Au cœur d’une zone sinistrée

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Avant-hier jeudi, 8h du matin. Le jour se levait sur cette localité qui avait, la veille, vécu l’enfer.

Une brise matinale rafraîchissait quelque peu le chef-lieu communal, l’ex-Oued Ksari, 25 kilomètres au Sud-ouest de Tizi-Ouzou, encore sous le poids de la fatigue de la veille. Les militaires encore sur les lieux après une nuit passée à surveiller la situation, montaient enfin dans les camions pour rejoindre leurs casernes, après des vingt quatre heures de dévouement. Les citoyens, eux, commençaient à sortir de chez eux, vaquant à leurs occupations, mais toujours sous le choc de ce qu’ils ont enduré la veille. Nous prenons le CW152 qui mène vers Tachtiouine et les autres villages du flanc ouest du chef-lieu communal. L’air était toujours irrespirable. De part et d’autre de ce chemin sinueux, de la cendre à perte de vue. Notre première escale fut le premier hameau de cette grappe de village (Rabets), dévasté par les flammes.

Aâmi Mouh et les volontaires racontent…

Des villageois, les yeux encore rougis par la fumée, ramassaient les câbles électriques qui traînaient par terre. «II ne nous reste plus rien. Je suis resté des heures enfermé à l’intérieur de la maison avec mes enfants. Nous ne pouvions pas sortir au risque d’être asphyxiés. On aurait cru que c’était la fin du monde», nous confie l’un d’eux, accablé. Son père le rejoint : «Par où commencer ? Peut-être par remercier Dieu qui a épargné nos vies, puis les jeunes volontaires qui ont lutté contre les flammes comme des lions». Emu, il ajoutera : «Durant toute ma vie, en tant que conducteur d’engin à l’APC, j’ai pris part des dizaines de fois à des interventions d’extinction d’incendies. Mais cette fois-ci, je n’arrive pas à comprendre ni à expliquer ce qu’il s’est passé. Le feu qui a pris là-bas juste en face, au lieu-dit Amalou Oubayred (la forêt du lion) n’a pas mis plus de dix minutes pour ravager tout le maquis avant de traverser l’oued et d’arriver chez nous. En vingt minutes à peine, vous voyez les dégâts. Le lycée a été sauvé in extrémis par un camion-citerne de l’entreprise turque». Notre destination suivante fut le village Imoulak. Tout est calciné. Plus aucun olivier, ni aucun figuier, ni aucun poirier n’est debout. Tout a été réduit en cendres. Les villageois, qui avaient passé la nuit dans le noir, les câbles électriques ayant brûlé, s’étaient regroupés et attendaient la commission de la daïra qui devait évaluer les dégâts. Un éleveur, accablé par la perte de tout son cheptel, accourt : «Il ne me reste plus aucun olivier et j’ai assisté, impuissant, à la dévastation de mes vingt moutons par les flammes. Je suis ruiné », lança-t-il, ne pouvant retenir ses larmes. Les témoignages sont de plus en plus poignants. «Vous savez, avant-hier, un sexagénaire a trouvé la mort alors qu’il voulait aider son baudet à sortir de l’étable. Hier, un autre a failli mourir asphyxié. Il fut évacué à la polyclinique du chef-lieu avant d’être transféré à l’hôpital Krim Belkacem de Draâ El-Mizan où il a été hospitalisé. Ses jours ne sont heureusement plus en danger», nous racontera un habitant du village.

