Le combat identitaire en Algérie fut long, dur, semé d’embuches et abreuvé du sang de ses infatigables militants.
Si, aujourd’hui, Tamazight est reconnu langue officielle et Yennayer journée nationale, le mérite revient certainement à tous ceux qui ont porté cet engagement, qui a traversé les générations et le temps, dans leurs cœurs. Et ils étaient nombreux. Ce fut, de tout temps, un combat porté par toute une population. Après la régence des Turcs, vint l’occupation française en 1830. En 1880 déjà le premier intérêt à cette langue se manifesta à travers le linguiste, sociologue et historien Mohand Said Boulifa. Ses travaux, datant de 1925, sont aujourd’hui encore une référence. Il eut également Mohamed Abès (Maroc) qui a structuré la grammaire amazighe dès 1916. Toujours durant la période coloniale, la revendication de cette langue maternelle et de cette culture autochtone n’a cessé d’être clamée. La situation est devenue emblématique en 1949 avec l’apparition de ce qui est appelé «La crise berbériste» ou «La crise anti-berbéristes», menée par Laimèche, Aït Amrane, Khelifati, Aït Ahmed et d’autres. Après une période marquée par la mise en stand-by de ce combat, privilégiant la lutte armée pour l’indépendance du pays, vint l’académie berbère en 1967, dont l’objectif était de redonner à Tamazight sa dimension nord-africaine. Son travail en néologismes a au moins servi à rallumer la flamme de cette revendication et à réveiller la conscience populaire. La région ayant toujours été à l’avant-garde de toutes les luttes démocratiques, la revendication identitaire a été portée par la Kabylie, et c’est là qu’est né le Mouvement Culturel Berbère, dans les années 1980. La génération Mammeri a révolutionné cette lutte. Le mois d’Avril restera ancré dans la mémoire collective de la population de cette région et dans les mémoires de tous ceux qui se reconnaissent dans cette cause. Au cours du Printemps berbère 1980, plusieurs centaines d’étudiants furent victime de la répression. L’apport des détenus de ce mouvement n’est plus à prouver. Ils étaient très déterminés, leur vie ne signifiait rien à côté de leur engagement pour cette cause. Juste pour l’histoire et citant les Mouloud Lounaouci, Said Khellil, Djamal Zenati, Arezki Aït Larbi, Ourabah Ali Chikh, Aziz Tari, Achour Belghezli, Mustapha Bacha, Achab Ramdane, Arav Aknin, Amar Mezdad, Salem Chaker, Arav Benyounès, M.A. Haddadou, Samya et Saad Buzefran parmi tant d’autres qui ont milité chacun dans sa génération. L’officialisation de Tamazight est revendiquée. L’Algérie connut la plus importante manifestation depuis l’indépendance. Le 17 avril, dans un discours du Président Chadli Bendjedid, l’Algérie est déclarée un pays «arabe, musulman, algérien», et «la démocratie ne signifie pas l’anarchie». La nuit du 19 au 20 avril, l’université de Tizi-Ouzou est prise d’assaut par les forces de l’ordre au cours de l’opération dite Mizrana. Le 20 avril, à la suite de la répression, une grève générale spontanée est déclenchée par la population de la ville : plus aucune enseigne en arabe ne subsiste, ni plaque de rues. La rupture entre le pouvoir et la Kabylie fut consommée, notamment après qu’une loi portant sur la généralisation de l’utilisation de la langue arabe est entrée en vigueur, le 5 juillet 1998. Après ces mesures, un autre printemps berbère était prévisible, et il eut lieu en 2001. Et ce fut un printemps noir, avec des émeutes et une répression sanglante. 126 jeunes y ont perdu la vie, assassinés. Du sang de ces jeunes, le mot ‘’libertés’’ fut gravé. En 2002, une lueur d’espoir vint illuminer la saga identitaire. Le gouvernement, enfin, présente un projet de loi consacrant Tamazight langue nationale, mais pas officielle. Le 8 avril, c’était fait ! La langue amazighe est reconnue langue nationale, mais toujours non officielle. Un acquis certes considérable, mais qui ne répondait pas aux aspirations de toute une population. Le combat pour l’identité, ayant fait parti du quotidien de ses propulseurs, a subi des mutations, suivant les différentes conjonctures que traversait le pays. Il a été aussi l’enjeu de calculs politiciens et d’ambitions personnelles. Après tant de lutte et de sacrifices, elle devient langue officielle en 2016. Et en 2018 Yennayer est désormais journée nationale chômée et payée.
Kamela Haddoum