Accueil National Loin de Bouira, près de Bordj…

Ighil N’Ath M’hend, dans la commune d’Ath Rached

Loin de Bouira, près de Bordj…

2441
- PUBLICITÉ -

Il s’agit probablement du village le plus délaissé et isolé de toute la wilaya de Bouira. Le village d’Ighil N’Ath M’hend (administrativement connu sou le nom de Draâ Ouled M’hend), relevant de la commune d’Ath-Rached, à une trentaine de kilomètres au Sud-est de Bouira, souffre du manque des commodités nécessaires.

- PUBLICITÉ -

Les villageois ne cessent d’interpeller les responsables locaux et les autorités de la wilaya sur la nécessité d’inscription de projets de développement pour les faire sortir de cet isolement qui persiste, mais en vain. La semaine dernière, lors de notre virée sur les lieux, les rues du village étaient presque vides. Ighil N’Ath M’hend ressemblait plutôt à un village fantôme, où règne un froid glacial. Perché à plus de 1 100 mètres d’altitude en plein cœur du massif des Bibans de l’Est, ce village est frontalier avec la wilaya de Bordj Bou Arreridj. Les habitants, dont le nombre dépasse les 600 âmes, souffrent d’un isolement total et du manque cruel des moyens. Ainsi, beaucoup d’entre eux ont quitté le village: «La majorité des maisons sont vides !», explique Omar, un jeune habitant du village, précisant que les dures conditions de vie ont poussé pas mal de familles à déserter leur village natal. «La vie est très rude chez nous. Les chutes de neige sont fréquentes. Avec chaque épisode neigeux, le village est systématiquement bloqué et isolé du reste du monde. Des fois, nous passons de longues semaines avant que la principale route ne soit rouverte à la circulation, à cause de l’amoncellement de la neige. Les villageois qui ont quitté leur terre ne l’ont pas fait durant la décennie noire ou à cause de l’insécurité, mais en raison des conditions de vie très dures. Il n’y a ni gaz naturel, ni routes, ni transport, ni réseau de téléphonie mobile, et il n’y a même plus d’eau dans la fontaine du village !» ajoute notre interlocuteur, qui nous invitera à faire un petit détour au niveau du village.

Aucune salle de soins ni le moindre outil de communication !

À travers les ruelles du village et dans le décor constitué de maisons éparpillées sur plusieurs collines, les citoyens étaient unanimes à dire que le village est «abandonné» par les autorités publiques. Certaines évoquent l’absence d’une salle de soins, après que l’ancienne structure réalisée durant les années 80 ait été transformée en détachement de la garde communale et abandonnée par la suite, alors que d’autres évoquent l’isolement et le manque des moyens de transport. Les jeunes, pour leur part, déplorent l’absence totale d’infrastructures de jeunesse, de sport ou des opportunités d’emplois : «À chaque fois que je reviens au village, j’ai l’impression que le temps s’arrête. Les conditions climatiques sont très rudes. En hiver, il fait très froid et en été, nous suffoquons de chaleur. Dans notre village, il n’y a même pas un stade ou une salle de sports pour permettre aux jeunes de s’adonner à une pratique sportive, alors que les moyens de transport se font très rares et même les écoliers font face à ce problème, puisque la mairie n’a réservé qu’un seul bus de transport scolaire pour les élèves de tous niveaux !» fera savoir Ahmed, un jeune universitaire, avant de poursuivre : «Le manque de moyens de transport est un vrai problème dans notre village. Le deuxième problème auquel nous sommes confrontés est l’absence de couverture de réseau téléphonique. Ici nos portables sont tous hors-ligne. Pour téléphoner ou passer un appel en cas d’urgence, il faut se déplacer au village voisin d’Assif N Lekhmiss sur près de 10 km !» Les villageois ont aussi évoqué un autre problème de taille qui les pénalise au quotidien. Il s’agit de la fermeture de la salle de soins du village et qui a été, selon eux, transformée au début des années 1990 en détachement de la garde communale et puis abandonnée après le départ des éléments de ce corps de sécurité en 2009. Depuis, la structure est fermée et non-exploitée : «Nous attendons depuis plus de 10 années la réouverture de cette salle de soins. Les responsables locaux qui se sont succédé à la tête de notre commune n’ont pas respecté leur promesse pour sa réouverture. Nous n’avons même pas d’ambulance dans notre village et nous sommes obligés de transporter les cas d’urgence et les femmes enceintes avec nos propres moyens, jusqu’à la polyclinique de Bechloul ou vers l’hôpital de Bouira sur de longues distances. Ironie du sort, nous ne pouvons même pas contacter les secours ou les pompiers en cas d’urgence, puisque notre village n’est pas couvert en réseau téléphonique ! Même pour les petits soins, nous sommes obligés de nous déplacer à la salle de soins de la commune voisine d’Ath-Leqsar, étant donné que c’est la plus proche de notre commune», se désole Ami Ramdhan, un ancien moudjahid du village.