De gros moyens déployés, en vain…

Contrairement aux incendies qui avaient touché, mardi, six villages importants, à savoir Ath Rahmoune, Afir, Ath Slimane, Tarikht, Imaksnène, Ath Ouacifs et Ath Attella, l’incendie du lendemain, mercredi, a complètement ravagé Rabets, la cité au chef-lieu, Tala N’Rabets, Imoulak et plusieurs autres hameaux. L’appel lancé à toutes les communes de la wilaya par le maire, ainsi que le déploiement de la protection civile, des militaires, des gendarmes et les services des forêts ont néanmoins permis d’épargner les vies humaines et un grand nombre de maisons. «Dès que la situation a commencé à devenir inquiétante, nous avons installé une cellule de crise. Celle-ci était présidée par le maire et constituée de trois autres élus, à savoir un chargé de la communication et de l’information, un autre de l’organisation des moyens matériels et un agent technique. Nous l’avons installée au siège de l’APC. Mais au fur et à mesure que la situation évoluait, nous faisions des sorties sur le terrain pour organiser les secours. Des camions-citernes nous ont été envoyés en renfort de Mechtras, Assi Youcef, M’Kira, Draâ El-Mizan, Tizi-Ghenif, Draâ Ben Khedda, Sidi Naâmane et plusieurs autres municipalités, suite à l’appel que j’ai lancé aux maires de ces communes que je tiens à remercier pour avoir répondu présents. Le plan Orsec-incendie de la daïra a été déclenché et le wali a installé une cellule de crise qui a suivi l’évolution de la situation aussi bien dans notre commune que dans les autres municipalités de la wilaya», expliquera le maire. Devant la mairie, face aux jeunes volontaires qui avaient participé à la lutte contre les flammes, l’un d’eux nous relate : «Les pompiers n’ayant pas d’accès vers plusieurs hameaux touchés par les flammes, ce sont des volontaires munis de seaux remplis à partir de ces camions qui se sont attelés à protéger les maisons. Nous sommes en 2017 et nous continuons à utiliser des moyens rudimentaires pour lutter contre ce genre de catastrophes. Avec les 1 000 milliards de dollars du pétrole, notre pays n’a toujours pas de canadairs pour lutter efficacement contre des sinistres comme ceux d’hier et d’avant-hier».

Le maire fait le point sur les dégâts

«Pour seulement les deux journées de mardi et mercredi, pas moins de quatre cents hectares (oliviers, figuiers, chêne-liège) sont partis en fumée», dira le maire, M. Said Bougheda : «Jusqu’au jour d’aujourd’hui (Jeudi matin ndlr)), nous avons recensé près d’une cinquantaine d’habitations touchées, 50 ovins brûlés vifs, quinze poulaillers réduits en cendres, des centaines de mètres de câbles électriques brûlés et tombés à terre et 20 000 arbres fruitiers décimés, notamment des oliviers. Les enquêtes sont toujours en cours et le bilan des dégâts risquent encore de s’alourdir», poursuit-il. Beaucoup d’habitants du chef-lieu et des villages croisés déclareront presque en chœur : «Certes, nous avons vu des camions-citernes arriver sur les lieux, mais les secours ne sont pas arrivés à l’heure. Le plus gros des dégâts a été enregistré dans la matinée», regrette-t-ils en substance. «Ceux qui ont provoqué ces feux sont des criminels de la pire espèce, ils méritent la guillotine. Ce sont des ennemis de la vie», dénonceront plusieurs citoyens.

L’APC réclame un statut de commune sinistrée

Aït Yahia Moussa est l’une des communes des plus pauvres de la wilaya, toutes les enquêtes sociales l’ont démontré. Avec ces deux sinistres, elle le devient un peu plus, quand on sait que la plupart des habitants de cette municipalité ne survivent que grâce à leurs oliveraies et à leurs élevages. «Nous avons rédigé un rapport détaillé sur ces deux incendies. Tous les dégâts y sont notés. Nous avons sollicité le wali pour que notre commune soit déclarée zone sinistrée, en espérant qu’un programme d’indemnisation soit mis en place», enchaîne le maire. Et de conclure : «Je tiens à remercier de vive voie tous les services de sécurité (police, gendarmerie, ANP) qui nous ont assistés durant cette journée cauchemardesque. Nous remercions également tous les maires qui ont mis leurs moyens à notre disposition».

Reportage réalisé par Amar Ouramdane

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