L’aquaculture en quête d’investisseurs

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Depuis l’année dernière, l’aquaculture s’est quelque peu développée dans la wilaya de Bouira, avec la signature d’une convention entre la Chambre de l’agriculture locale et la Chambre de la pêche de Tizi-Ouzou.

Cette filière, relativement jeune, a néanmoins commencé à se développer dès 2003, avec l’ensemencement de l’unique barrage à l’époque, à savoir celui d’Oued Lek’hel. Mais depuis quelques mois, l’engouement des agriculteurs et perceptible, surtout que certains d’entre eux ont bénéficié d’ensemencement de leurs bassins d’irrigation. Des alevins, des carpes et autres espèces, produites essentiellement par l’écloserie mobile de Sétif, sont ainsi élevés à travers plusieurs bassins d’irrigation se trouvant dans différentes communes de la wilaya de Bouira. 30 000 alevins de l’espèce Tilapia rouge, provenant de l’écloserie mobile de Tabia (Sidi Bel Abbès), ont également été introduits dans plusieurs bassins de la wilaya de Bouira au mois d’août dernier. Le tilapia rouge est une espèce pouvant être commercialisée au bout de 6 mois, et sa croissance ne nécessite pas une attention particulière car il s’agit d’une espèce rustique et très résistante à la chaleur. Lors de sa visite de travail la semaine dernière, M. Bouazghi, le ministre de l’Agriculture avait assisté à l’ensemencement d’alevins au niveau du barrage d’Oued Lek’hel dans la commune d’Aïn Bessem. Un barrage d’une capacité de 30 000 000 de m3, dont les eaux sont exclusivement réservées à l’irrigation et desservent une bonne partie du périmètre irrigué de la plaine des Arribs. L’ensemencement de ce bassin n’est pas fortuit, les agriculteurs bénéficient ainsi de ressources de qualité grâce aux engrais naturels obtenus par les excréments de poissons. Une solution bio pour se débarrasser des engrais chimiques, en plus de la production de poissons pour la consommation.

Des moules sauvages en attendant les moules d’élevage

Dans ce barrage d’Oued Lek’hel, en plus de carpes de différentes variétés, on trouve d’autres espèces et même des moules sauvage de calibre plus que respectable. Malheureusement, pour les amateurs de moules, la conchyliculture n’étant pas encore développé dans la région, très peu d’investissements sont envisageables contrairement à l’aquaculture qui demeure un créneau hautement rentable. Il faut savoir que l’historique de la pisciculture en Algérie n’est pas encore assez étoffé car remontant seulement au début des années 2000. A travers la wilaya de Bouira, cette filière est encore plus récente et, à ce jour, près d’une vingtaine d’agriculteurs ont bénéficié d’un quota de plusieurs centaines d’alevins qui ont été ensemencés dans leurs bassins à travers les différentes régions de la wilaya. Lors de ces opérations d’ensemencements, des spécialistes de l’aquaculture ont expliqué aux agriculteurs concernés que même si l’aliment des poissons n’est pas disponible sur le marché, il existe des techniques traditionnelles que l’on peut adapter à ces espèces pour une croissance rapide et saine. Les éleveurs devront les nourrir en leur donnant uniquement des déchets de fruits et de légumes pour assurer un élevage bio et fertiliser leurs bassins par des eaux riches en oligo-éléments. Pour M. Akkouche Abdelmalek, secrétaire général de la Chambre d’agriculture de Bouira, l’initiative de lancer l’aquaculture à Bouira a été prise depuis quelques années après l’augmentation excessive du prix du poisson : «Le ministère de la Pêche n’a ménagé aucun effort pour encourager l’aquaculture. L’idée étant que l’agriculteur produise du poisson pour ses propre besoins, pour sa famille, ses voisins ou ses proches, et pour que l’eau d’irrigation puisse être enrichie par les nitrites dégagées par les poissons. Il s’agit là de l’intégration de la pêche à l’agriculture visant à améliorer les revenus des agriculteurs qui éviteront des dépenses pour acheter du poisson et qui peuvent même parfois revendre leur production piscicole», estime M. Akkouche. La direction de la pêche et des ressources halieutique de Tizi-Ouzou affirme par ailleurs avoir de grands projets pour la wilaya de Bouira, au vu de son immense potentiel hydraulique, notamment avec ses trois grands barrages de Koudiet Acerdoune, d’une capacité de 640 000 000 de m3, Tilesdit avec ses 167 000 000 de m3, en plus de celui d’Oued Lek’hal ensemencé dimanche dernier.

