«Le GPRA était la concrétisation des promesses du 1er Novembre 1954»

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Natif d’Abizar, dans la commune de Timizart (Tizi-Ouzou), Lounis Mehalla, ancien moudjahid, est un cadre supérieur à la retraite. Dans cet entretien, il apporte des réponses à des questionnements sur des moments clés de l’Histoire de l’Algérie.

La Dépêche de Kabylie : Le 8 Mai 1945 est une date mémorable marquant le passage à l’action armée comme mode déterminant le recouvrement de l’indépendance de l’Algérie. Au sein du mouvement nationaliste, nombreux étaient les militants convaincus de la nécessité de passer à l’insurrection armée…

Lounis Mehalla : Il faut préciser, en effet, que la guerre de libération nationale, enclenchée le 1er Novembre 1954, allait être déclarée le 8 Mai 1945, à l’initiative de certains combattants de première heure qui souhaitent le passage à la violence comme ultime recours pour l’indépendance du pays. Mais, à la dernière minute, le Parti du Peuple Algérien (PPA), estimant que le moment n’est pas propice pour passer à l’action armée contre l’ex-puissance coloniale, à cette époque-là lancera plutôt un appel à l’arrêt du mouvement insurrectionnel. Les préparatifs pour le passage à la lutte armée étaient, certes, prévus. Mais plusieurs régions à travers le territoire du pays n’étaient pas informées à temps de la date du déclenchement de l’insurrection. Aussi, aux yeux des partisans du PPA, le mot d’ordre, à savoir l’enclenchement de la lutte armée contre l’occupant français, n’était pas réalisable à cette époque-là. Des préparatifs pour un sérieux mouvement insurrectionnel suivirent néanmoins, juste après le mois de mai de l’année 1945.

Les massacres de Sétif, Guelma, Kherrata n’ont-ils pas été d’un apport considérable à la conscientisation du peuple algérien de la nécessité de passer à l’action armée afin de recouvrir l’indépendance ?

Le peuple algérien a connu des attaques brutales le 8 Mai 1945. Des milliers de personnes innocentes, des enfants, des femmes, des personnes âgées…ont été brutalement écrasées par les troupes de l’armée française notamment à Guelma, à Sétif et à Kherrata. C’est précisément le tristement célèbre sous-préfet André Achiary qui a parrainé les répressions. Et l’ordre de tirer à bout portant sur la foule et de tuer des milliers d’algériens n’était pas donné par le gouvernement central français. Mais, malheureusement, à cette époque-là les gouverneurs généraux faisaient comme bon leur semblait en Algérie. Ils étaient à la merci des colons et des ultras de l’Algérie française. De toute façon, le criminel sous préfet André Achiary est en grande partie responsable des carnages en Algérie au cours des événements du 8 Mai 1945. Evidemment, il y a un général français qui a pris part au parrainage de la répression massive de civiles innocents. Un autre général français aurait promis railleusement la paix pour dix ans au niveau des régions touchées par la répression brutale et horrible effectuée par les troupes armées de l’ex-puissance coloniale. Seulement, moins de dix plus tard, à savoir le 1er Novembre 1954, le peuple algérien était au rendez-vous et enclenche une véritable insurrection ayant duré plus de sept ans, et qui s’est soldé, au final, par l’indépendance du pays. Voilà l’effet produit par les sordides meurtres commis durant le mois de mai de l’année 1945. Mais, les horribles massacres commis par les soldats de l’armée française ce 8 Mai 1945 ont été suivis par diverses formes de restrictions et le rationnement des denrées alimentaires. La population algérienne se retrouve encore une fois face à d’autres modes de répression. Une répression qui a apporté par ailleurs des maladies comme le typhus ayant ravagé des centaines de personnes. Plusieurs autres personnes ont été affaiblies autant par la pauvreté, la misère, que par les mauvaises conditions de vie et la malnutrition. Les populations subissent la privation sous ses multiples formes. De toute manière, même les caïds, bénéficiaires, à ce moment-là de la grâce coloniale, ne sont pas épargnés par les poux. Les restrictions, la pauvreté et la misère rongeaient en fait tout le monde.

