«La dévaluation du dinar est une nécessité»

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Le professeur Hartmut Elsenhans, est maître de conférences à l’Institut des sciences politiques de l’université de Leipzig en Allemagne. Docteur en sciences économiques et en Histoire, le Pr Elsenhans a édité plusieurs recherches et des études sur l’Algérie, notamment dans les domaines de l’Histoire, de la politique et de l’économie. Ami de la Révolution Algérienne, qu’il a soutenue dès son jeune âge en Allemagne, il a aussi exercé en tant que conseiller auprès des ministères de la Planification et des Finances en 1989. Depuis, il revient fréquemment en Algérie, notamment pour des conférences et des recherches scientifiques. Il est aussi l’auteur de plusieurs recherches et contributions scientifiques publiées dans des revues universitaires d’Algérie. Nous avons profité du passage de «l’ami de l’Algérie», dimanche dernier, à l’université de Bouira, où il a assisté au Colloque international sur l’entreprenariat, pour lui poser quelques questions, notamment sur la situation économique qui prévaut en Algérie et sur les alternatives de la sortie de crise.

La Dépêche de Kabylie : Votre histoire avec l’Algérie date d’avant l’indépendance.

Pouvez-vous nous raconter comment avez-vous connu notre pays ?

Hartmut Elsenhans : En Allemagne, j’appartiens à une génération qui avait beaucoup de solidarité avec la cause Algérienne. Je me rappelle de la première information que j’ai eue à propos de la guerre d’Algérie, j’avais à peine 11 ans et au moment des accords d’Evian, tout juste 20 ans, donc j’ai connu presque toutes les étapes de la lutte des Algériens pour leur indépendance. J’appartiens aussi à une famille qui n’a pas cru aux slogans et à la politique colonialiste française, donc je dirais que c’est assez normal que je me sois engagé pour la cause Algérienne. Je crois aussi que la guerre d’Algérie a été centrale pour l’Histoire de la France et par ricochet de l’Europe, car sous la direction du générale de Gaulle, la France ne s’est pas retirée de l’Algérien sans amertume et elle a réussie à gérer d’une manière souple sa décente de rang de grande puissance mondiale à une puissance moyenne et européenne, c’est la chose que l’Allemagne n’a pas réussi à faire après la tragédie de son histoire moderne. Donc, c’est à partir de cette approche comparative que j’ai décidé de faire ma thèse doctorale sur la Guerre d’Algérie, ce qui explique mes nombreux déplacements vers votre pays juste après l’Indépendance, en plus de l’intensification de mes relations avec les Algériens, les diplomates, les politiques et les universitaires notamment. Mon travail d’historien a été considéré comme plus proche de la réalité comparativement à ce que faisaient les Français. À partir de 1962, j’étais donc reçu régulièrement en Algérie pour les besoins de conférences sur l’Histoire. J’ai aussi exposé ma théorie économique ici même en Algérie, une approche scientifique qui plaide en résumé pour une égalité sociale plus approfondie, c’est avec cette égalité qu’un pays pourra atteindre une structure capitaliste auto-entretenue avec des investissements plus développés. Cette théorie a été beaucoup appréciée en Algérie à cette époque-là. D’ailleurs, l’ancien ambassadeur d’Algérie en Allemagne, M. Ali Oubouzar, et qui une fois devenu ministre de la Planification m’a invité à rejoindre son équipe en tant que conseillé en 1984. J’ai travaillé en Algérie pendant une année et j’ai essayé d’apporter ma modeste contribution aux efforts du gouvernement de l’époque pour une ouverture sur le marché, plus particulièrement pour la création des toutes premières entreprises privées algériennes. Nous avons essayé, à l’époque, d’assurer une transition tranquille vers l’économie de marché tout en renforçant la présence de l’Etat dans son rôle en tant que régulateur du marché. Durant les années de la guerre civile en Algérie, beaucoup d’Algériens m’ont sollicité pour commenter le processus de libéralisation, j’ai toujours répondu favorablement jusqu’à ce jour. Durant cette période tragique, j’ai aussi soutenu toutes les initiatives pour l’établissement de la paix et du dialogue. Je crois que l’Algérie est le second pays après l’Allemagne, pour lequel j’ai concentré mes efforts de recherche. En plus de l’économie et de l’Histoire, j’ai aussi essayé d’effectuer des recherches sociologiques, notamment au sujet de l’islamisme politique et des tendances culturalistes en Algérie. En tout cas, je resterai toujours attaché à ce pays.

Quelle évaluation faites-vous de la crise économique qui frappe présentement l’Algérie ?

