Accueil National «L'exposé des motifs est fallacieux»

FERHAT AÏT ALI, expert en économie

«L'exposé des motifs est fallacieux»

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La loi de finances complémentaire pour 2018 vient d’être validée par le conseil des ministres. M. Ferhat Aït Ali, économiste et expert financier, fait la lecture des nouvelles dispositions de cette loi et donne une analyse chiffrée de la hausse des droits de timbres des documents biométriques.

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La Dépêche de Kabylie : Le nouveau projet de la loi de finances complémentaire vient d’être validé par le conseil de ministres. Un commentaire ?

Ferhat Aït Ali : L’idée même d’une loi de Finances Complémentaire sous-entend que la loi en vigueur, pour le reste de l’année en période normale, est touchée de caducité, du fait de l’intervention d’éléments nouveaux non prévus dans l’étude de celle-ci. Normalement, ces éléments nouveaux sont des recettes exceptionnelles non prévues en affectation dans les précédents calculs ou des dépenses nouvelles et impératives, dont les ressources aussi bien que les affectations doivent être budgétisées et surtout discutées par la représentation nationale. Chez nous, cela semble être devenu une sorte de tradition collant à la gestion de l’actuel Premier ministre, qui introduit, toujours par ce biais, des dispositions non prévues par la loi en vigueur discutée à l’assemblée nationale dans ses détails, et même des dispositions qui ne sont nulle part ailleurs introduites dans les lois de finances et apportant des correctifs à d’autres textes votés séparément et ne relevant pas des prérogatives du ministère des Finances. Ce penchant démontre une logique de passage en force de dispositions aussi impopulaires que les surtaxes ou exonérations peu justifiables, ou des dispositions touchant aux secteurs autres que ceux normalement couverts par une loi de finances. Le fait d’avoir préparé dans la précipitation deux textes de projet en l’espace de deux mois est en soi une preuve du caractère peu orthodoxe de ce genre de lois et des mesures qu’on essaie régulièrement de faire passer à travers elles. Et je trouve que celle-ci, au vu du caractère peu urgent de son contenu, aurait pu attendre la LF 2019, pour y introduire aussi bien les nouvelles prévisions de recettes que les dispositions fiscales douanière et domaniales, qui y sont inscrites, tout en l’expurgeant de dispositions engageant d’autres secteurs névralgiques, que le gouvernement doit discuter dans le cadre légal y afférent.

Quelle lecture faites-vous de l’augmentation des droits de timbres pour les documents biométriques ?

Pour ce qui est de la taxe sur les documents en général et pas uniquement biométriques, je trouve que le gouvernement est dans une logique de vente d’un service public à ses citoyens, qui lui paient déjà en impôts de quoi faire tourner sa machine administrative à leur profit théoriquement, et non de quoi transformer les institutions en PME, calculant les charges et peut-être même des bénéfices sur les documents officiels. La comptabilité des charges, pour justifier le coût de la carte biométrique, est révélatrice d’un état d’esprit qui ne s’encombre pas de cohérence. A titre d’exemple, pour le permis biométrique, il est question de charges calculées de réalisation d’un document de ce type, où l’amortissement de la dépense inhérente à l’achat des équipements est comptabilisée à hauteur de 5 000 dinars par document, ce qui revient à dire que pour doter tous les Algériens majeurs de ce document, et il faut compter 20 millions de têtes, les coûts des équipements à amortir est de 50 milliards de dinars. Soit 0.5 milliard de dollars, ce qui est évidemment faux et étriqué comme calcul, les terminaux se vendant quelques centaines de dollar au plus, et les serveurs quelques centaines de milliers. Cette dépense n’ayant jamais été inscrite dans le détail dans les dépenses passées de l’Etat, je ne vois pas d’où peut sortir cette comptabilité d’un service public, au prix d’un investissement dans l’industrie lourde. Il en est de même pour le passeport qui, manifestement, a été facturé à 4 000 dinars la page et 15 000 dinars pour les gens pressés, étant établi dans le même papier et selon les mêmes filigranes que la monnaie, si ces charges devaient être réelles, on en serait à des billets de banques plus chers à produire que leur valeur. D’ailleurs, la logique qui fait passer le permis lourd au double du permis léger, prouve que le coût de l’investissement et du service ne sont pour rien dans cette logique de recherche de revenus par tous les moyens possibles. L’exposé des motifs est fallacieux et cache mal une volonté de se renflouer sur le maillon faible, qui ne peut faire autrement que chercher ses documents. En termes de calculs fiscaux, si on s’en tient à une moyenne de 2 millions de cartes d’identités à établir par année, à 1 million de permis de conduire et 750 000 ré immatriculation de véhicules dont 80% de légers, on peut trouver une incidence annuelle en termes de recettes de timbre attendues de l’ordre de 40 milliards de dinars, si la demande n’est pas plombée par ce genre de taxes rédhibitoires, pour des document d’utilité générale et même exigibles pour certains comme la carte d’identité biométrique, seule preuve écrite de l’«algérianité» du détenteur.

Quel est le rapport que l’on peut établir entre l’augmentation des taxes et les subventions ?

Les subventions généralisées sont maintenues, et c’est le citoyen qui les a toujours payées dans les faits, à travers les taxes ou les ressources naturelles, orientées au gré des politiques du gouvernement et non d’une logique de justice sociale bien définie. Mais cette fois, on peut dire que ce que le gouvernement attend de ses propres documents de contrôle de ses citoyens, dépasse légèrement le montant de la subvention sur le lait en sachet, qui tourne elle aussi à 40 milliards de dinars. En contrepartie, certaines niches fiscales, inexistantes dans les précédentes lois mais accordées quand même à certaines parties en dehors de toute assise juridique, semblent être réduites en partie, par l’article qui introduit, une TVA de 9% sur les Kits CKD, des véhicules montés localement, sans rien préciser sur les produits finis, qui théoriquement sont taxés au taux normal, ne figurant dans aucune liste d’exonération de TVA dans les codes, ni dans aucune loi de finances. D’autres incohérences sont également à relever, aussi bien dans le renvoi à la discrétion de l’administration pour l’application de taxes, que dans les exposés des motifs qui sont parfois aux antipodes du discours tenu sur les mêmes secteurs ciblés.

Entretien réalisé par Kamela Haddoum.

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