D’où a-t-on inspiré, à votre avis, pour faire face à la répression et aux multiples tentatives d’extermination ?

Effectivement, c’est paradoxal qu’un peuple subissant les affres d’une répression massive, se dresse face à l’ex-puissance coloniale. Mais si on remontait dans le temps, l’Afrique du Nord est une grande épopée, digne d’une légende. Même avant l’avènement de l’Islam, le peuple Numide, qui dérive du mot nomade chez les Grecs, est un peuple résistant qui a tenu tête même aux plus grandes puissances, comme Carthage et romaine. Il y a en Orient aussi, pour un moment, les Perses, qui ne se sont pas étendus ailleurs…Rome était une puissance émergente et unique en son genre. Les Numides étaient les seuls à tenir tête à l’empire romain. C’est Massinissa qui a traité d’égal à égal avec Rome. Il est d’ailleurs le seul souverain à traiter de la sorte avec les romains. L’Histoire a retenu qu’il leur a même confié son petit fils Youghourten, un homme énergique, avec un contingent, au cours de la bataille de Numance, en Hispanie, au nord-est de l’actuel Soria. Par ailleurs, les peintures rupestres du Tassili qui datent de dix mille ans avant Jésus-Christ, dévoilent les Numides qui domptaient les animaux et pratiquaient l’agriculture à une époque où on ignorait ailleurs les techniques du travail agraire. C’est là un symbole témoignant d’une civilisation millénaire qu’on voit à travers les peintures rupestres du Tassili. La mission civilisatrice mise en avant par les divers envahisseurs des peuples d’Afrique est donc un leurre.

Y a-t-il, selon vous, un lien entre le parcours de la Révolution armée, le Congrès de la Soummam et la constitution du gouvernement provisoire de la république algérienne ?

Effectivement, la proclamation du 1er Novembre 1954, en s’assignant parmi ses objectifs «la restauration de l’État algérien démocratique et social, dans le cadre des principes islamiques», visait clairement la création d’une autorité étatique, représentant la souveraineté nationale qui a été incarnée par le GPRA à une étape donnée de la lutte armée. C’est aussi l’un des objectifs du Congrès de la Soummam, lequel en créant des organes et des structures organisant la lutte pour l’indépendance, visait également la transformation des organes de la direction collégiale (CCE-CNRA) en une institution étatique pour prendre en charge les impératifs de la lutte et les éventuelles négociations avec la puissance coloniale par un gouvernement provisoire. Ce qui fut fait le 19 septembre 1958, événement qui a eu un retentissement considérable sur le plan national et international. La proclamation du GPRA, le 19 septembre 1958, a été la concrétisation véritable des promesses du 1er Novembre 1954. Elle fut, en effet, le premier acte fondateur d’une souveraineté nationale préfigurant la restauration de l’État algérien détruit le 5 juillet 1830.

Pourquoi est-ce le 5 juillet qui a été adopté comme date officielle de l’indépendance du pays ?