Le problème de l’économie en Algérie, c’est que les réformes économiques et l’ouverture vers le marché libre ont profité à une classe qui possède des moyens politiques pour l’accès au surplus. Cette classe est composée en partie de capitaliste dynamique. Ces derniers ont besoin d’une large demande interne ou bien de la capacité d’exporter. La large dynamique interne est difficile à concrétiser en Algérie, d’abord pour des raisons politiques et sociologiques, car les pauvres n’ont pas les moyens à faire valoir leurs approches politiques ou économiques. Ensuite, pour les exportations, l’Algérie n’a pas vraiment un grand succès dans le monde, surtout pour le secteur manufacturier, non pas parce que les Algériens sont incapables de produire pour le marché mondial, mais parce que le taux de change suit la richesse en pétrole. C’est-à-dire que l’Algérie a des prix du travail tellement élevés par rapport à d’autres pays du tiers monde, au point qu’elle ne peut plus être compétitive. Il faudrait gérer la rente à travers une baisse du taux de change, cela ne signifie pas la renonce de la rente, je m’explique : l’Algérie facture son pétrole en dollar, si le dinar est dévalué cela ne changera en rien la valeur des exportations en pétrole, mais cela change les revenus des classes moyennes et pauvres, qui n’ont pas beaucoup accès aux devises. Donc, si ces deux classes profitent de la rente, notamment à travers une baisse du taux de change, je pense qu’elles pourront s’impliquer davantage dans la relance économique. Par conséquent je dirais que la sous-évaluation de la monnaie nationale est plus que nécessaire pour que l’Algérie puisse se placer dans le rang des pays exportateurs. Cela a été le cas par exemple, pour la Chine récemment, le Japon en 1919 et l’Allemagne en 1949, ces pays ont réussi à renverser la courbe des exportations et des importations grâce à cette démarche. Malheureusement, en Algérie beaucoup de gens, notamment ceux qui ne sont pas vraiment introduits en économique pensent qu’une monnaie forte est synonyme d’une forte économie. Au contraire, une monnaie forte est toujours un handicap. Par ailleurs, l’Algérie doit être capable d’assurer la large consommation de ses citoyens, donc elle doit être auto-suffisante et il est clair que l’Algérie ne pourra pas atteindre l’autosuffisance alimentaire actuellement. Pour se faire, il faut établir une véritable coopération euro-méditerranéenne, et ce, dans l’ensemble des domaines. Cela demande un certain niveau de confiance politique.

Et pour les réformes économiques adoptées en Algérie menées depuis la baisse des prix des hydrocarbures ?

La politique de baisse des subventions de l’Etat et de la relance de l’industrie appliquée actuellement peuvent réussir, à condition que l’Algérie se protège de l’extérieur. Il faut protéger l’économie et combattre les importations illicites et la concurrence déloyale. Il faut maintenir les barrières douanières, car si les investisseurs algériens parviennent à couvrir les besoins du marché local, ils pencheront systématiquement vers l’exportation. Il faut aussi établir de véritables liens académiques pour que l’Algérie rattrape son retard en matière de technologie. Il faut que l’Algérie s’ouvre davantage vers les pays comme la Corée du sud, qui a réussi en peu de temps à dépasser des grands pays comme l’Espagne en matière de développement, d’industrie et d’innovation. Malheureusement, l’élite algérienne est renfermée sur elle-même, le pétrole a endormi les énergies algériennes. Il faut sortir de cet isolement et travailler, c’est simple!

Que proposez-vous de concret pour la relance économique ?

Il faut au début dévaluer le dinar pour encourager les investisseurs locaux à l’exportation, ensuite il faut s’engager dans un grand programme d’assistance sociale pour les démunies et enfin, il faut rétablir le sentiment de solidarité entre les classes algériennes. Les classes pauvres ont le droit de s’impliquer et de travailler pour la relance économique, même si ce sera une perte de temps ou d’argent, mais cela contribuera à lancer effectivement ce processus. Il faut aussi que la classe moyenne investisse dans l’économie, car dans le contexte de crise actuel, c’est le seul moyen pour maintenir cette classe moyenne dans votre société. Il faut aussi trouver une solution à la bureaucratie pour faciliter l’investissement à l’ensemble des algériens. Il faut bannir ce discours hérité du colonialisme pour établir les mécanismes de la relance économique, tout le monde doit contribuer à sa manière dans ce sens. Justement, je prépare actuellement une publication pour expliquer davantage mes propositions pour le cas algérien.

Vous êtes optimiste pour l’avenir de l’économie algérienne ?

Les pays ne meurent jamais, toutes ces histoires de décadence ne sont que des histoires. À chaque fois qu’il y a changement dans un pays, c’est de nouvelles élites qui se replacent et garantissent la transition et la continuité. Je ne souhaite pas un destin à la tunisienne ou comme la Libye à l’Algérie. Il faut que les élites algériennes adoptent un discours progressiste et elles doivent s’impliquer pour un développement efficace. Malheureusement, l’Algérie est confrontée à un problème de courage.

Entretien réalisé par Oussama Khitouche

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