L’école algérienne décortiquée

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À l’initiative de l’association socioculturelle Tagrawla de la commune d’Ath-Leqsar, au Sud-est de la wilaya de Bouira, une conférence-débat a été organisée, avant-hier samedi, au centre culturel de cette localité.

Intitulée «Crise de l’école ou crise de société ?», cette conférence a été animée par le professeur Hamid Bouhbib, maître conférencier à l’université d’Alger II, qui a traité de plusieurs aspects de l’école algérienne. Le conférencier a, en effet, analysé l’évolution de l’école algérienne et a décortiqué les différentes réformes subies par l’école algérienne, d’avant l’indépendance jusqu’à nos jours. D’emblée, le professeur Bouhbib a assuré que l’école algérienne a été influencée à travers son histoire par l’évolution de la société algérienne. D’abord avant l’indépendance avec les ingérences françaises et la résistance des Algériens, qui s’accrochaient à leur identité, notamment à travers la création d’écoles musulmanes ou algériennes, et le refus des populations de l’inscription dans les écoles françaises, qui proposaient pourtant une panoplie importante de matières scientifiques. «Certains estimeront que c’est une forme d’intégrisme et d’accrochement à la religion, mais il est plus logique de dire que c’est une forme de résistance, car l’objectif des Français était avant tout d’effacer les composantes identitaires du peuple algérien. C’est pour cela, d’ailleurs, que le plus grand nombre des zaouias, qui enseignaient l’islam et la langue arabe, étaient en Kabylie», a-t-il affirmé. Le Pr Bouhbib rendra, par la suite, un vibrant hommage aux enseignants algériens, qui ont assuré la continuité des écoles durant la première année de l’indépendance : «En 1963, la majorité des enseignants ont déserté nos écoles et il y avait très peu d’Algériens qualifiés pour l’enseignement. Malgré le manque de moyens, d’encadrement et de structure, ils ont pu quand-même assurer la continuité de ce service et enseigner durant la première année de l’indépendance. D’ailleurs, ils n’étaient pas rémunérés cette année-là», a-t-il ajouté. Le manque d’enseignants et d’instituts de formation, qui a secoué l’Algérie post-indépendante poussera les décideurs de l’époque à faire appel aux pays amis de l’Algérie. C’est, ainsi, que des milliers d’Egyptiens, Irakiens, Libanais, Russes, Polonais et Espagnoles ont été appelés à la rescousse et ont assuré pendant plusieurs années l’enseignement à plusieurs niveaux. Le conférencier affirmera qu’il s’agit d’une très importante étape dans l’évolution de l’école algérienne. Selon lui, malgré les bonnes intentions du gouvernement algérien, mais cette démarche a provoqué la création d’un système scolaire hétérogène : «C’était une obligation historique. Les Algériens voulaient gagner la bataille de la scolarisation. Certains courants politiques dénoncent à ce jour cette démarche, particulièrement les Berbéristes, mais les Algériens n’avaient pas d’autres choix à cette époque-là que de faire appel aux pays amis, dont figuraient des pays arabes mais aussi de l’ex-bloc soviétique. Peu à peu, l’école algérienne a perdu de son identité, car chaque enseignant est venu avec sa propre méthode, son propre programme et ses propres objectifs. Je me souviens à cette époque, quand j’ai été élève au lycée Mira de Bouira, nous avions au moins 15 nationalités différentes d’enseignants. Il y avait aussi beaucoup de contradictions et l’école algérienne s’est transformée en une sorte de multinationale», a-t-il poursuivi. Un élément très important qui a poussé les décideurs algériens, particulièrement à la fin des années 1970, à adopter un nouveau mode de gestion de l’école qui est l’algérianisation. Selon le conférencier, le gouvernement a lancé un vaste chantier pour la formation des enseignants et la création de manuels scolaires standardisés, selon les spécificités de la société algérienne. Mais cette méthode a encore montré ses limites, puisque la compétence manquait énormément chez les éducateurs algériens: «À cette époque, il ne fallait pas être diplômé pour enseigner en Algérie. Des élèves exclus de la quatrième année moyenne se retrouvaient enseignants dans la même école, quelques mois après leurs exclusions. C’était une solution populaire et populiste, surtout que l’Algérie ne disposait pas de moyens nécessaires pour réaliser cette politique. C’était franchement dramatique et il n’y avait même pas une différence d’âge entre les enseignants et les élèves. Ce n’est qu’après, dans les années 1980, que le ministère de l’Enseignement s’est ressaisi, en créant les instituts de formation ITE», a-t-il ajouté. Après les années 1990, le problème de manque d’effectif commençait à être résolu, mais l’école algérienne s’est heurtée à un autre problème, encore plus épineux, qui est la massification des effectifs. Pour le gouvernement, il s’agit là encore d’une obligation historique, notamment avec l’instauration du système fondamental : «Beaucoup d’analystes et de chercheurs critiquent sévèrement le fondamental, mais il faut entendre aussi que c’est ce même système qui a formé une grande classe intellectuelle algérienne, car l’école était partout et ouverte à tous. La massification des effectifs et l’absence de débouchées pour les exclus de ce système a affecté ce système», a-t-il martelé. Les nombreuses réformes scolaires ainsi que la suppression du fondamental n’ont pas pour autant pu régler la crise de l’école algérienne qui s’est retrouvée confrontée à une autre crise à partir de 1990, un problème doublement économique et culturel à la fois : «Durant les années 1990, la banque mondiale et le FMI se sont ingérés même dans la gestion de l’école. C’est comme ça qu’on a imposé aux enseignants le système de la prime de rentabilité. L’on se demande comment l’école peut être rentable économiquement ? En plus de la crise identitaire et politique qui a secoué notre système scolaire», a-t-il encore insisté.

