Le tapis ou l’honneur de la tribu d’Aït Hichem

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Ath Hichem, un village pittoresque perché à 1 200 mètres d’altitude, sur les hauteurs de la somptueuse montagne du Djurdjura, dans la commune d’Ath Yahia relevant de la daïra d’Aïn El-Hammam à l’Est du chef-lieu de la wilaya de Tizi-Ouzou, a toujours été un refuge et une terre d’accueil pour les populations charnellement liées aux us, aux traditions ancestrales et au savoir-faire artisanal. Le nom d’Aït Hichem est définitivement attaché au métier à tisser depuis au moins deux siècles. Le tapis, le burnous et les différents vêtements tissés avec finesse par les doigts des femmes de la localité ont donné un cachet artisanal à la bourgade. Il est pratiquement inconcevable de parler du tapis sans faire la liaison avec Ath Hichem, comme c’est le cas d’ailleurs pour le bijou et Ath Yenni, la poterie et Maâtkas, la robe et les Ouadhias. Des métiers artisanaux, des savoir-faire locaux et des produits du terroir qui font immédiatement penser aux localités expertes dans le domaine. L’histoire du tapis d’Aït Hichem remonte à la fin du 18ème siècle. En ces temps, le village qui ne se composait que d’à peine 1 000 habitants, n’avait d’autres ressources que l’argent envoyé par les expatriés et bien sûr de celui provenant de la vente du tapis tissé par les femmes. Ce village qui compte aujourd’hui près de 4 000 habitants répartis sur trois grands quartiers (Iderman), à savoir les Ath Madi, Ath Mendil et Ath Usbas, continue de tirer grand profit de cet artisanat féminin local. Ce village est toujours géré par une organisation ancestrale, à savoir Tajmaât. Les tamens (délégués des iderman) et l’amin (le chef du comité) sont toujours respectés et écoutés. La première école de tissage Le métier à tisser a conquis tous les foyers du village. Toutes les femmes s’adonnaient au tissage, pour traverser les affres du colonialisme et la misère d’antan. Les femmes d’Aït Hichem sont initiées à ce métier dès leur jeune âge. Le métier se transmettait de mère en fille. C’est ainsi pour l’ensemble des savoir locaux. Les femmes, au fil du temps sont passées maîtresses dans cet art qu’elles développaient avec une intelligence rare. Les multiples motifs de décorations sont en réalité des messages. Sur un tapis ou sur un objet de poterie, on peut découvrir toutes les informations relatives à la famille et à la femme qui a tissé ou modelé l’objet. Les produits artisanaux sont du coup de véritable journaux pour celui et celle qui sait les décoder. Un deuil est signalé, un heureux événement, l’aisance, la famine, la richesse, la pauvreté et les difficultés sont définis par des signes et des motifs. Les moyens de communication, de transport et d’information n’existaient pas durant les siècles passés. Les femmes ont ingénieusement inventé des motifs pour communiquer et transmettre des messages. La première école du métier à tisser a été construite en 1892 à Aït Hichem, par les colons français. Des centaines de femmes sont passées par cet établissement et des dizaines d’instructrice françaises et algériennes y ont enseigné. Cette école a continué de fonctionner jusqu’au début de la révolution de novembre. Elle a été transformée en camp militaire. Les particularités du tapis d’Aït Hichem Le tapis d’Ath Hichem est tissé avec de la laine provenant de la tonte des moutons. La laine brute subit alors plusieurs opérations et se transforme en aadil, axelal, abarnus, aabane et dakdift. Les tissages d’Aït Hichem sont généralement ornés de motifs géométriques exécutés à la main avec sept fils colorés. Ces symboles de files fins de couleur blanche sont mis sous un fond sombre (bleu indigo, rouge, vert olive ou brin foncé), ce qui donne de l’éclat et de la brillance au tapis. Les motifs fortement décorés donnent l’impression d’être brodés. Des motifs, tels de véritables textes idéographiques disposés en bandes transversales sur les bordures du rectangle, sont en fait des textes à lire. Hélas, ce métier à tisser a pris un mauvais coup ces dernières années. «Le tapis d’Ath Hichem est en déclin. Il ne peut prospérer qu’à Aït Hichem, sa terre de naissance. Je ne dirai pas qu’il y a une mauvaise intention mais la délocalisation de la Fête a été une erreur. Même avec les subventions faramineuses de l’État, ce métier n’a pas décollé, bien au contraire. Aujourd’hui que la Fête est de retour au bercail, je souhaite que l’on soit soutenus et aidés par les directions concernées pour justement préserver cet art ancestral, le promouvoir et le moderniser. Aujourd’hui, la laine est trop chère, les espaces commerciaux n’existent plus, la formation manque et les moyens modernes font défaut. C’est à cela que nous devons tous nous atteler si on veut pérenniser ce métier qui constitue notre identité, notre patrimoine et notre gagne-pain», dira une des femmes tisseuses. Jeudi, une journée de joie et de bonheur à Ath Hichem Avant-hier, en effet, à l’occasion de l’ouverture de la 10e édition de la Fête du tapis, le village s’est orné de ses plus beaux atours. Les villageois, vieux, vieilles, hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, se sont tous réunis devant le portail de l’école primaire qui abrite la manifestation. La troupe traditionnelle d’Idhebalen s’est attelée à créer l’ambiance des grands jours. Les femmes tisseuses, heureuses de retrouver leur fête, se sont admirablement adonnées à exécuter des parades de la danse traditionnelle. La joie et le bonheur se lisaient sur le visage de l’ensemble des présents. «N’est-ce pas là un bonheur parfait et une joie indescriptible qui se dégagent de cette atmosphère ? Youghaled sser tamurt, les femmes tisseuses et les villageois ne sont-ils pas heureux de retrouver leur fête ? Les gens doivent comprendre que le tapis est indissociable du village d’Ath Hichem. C’est son milieu naturel», notera Mme Taos Ait Ouazou, présidente de l’association des femmes tisseuses. À signaler que la Fête a été rehaussée par la présence du secrétaire général de la wilaya, du P/APW de Tizi-Ouzou, du représentant du ministère de l’Artisanat, des directeurs de la pêche et de l’artisanat et de celui du tourisme. Sur la scène artisanale aménagée par les jeunes du village, la chorale locale a égayé l’assistance par de sublimes chants. Hocine, un garçon poète, n’a pas manqué de rendre hommage aux femmes tisseuses en déclamant une poésie raffinée. Le maire d’Aït Yahia, le P/APW, le secrétaire général de la wilaya, le représentant du ministère, l’ancien président du comité de village et la présidente de l’association organisatrice n’ont pas manqué de saluer les femmes tisseuses pour avoir préservé ce savoir local. Ils se sont tous engagés à faire le nécessaire pour assurer la pérennisation et la promotion du tapis d’Ath Hichem. Après la visite des différents stands d’exposition-vente, les invités et l’ensemble des présents ont été invités à partager un repas traditionnel. À rappeler que cette fête qui retrouve, désormais, son milieu naturel, Aït Hichem, après avoir été délocalisée ces dernières années à Tizi-Ouzou, durera jusqu’au 21 août avec une exposition permanente en plus d’un programme culturel, scientifique et artistique. Cette manifestation a regroupé une quarantaine de participants. Quatre wilayas ont participé à cette édition. Il s’agit de Ghardaïa, Khenchela, Touggourt et Béjaïa. Le bijou, la broderie, la robe kabyle, la poterie, la vannerie, le livre et d’autres objets artisanaux y sont aussi exposés.

Reportage de Hocine Taib

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