Raccordement au gaz naturel : un rêve pour les villageois

Le raccordement du village au réseau du gaz naturel demeure la revendication phare des citoyens d’Ighil N’Ath M’hend. Ces derniers n’ont, en effet, jamais cessé de porter cette revendication à travers plusieurs plateformes de revendications et lettres transmises aux responsables de la commune, de la daïra ou de la wilaya, mais aussi à travers une dizaine d’actions de protestation. Les villageois insistent toujours pour la réalisation de ce projet si important pour eux, mais aussi pour la préservation du tissu forestier qui entoure leur localité : «Face à l’absence du gaz naturel et le manque du gaz butane, puisque notre village ne dispose pas d’un dépôt de vente de gaz butane ou d’une station-service, nous n’avons pas d’autres choix que d’utiliser le bois surtout pour le chauffage. Par conséquent, nos forêts sont sérieusement menacées. Nous sommes conscients de ce danger, mais nous n’avons malheureusement pas d’autres choix», ajoute un autre villageois, qui affirme que presque la totalité du tissu forestier de la région est touché par le défrichement anarchique et qu’aucune opération de reboisement n’a été menée depuis plus de 30 ans. Ce phénomène provoque aussi un autre problème compliqué dans ce village, qui est l’exploitation illicite des assiettes forestières par certains villageois, notamment dans la filière oléicole. Ainsi, les villageois réclament l’intervention rapide des services de la conservation des forêts de la wilaya pour réguler cette activité et protéger, par conséquent, le tissu et le domaine public forestier : «Nous savons que la forêt peut constituer une activité économique pour notre village et peut aussi créer des postes d’emploi pour nos jeunes, malheureusement son exploitation est anarchique et dévastatrice au niveau de notre localité. L’on se demande pourquoi les gardes forestiers ne se sont jamais déplacés sur les lieux pour s’enquérir de cette situation catastrophique ? Vu ce patrimoine important et cette situation alarmante, la conservation des forêts devrait installer un détachement au niveau de notre village, et nous sommes prêts à aider les forestiers dans leur travail et à s’impliquer dans leurs programmes pour la protection de la forêt et son développement», ajoute notre interlocuteur.

Absence de ramassage des ordures ménagères, éclairage public défaillant, l’eau potable un jour par semaine…

En plus des problèmes de gaz, de transport et de couverture sanitaire, les citoyens d’Ighil N’Ath M’hend souffrent aussi d’une multitude de problèmes qui compliquent davantage leur vie. Selon les habitants, le réseau d’éclairage public est défaillant dans certains endroits et le ramassage des ordures ménagères est inexistant. Pour eux, ces deux insuffisances provoquent un sentiment d’insécurité et aussi la dégradation de l’environnement directe des citoyens, puisque plusieurs décharges sauvages existent aux alentours du village : «Le réseau d’éclairage public réalisé depuis 1990 est très mal entretenu. Les lampadaires ne fonctionnent qu’au niveau de certaines ruelles, ce qui laisse s’installer un climat d’insécurité. Nous souffrons aussi de coupures répétitives du courant électrique, particulièrement durant l’été. L’environnement est aussi sérieusement menacé, car en plus du défrichement, les décharges sauvages et non-contrôlées pullulent et même les sources d’eau sont contaminées», se désole un autre villageois. Les citoyens déplorent également une pénurie d’eau potable qui touche leur localité, en raison d’un rationnement drastique d’eau : «Malheureusement et alors que nous croyons que le grand souci de l’approvisionnement de notre village à l’eau est terminé, nous nous retrouvons actuellement face à un autre problème, car l’eau ne coule dans les robinets qu’une fois par semaine. Au fil du temps et avec l’assèchement des sources d’eau, le village est confronté à une véritable crise d’eau potable. Nous sommes à chaque fois obligés de faire nos réserves d’eau ou d’acheter des citernes aux prix forts», ont-ils encore ajoutés. Beaucoup d’autres problèmes ont été soulevés par les villageois, à l’image de l’exigüité de l’école primaire du village qui ne compte que quatre classes, de l’absence du réseau internet 4G-LTE destiné pourtant pour les zones éloignées et montagneuses, du non-raccordement de certaines nouvelles habitations à l’électricité et d’un réseau d’assainissement, mais surtout du manque des aides à l’habitat rurale. Cette dernière demeure la seule et unique formule de logement qui peut être réalisée dans cette région de Kabylie. En effet, et selon les villageois, pas moins de 250 dossiers pour des aides à l’habitat rural sont toujours en attente au niveau de la mairie d’Ath-Rached, depuis 2012. Lors de notre virée dans ce village, le constat alarmant et désolant dressé par les villageois nous a été confirmé. Un paysage morbide et triste s’offre aux yeux. D’ailleurs, les villageois ne cessent d’interpeller les autorités publiques, à leur tête le wali de Bouira, pour intervenir et mettre un terme à leurs problèmes : «Nous n’avons pas réclamé de grands projets irréalisables. Nous avons seulement réclamés l’amélioration de nos conditions de vie et notre part de développement, à travers l’inscription de petites opérations, si importantes pour nous et pour l’avenir de nos enfants. Malheureusement, si cette situation de marginalisation persiste, c’est tout le village qui sera abandonné et ses habitants partiront ailleurs à la recherche d’une vie meilleure», conclut Omar, notre jeune guide.

Oussama Khitouche

- PUBLICITÉ -