicité l’APC et la direction de la culture pour une salle de lecture, d’autant plus qu’on a des gens qui habitent en France prêts à donner des livres pour ces enfants qui n’ont aucun manège ni lieu de détente à part la télévision qui ne les aide en aucun cas à avancer. On a même établi des fiches techniques, mais à ce jour aucune suite n’a été donnée», déplore Djamel Azouaou.

Un affaissement et glissement de terrain non pris en charge

Le problème du glissement de terrain et de l’affaissement qui a séparé la route en plusieurs tronçons a fait son apparition depuis 2012 mais il s’est aggravé en 2013 et 2015. Les citoyens ont soulevé ce problème et ont alerté les autorités locales qui se sont rendues sur les lieux. Plusieurs villages ont été également touchés par ces glissements. Le 16 mars 2014, suite au déplacement d’une commission au lieu dit Jarrah, là où se trouvent l’école primaire et la cantine scolaire qui ne fonctionnent plus et l’aire de jeux, un procès verbal a été établi sous instruction du chef de la daïra de Bouzeguène, constatant les conséquences des intempéries, dont un glissement d’une partie de l’aire de jeux sur une surface de 1 200 m² et une conséquente profondeur qui a suscité la rupture du réseau d’assainissement ainsi qu’un glissement de terrain du côté de l’école qui a engendré l’effondrement d’un ancien bloc sanitaire. Actuellement le problème s’est aggravé et peut même empêcher les élèves d’assister à leurs cours s’il n’est pas pris au sérieux. Les élèves seront heurtés à un grand danger qui va certainement s’aggraver avec le retour des pluies. La zone est entourée de plusieurs éboulements. «Même nos morts ne sont pas à l’abri, car le glissement touche aussi le cimetière.» En plus du glissement de terrain, l’école primaire Sadaoui Mohand Ouali n’est pas du tout entretenue. «On compte ouvrir une classe préparatoire pour la rentrée prochaine mais où vont manger ces innocents ? En plus, elle peut s’effondre d’un moment à l’autre. Nous prions les services concernés de prendre en charge ce souci, car plusieurs âmes sont en danger», dira le président du comité.

Fatima Ameziane.

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