«On a mal fait d’administrer le don de sang»

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Dr Sayah Abdelmalek est secrétaire général de la Fédération internationale des donneurs de sang, vice-président de la fédération algérienne des donneurs de sang et président de l’association des donneurs de sang de la wilaya de Bouira.

La Dépêche de Kabylie : Quelle place occupe l’Algérie en matière de don de sang ?

Dr Sayah Abdelmalek : L’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est fixé des objectifs pour atteindre un don de sang volontaire à 100% et éliminer les dons réclamés aux familles des malades généralement. C’est une règle qui s’applique dans des pays qui ont plus de moyens comme les pays occidentaux, mais la réalité du terrain en Afrique est autre. Nous avons expliqué à l’OMS qu’il faut se rendre sur le terrain pour savoir si nous sommes en mesure d’atteindre ces objectifs. Nous avons en Afrique des pays où nous avons un donneur pour 1000 ! Alors que l’OMS demande un minimum de 10 donneurs pour 1000. En Algérie nous sommes à 13,7 donneurs pour 1000. A titre d’exemple dans les pays voisins, les Tunisiens sont à 8 et les Marocains à 9. Cela veut dire que nous avons fait du chemin par rapport aux années précédentes et cela se veut être dans un contexte de sang total. Je m’explique : nous avons l’utilisation du sang dans ce contexte, mais nous avons aussi l’utilisation de plasma dans le médicament. Il faut garder à l’esprit que désormais on produit du médicament avec du plasma, c’est ce qu’on appelle l’industrie du plasma où des médicaments sont produits à base de dérivés du plasma ou du sang. Réellement et honnêtement, nous ne sommes plus dans la même situation qu’il y a 20 ans ou 30 ans, où l’on n’avait pas beaucoup de moyens, que ce soit en quantité ou en qualité. J’avais eu l’occasion de travailler, à l’époque, dans des centres de transfusion sanguine en Algérie et nous avions des moyens rudimentaires. Sur le plan matériel, nous avons connu des avancées de même que sur le plan de la sensibilisation. Il y a 20 ans, nous avions recensés 260 000 donneurs et aujourd’hui nous sommes à 548 000 donneurs. Par rapport à l’échelle africaine, on est parmi les premiers et je dirais même probablement le premier pays d’Afrique en matière de don de sang, et ce selon les recommandations de l’OMS. Nous avons donc enregistré une bonne progression.

bénéficions-nous justement d’une bonne disponibilité en sang ?

Je pense que l’Etat a mis les moyens, mais par moment nous sommes confrontés à des situations dramatiques. Lorsque vous développez des services d’oncologie pour éviter aux malades atteints de cancers de se déplacer, c’est une excellente initiative et une très bonne chose. Mais en parallèle, nous n’avons pas accompagné les centres d’oncologie. Vous savez, lorsque vous mettez quelqu’un sous chimiothérapie, automatiquement le patient tombe en anémie ou en thrombopénie qui est une diminution du nombre de plaquettes sanguines, et le remède c’est d’apporter les plaquettes. Comment apporter ces plaquettes ? Nous avons des moyens rudimentaires que nous sommes en train d’utiliser à Bouira et cela ne répond pas aux besoins. Il faut impérativement avoir recours à l’utilisation de la cytaphérèse. Cela fait deux ans que nous demandons aux autorités locales et aux généreux donateurs d’en équiper le centre de Bouira. Nous avons même interpellé le ministère de la Santé. Nous reconnaissons le fait que l’Etat a réalisé de bonnes choses, mais qu’il faut les compléter. Lorsque vous avez un malade qui fait une séance au service oncologie de Bouira et qu’il tombe en thrombopénie, il lui faut des plaquettes et il faut ensuite l’évacuer vers Tizi-Ouzou ou Alger, c’est une aberration ! Il aurait mieux valu laisser les patients dans les services oncologie de ces wilayas où ils auraient été pris en charge correctement. Les mesures d’accompagnement n’ont pas suivi hélas il faut développer ces services. Le parent pauvre des hôpitaux c’est toujours le centre de transfusion sanguine.

Les centres de transfusion sanguine sont-ils tous délaissés ou négligés ?