Ensemencement régulier des trois barrages

En 2003, le barrage d’Oued Lek’hel, dans la commune d’Aïn Bessem, a reçu 1 500 alevins de l’espèce carpe royale provenant du Centre National de Recherche et du Développement de la Pêche et de l’Aquaculture (CNRPDA). Deux ans plus tard, et après cette première expérience jugée satisfaisante, 10 000 alevins de la même espèce ont été introduit dans ce barrage. En 2006, 100 000 alevins de carpe argentée et 50 000 alevins de carpe à grande bouche importés de Hongrie ont été ajoutés. En 2010, 2011, 2014 et 2016, c’est l’écloserie mobile de Sétif qui a fourni 15 000 alevins et 550 000 larves de carpe à grandes bouches et de carpe chinoise. Depuis, force est de constater que les pêcheurs disposant de concessions dans ce barrage sont fréquemment confrontés à des spécimens pouvant aller jusqu’à 18 kilogrammes. En 2015, c’est le barrage de Koudiet Acerdoune, dans la commune de Maâla, daïra de Lakhdaria, qui a été ensemencé avec 150 000 larves de carpe argentée. Toujours la même année, mais au barrage de Tilesdit, commune de Bechloul, 150 000 larves de carpe argentée, 110 000 alevins de la même espèce et 100 000 larves de carpe chinoise ont été ensemencés. Les retenues collinaires ont attendu 2014 pour recevoir des spécimens de larves de carpe argentée et seuls les ouvrages d’Oued Letnine d’une capacité de 600 000 m3 à Aïn Lahdjar, celui d’Oued Boukarou dans la forêt d’Errich et Tissafine de 20 000 m3, une retenue privée d’El Esnam, ont été ensemencés. Au cours de cette même année, au niveau de l’embouchure d’oued Lekhmiss, un agriculteur a bénéficié d’un ensemencement de 10 pièces de sandre génitrice de 1 à 4 kg, de carpes génitrices communes et 300 alevins de mulet. Des poissons provenant de chez un aquaculteur privé implanté dans la wilaya de Boumerdès.

En 2013, seulement 9 agriculteurs ont bénéficié d’ensemencement de leurs bassins. Toutefois, au cours de l’été 2017, deux grandes opérations ont été organisées par la Chambre de l’agriculture de Bouira au profit de 11 agriculteurs. Cependant, l’espèce ensemencée, à savoir le Tilapia Rouge n’a pas pu résister au froid de cet hiver ponctué durant de longues semaines par des températures négatives, sachant que le Tilapia supporte la chaleur mais exècre le froid qui l’anéantit. En 2015, un des agriculteurs de la localité d’El Hachimia a bénéficié de 300 pièces de Tilapia et de 500 alevins de cette espèce.

437,580 tonnes de poissons pêchées à Oued Lek’hel depuis 2008

Pour Mme Yahiaoui, responsable de l’antenne de Bouira rattachée à la direction de la pêche de Tizi-Ouzou, les efforts consentis par le secteur sont énormes et cette politique commence tout juste à rapporter du concret en matière de production : «Pour l’année 2017, nous avons accordé 10 concessions pour le barrage d’Oued Lek’hel et la production de l’année dernière a atteint un seuil appréciable avec 37 468 kg de poissons pêchés dont des carpes argentées à grandes bouches, des gardons et des carassins», détaille la responsable. Un quota moindre comparé à celui de 2009, année au cours de laquelle 183 182 kg de carpes à grande bouche ont été pêchés, selon les statistiques de l’antenne de la pêche de Bouira. Notre interlocutrice souligne qu’à titre d’exemple, et rien que pour le mois de janvier dernier, «nous avons enregistré une production de 8 972 kg. Au total, depuis 2008, nous comptabilisons 437,580 tonnes uniquement pour ce barrage. Pour ceux de Tilesdit et de Koudiat Acerdoune, 2017 a également été productive, selon nos estimations. Pour le moment, aucune concession n’a encore été octroyée, mais les statistiques en notre possession font état d’une production de 29,829 tonnes, entre carpes argentées et carpes communes. Mais je vous répète que ce sont des personnes qui s’adonnent à la pêche récréative ou de plaisance, mais en aucun cas des professionnels», insiste Mme Yahiaoui. Selon cette responsable, les demandes affluent en direction de ses services, mais les investisseurs ne disposent pas tous des critères requis : «Des jeunes sont confrontés à l’administration pour la réalisation de forages pour prétendre à investir dans ce domaine, car il faut savoir qu’à Bouira, il n’existe pas encore de zone d’activité aquacole (ZAA)», indique notre interlocutrice. D’ailleurs, au niveau du site de Tilesdit, à Bechloul, l’Agence Nationale des Barrages et des Transferts (ANBT) est très attendue pour délivrer des concessions qui se font attendre par des jeunes voulant investir dans le domaine de l’aquaculture. Les cahiers des charges pour permettre les concessions seraient en phase de réalisation, nous affirme-t-on. Cependant, les autorités de wilaya sont catégoriques et affichent leur entière disponibilité à «mettre le paquet», pour développer à grande échelle l’aquaculture à travers la wilaya de Bouira. A noter qu’il y a quelque temps déjà l’Institut National de la Formation Professionnelle Spécialisé dans l’agriculture (INFPS) de Lakhdaria a intégré une section dans le domaine de l’aquaculture, pour permettre aux jeunes de se lancer dans ce créneau avec notamment la proximité du barrage de Koudiet Acerdoune comme site d’expérimentation.

Hafidh Bessaoudi

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