Baisse du niveau scolaire, insécurité et absence de projets de société

À l’instar des autres pays de la planète, l’Algérie a été, elle aussi, touchée par la crise de la mondialisation et de la libéralisation des services. Parmi les phénomènes l’ayant affectés, le conférencier citera la baisse du niveau scolaire, l’insécurité, la violence et enfin l’absence d’un projet de société bien étudié. Pour le Pr Bouhbib, ces éléments restent relatifs et leur degré diffère suivant chaque analyse : «Les analyses sont différentes d’une partie à une autre. Moi je pense qu’il faudrait brosser un tableau global, objectif et bien étudié. Il est vrai que le niveau de réussite au BAC, par exemple, reste très faible dans notre région, mais le nombre d’élèves l’ayant obtenus en 2017 a doublé comparativement au résultat de 1970, le nombre des élèves excellents aussi. Peut-on parlé dans ce cas de baisse de niveau ? Y-t-il baisse de niveau sur le plan littéraire ? C’est vrai comme le disent les gens, les élèves ne savent même pas écrire une simple demande, je me repose une autre question, les lycéens des années 60 et 70 pouvaient-ils le faire ? Ce n’est pas le cas sur le plan des sciences, car nos élèves maîtrisent de plus en plus les mathématiques, la physique, les sciences et la technologie modernes. D’ailleurs, sur ce plan, c’est les enseignants qui éprouvent des difficultés à s’adapter avec ces nouvelles sciences», a-t-il martelé. Concernant le problème de l’insécurité et de la violence au sein de nos écoles, le conférencier affirmera qu’il s’agit en premier lieu d’un problème de société. Pour lui, c’est toute la société algérienne et l’humanité en particulier qui souffre de ce problème de société : «Même si on n’aime pas le dire, mais nous sommes violents, et c’est automatiquement que l’école sera touchée. Nos jeunes sont facilement influençables en raison des nouvelles technologies et des maux de société. Les élèves sont de plus en plus âgés à l’école et le personnel de l’éducation se féminise de plus en plus. C’est un phénomène qui touche aussi l’ensemble, et les moyens de surveillances des méthodes ont aussi évolué. Actuellement, on n’a pas le droit de violenter un élève, physiquement ou psychologiquement, au risque de se retrouver devant les juges», a-t-il ajouté. Le conférencier s’est aussi attardé sur le problème d’absence de projet de société. Selon-lui, ce problème est dû essentiellement à l’instabilité qui a caractérisée l’école algérienne depuis l’indépendance, en plus des influences et des ingérences des organismes économiques mondiaux. Il citera, également, le problème de la centralisation de la prise de décisions et il plaidera pour l’implication des parents d’élèves, des citoyens et de la société civile dans la confection des programmes scolaires, car pour lui, enseigner est devenu un acte marchand et a perdu sa valeur humaine et noble : «Chez nous, seul le ministère de l’Éducation est capable de changer ou de modifier les manuels ou les programmes scolaires. Les citoyens n’ont jamais été impliqués dans ce débat. Chose qui a engendré aussi la démission des parents, qui ne suivent plus leurs enfants à l’école. L’enseignant devra, donc, enseigner et éduquer aussi ces élèves, ce qui n’est pas faisable en toute logique. Les courants intégristes s’ingèrent de plus en plus et leur influence se fait sentir. Comme c’est le cas, par exemple, pour cette polémique enclenchée suite à la suppression de la Basmalah sur les livres scolaires. Bizarrement, les enfants des auteurs de cette polémique sont tous scolarisés à l’étranger ou dans des établissements privés ! L’élite qui devrait recadrer le débat est aussi démissionnaire malheureusement !» a-t-il affirmé. Le conférencier clôtura son riche intervention, en traitant du volet linguistique au sein de l’école. Il plaidera pour l’utilisation des langues Dardja (l’arabe dialectique, le kabyle…) dans l’enseignement des premières années primaires car, selon lui, l’ingérence des langues dès les premières années de la scolarisation peut provoquer un conflit psychologique à long terme : «Il faut faciliter l’apprentissage, surtout aux élèves des premières et deuxièmes années primaire, pour leur permettre une meilleur intégration au système scolaire. Avec cette méthode, nous produirons des élèves stables sur le plan psychologique et avec un niveau nettement meilleur», a-t-il conclu. À noter pour la fin qu’un riche débat a suivi cette conférence. Beaucoup parmi l’assistance sont intervenus pour poser des questions à propos des maux de notre école et d’autres questions d’actualité. Le professeur Hamid Bouhbib, originaire du village d’Ath Abdellah-Ouali dans commune d’Ath-Rached, est maître conférencier à la faculté des lettres de l’université depuis une dizaine d’années. Il a à son compte plusieurs publications et recherches, notamment sur la littérature et la poésie populaire algérienne. Il publiera aussi des traductions des poèmes de Si Moh Oumhend et des études de Mouloud Mammeri en langue arabe.

Oussama Khitouche

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