Pas tous heureusement. Mais il faut souligner qu’il faut un accueil adéquat pour recevoir le donneur de sang, car ce n’est pas un malade, c’est un bon citoyen qui vient pour un acte civique et humanitaire et il faut que l’accueil soit à la hauteur de cet acte. Quand l’hygiène laisse à désirer et que l’accueil n’est pas adéquat, la bonne volonté des gens en prend un sérieux coup. Ailleurs, on s’adapte au donneurs de sang, on ouvre les centres à partir de 16h, vous avez du temps pour donner du sang jusqu’à 22h. Les centres ouvrent aussi les week-ends, les jours fériés. Ici en Algérie, nous avons administré les dons de sang. On ouvre à 8h, on ferme à 12h pour reprendre à 14h avant de fermer à 16h. Vous arrivez en tant que donneur à 16h, vous ne trouvez pas de médecin et ne pouvez donc pas faire votre don de sang. Idem pour les vendredis. Dans de telles conditions, il est difficile pour un salarié de faire don de son sang à moins de s’absenter de son travail. Il va falloir adapter les structures d’accueil aux donneurs. Je voudrais vous raconter le cas d’un citoyen qui vit au Canada et qui était ici en vacances. Il a pris l’habitude de donner son sang, mais lors de son passage, il n’a pas trouvé le médecin qui était sollicité au niveau du service des urgences. S’il n’y a pas de médecin, on ne peut pas faire un don de sang, mais ce n’est pas le cas dans tous les centres fort heureusement. Nous sommes donc actuellement à 13,7 donneurs pour 1000, mais si nous voulons aller vers l’industrie du plasma, les besoins sont de 30 donneurs pour 1000. En Italie, en France, au Portugal et en Espagne, il y a entre 30 et 50 donneurs pour 1000. Aux Etats-Unis, ils sont à 60 donneurs. Pour répondre aux besoins locaux, nous achetons l’albumine, les immunoglobulines pour les vaccins ou les facteurs de coagulation et ce sont des dérivés du plasma. Nous sommes contraints d’acheter ces produits qui nécessitent énormément de dons de sang pour les fabriquer. L’Algérie a connu une avancée non négligeable par rapport aux années précédentes mais beaucoup reste à faire. Le don de sang demande de la volonté, du civisme, mais aussi des moyens.

Les Algériens répondent pourtant toujours présents lorsqu’on les sollicite ?

Oui c’est vrai. En Algérie, il y a souvent une pensée religieuse derrière le don du sang. Il est question de ‘’hassanate’’. Pour un Européen, c’est plus un acte de civisme. Si nous sommes le premier pays à l’échelle africaine, c’est surtout grâce à l’aide des mosquées qui sensibilisent sur l’acte du don de sang. Le sang en Islam est sacré. Lorsqu’un donneur se présente c’est souvent ‘’Au nom de Dieu‘’. C’est le contexte religieux qui prime et nous n’allons pas nous en plaindre. Mais il reste beaucoup à faire pour sensibiliser plus de gens. En période estivale, où presque tout le monde est en vacances, nous faisons des appels via les mosquées et nous arrivons à avoir 40 000 dons de sang. Au Congo par exemple il y a 1,2 donneur pour 1000. Ce sont 170 000 femmes qui meurent en Afrique chaque année à cause de l’absence de donneurs de sang. Dans le monde, ce sont en tout 500 000 femmes en post accouchement qui meurent chaque année, à cause d’hémorragies, etc. Il y a aussi 5 millions d’enfants qui meurent en Afrique à cause de la malnutrition. Ces enfants font des anémies et ils meurent car il n’y pas de sang à leur transfuser. Actuellement, nous envisageons un jumelage entre la fédération italienne et la fédération algérienne des donneurs de sang. Il s’agit là d’un projet qui sera prochainement concrétisé. Nous sollicitions ainsi l’aide des Européens en la matière pour avoir de l’expérience. Nous voulons comprendre comment ils en sont arrivés à produire, à développer cette culture du don de sang. Nous ne leur demandons pas l’aumône, mais juste qu’ils nous aident à acquérir cette expérience. Nous voulons un genre de plan Marshall dans ce domaine pour aider toute l’Afrique. Il faut savoir que les Européens ont plus de 100 ans de travail dans la collecte et le traitement du sang. Nous avons par ailleurs un autre projet de jumelage entre la wilaya de Bouira et une association portugaise. Il faudrait que l’Algérie s’adapte impérativement aux normes CE. L’agence nationale du sang, en collaboration avec l’OMS, travaille dans l’optique d’une gestion centralisée et l’installation d’un serveur à l’échelle nationale qui sera chargé de contrôler et coordonner les wilayas disposant d’un excédent de sang et celles qui connaissent une pénurie. Le serveur alertera également lorsque des poches de sang vont être périmées ce qui permet de rationaliser ou d’optimiser leurs utilisations et ainsi se mettre au diapason du don de sang réel dans le monde. Les globules rouges se conservent jusqu’à 40 jours, les plaquettes entre 5 à 6 jours et le plasma congelé jusqu’à une année. C’est une course contre le temps et on gagnerait à disposer d’un fichier national pour recouper et recenser l’ensemble des donneurs à groupes rares pour les appeler lorsque le besoin se fait ressentir. Il nous reste à améliorer la gestion. La santé à un coût, mais elle n’a pas de prix !

Entretien réalisé par Hafidh Bessaoudi

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