Les accords d’Evian ont fixé une période transitoire de trois mois en commun accord entre le GPRA et le gouvernement français. Pendant cette période transitoire, on a installé un exécutif provisoire, dont Abderrahmane Farès était président, pour diriger les affaires administratives après le 19 mars 1962 et préparer le vote pour l’autodétermination du peuple algérien. Trois français libéraux font également partie de cet exécutif provisoire établi à Rocher Noir, dans la wilaya de Boumerdès. Aussi, il y a lieu de signaler la présence, en parallèle, de l’organisation terroriste française appelée OAS (Organisation armée secrète), composée essentiellement de pieds-noirs et des ultras de l’armée française. Cette organisation clandestine a commis des crimes horribles. Ses responsables sont rejoints dans la clandestinité par des officiers de l’armée coloniale. Parmi les hauts gradés de l’armée française ayant rejoint l’OAS, le commandant supérieur interarmes en Algérie : le général Raoul Salan. D’autres officiers supérieurs français rejoignirent l’organisation terroriste. L’on cite à titre illustratif les colonels Antoine Argoud et Charles Lacheroy… Ces hommes, en particulier, ont mené une véritable répression contre des innocents durant la période transitoire suivant la signature des accords de paix proclamant le cessez-le-feu en Algérie à partir du 19 mars 1962. Argoud et Lachroy dirigeaient, à cette époque, le 5ème bureau de l’action psychologique, s’occupant de la propagande et de la guerre psychologique. Ils étaient contre les Accords d’Evian. Ils n’avaient pas admis l’Indépendance de l’Algérie non plus. Pour eux, «un bon algérien, c’est un algérien mort». Ils sont rentrés dans la clandestinité, pour commettre des massacres atroces. Il fallait un homme comme De Gaule pour les affronter. Il les a traqués et condamnés par contumace. Et suite à un attentat le visant personnellement, mais sans le toucher, le général De Gaule a même pris la décision de faire fusiller le lieutenant Roger Deguedre qui incarnait l’OAS, cette puissance qui avait fait trembler les Etats Majors français. «Tirer sur moi, je peux pardonner. Mais je ne pardonnerai jamais qu’on tire sur madame De Gaule», a-t-il dit. Il faut dire que cela rejoint une ancienne tradition connue chez les kabyles : la vendetta. En effet, chez nous, on n’abat jamais un adversaire accompagné d’une femme. Il faut rappeler aussi que l’armée des frontières s’est farouchement opposée au GPRA conduit par Krim Belkcem au cours des négociations algéro-françaises à Evian. Mais pour De Gaule, la signature de Krim suffisait pour proclamer définitivement l’indépendance de l’Algérie. Le vote pour que l’Algérie devienne un État indépendant a eu lieu le 1er juillet 1962. De Gaule a reconnu l’indépendance de ce pays le 03 juillet de la même année. On a décidé de choisir la date du 05 juillet 1962 comme date officielle de l’indépendance de l’Algérie pour désormais répondre au 05 juillet 1830, date qui coïncide avec la capitulation d’Alger. Pour moi, cette «combinaison» n’a pas de sens.

Comment une population très réduite, à cette époque-là a pu mettre en échec la grande puissance coloniale qu’était la France ?

C’était en effet la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’un peuple composé d’une population réduite, environ neuf millions d’habitants, qui avait connu tout au long de l’histoire de la colonisation une résistance ininterrompue, sanglante, qui avait subi les pratiques de la terre brulée, des tentatives de génocides, a pu se reconstituer, garder sa vitalité, assurer une autonomie de subsistance, en s’accrochant irréductiblement et viscéralement à sa terre, à sa culture, à son identité, à ses valeurs, et a pu reprendre les armes et vaincre une armée qui était d’une grande puissance. C’est pourquoi nous avons toutes les raisons de penser que l’Algérie constitue un exemple et un monument grandiose dans l’épopée de la civilisation universelle. Ce qui nous arrive aujourd’hui est incompréhensible. C’est un cauchemar.

Comment vous est venue l’idée de vous intéresser à l’Histoire et à la recherche sur l’Histoire de l’Algérie en particulier ?

La passion de l’Histoire m’a été surtout inoculée par le regretté professeur Mohamed Chérif Sahli, militant du PPA-MTLD, professeur d’Histoire à la Sorbonne, qui avait édité à l’époque un petit livre sur l’Emir Abdelkader sous le titre : Abdelkader, le chevalier de la foi. Ce livre a été publié par épisodes dans le journal Algérie Libre que je suivais avec passion. Il écrivait aussi dans le même journal une série d’articles sous le thème : «Les hommes illustres du Maghreb». Originaire de Sidi Aich, wilaya de Béjaïa, Mohamed Chérif Sahli, est l’un des rares intellectuels du PPA-MTLD. Il est devenu ambassadeur d’Algérie dans plusieurs pays durant la Révolution et après l’indépendance. Il a écrit aussi : Le message de Jugurtha, Le complot contre les peuples nord-africains, L’Afrique du nord accuse, Décoloniser l’histoire…Voilà comment la passion de l’Histoire m’est venue. Je suis influencé aussi par trois autres écrivains algériens, dont deux sont actuellement disparus : le regretté Mahfoud Keddache, que j’ai connu particulièrement, Mustapha Lachref et Abou El Kacem Saâdallah.

Entretien réalisé par Djemaa Timzouert

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