Quel sens pour la réussite et l’excellence dans une société en proie à l’effet Dunning-Kruger ?

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Par Idir AHMED ZAID Université Mouloud Mammeri ‘‘L’incompétent se présente toujours comme expert, le cruel comme pitoyable, le pécheur comme dévot, l’usurier comme bienfaiteur, l’arrogant comme humble, le vulgaire comme distingué et l’abruti comme intellectuel.’’ Carlos Ruiz Zafón (Le Jeu de l’ange, 2009).

Une sagesse du terroir nous commande de se mesurer à meilleur que soi, à l’imiter pour y rivaliser et le surclasser éventuellement. Incarnant le sens de la concurrence loyale sur la base de l’effort intelligent et de la compétitivité, cette devise semble avoir perdu son sens et sa place dans nos référents sociétaux et systèmes de gouvernance dont le champ de la formation et de l’éducation en particulier.

Lors de la proclamation des résultats des examens de fin de cycle des divers paliers de l’éducation nationale, des commentaires ont cours dans les médias pour tenter d’identifier les facteurs à l’origine du succès d’un établissement particulier ou la suprématie d’une wilaya des années durant, en l’occurrence la wilaya de Tizi Ouzou, comme cela a été le cas l’année écoulée.

En 2018, elle est encore en tête du classement, avec un écart appréciable de 13.3 points relativement au taux de réussite national moyen des candidats scolarisés (69.18% contre 55.88%) et de 12.36 points en termes de taux de réussite global combinant candidats scolarisés et candidats libres (56.97 contre 44.61%).

C’est dire que ces écarts sont notables, clairement discriminants et synonymes de performance indiscutable même s’ils revêtent un caractère relatif. Par ailleurs, un de ses lycées a frôlé le seuil de 95 % de taux de succès, malgré les grandes perturbations qui ont contrarié l’exécution des programmes. Enfin, relevons que pour les candidats libres de cette wilaya, on a retenu pour les calculs un taux de succès identique au taux national de l’ordre de 20.75% ainsi qu’un taux d’absence de l’ordre de 30% tel qu’annoncé par les services du ministère de l’éducation.

Ces résultats ne souffrent d’aucune équivoque et confortent le caractère indubitable de la distinction des élèves de cette wilaya. Nonobstant la suprématie indéniable de la wilaya dans les résultats dans l’examen du baccalauréat depuis pratiquement une décennie, récompensant ainsi un effort conjugué des élèves et de leur encadrement, ceux-ci sont affectés des réserves générales à l’instar des résultats du bac à l’échelle nationale.

Elles sont relatives au niveau des sujets proposés dans les diverses épreuves, au volume restreint des matières dispensées au vu de la réduction drastique du temps pédagogique rogné par les grèves récurrentes, mais aussi aux dispositions prises lors des corrections où apparemment tout semble être ramené à l’avantage et la faveur de l’élève et va dans le sens de l’amélioration des taux de succès.

S’agissant de classement par wilaya, il est utile de rappeler que la première responsable du secteur a jugé cet aspect non significatif et non pertinent lors de la proclamation des résultats du bac de 2017, égratignant le corolaire basique de la recherche de la qualité et de l’excellence, de l’émulation par la concurrence saine et la course au meilleur.

Loin d’accorder à ce type de questionnements une portée objective et de le verser dans une dynamique qui nourrit le sens constructif et l’intérêt général, il semble plutôt s’orienter vers une perception un tant soit peu nihiliste et réductrice du succès et qu’aujourd’hui, il semble devenu une tare d’être excellent au point de se focaliser prioritairement sur le phénomène de la triche au détriment de la qualité du niveau et des résultats attendus de l’examen du baccalauréat.

On se heurte alors à une question pertinente consistant à savoir s’il est dépréciant que de tenir le haut du pavé une décennie durant dans un champ aussi vital au développement du pays et l’amélioration de la condition humaine et d’assister à une attitude de minimisation de ces bons résultats ? L’année passée, des analyses à travers la presse insinuaient même que des investigations auraient été menées pour déterminer s’il n’y avait pas favoritisme dans les surveillances et les corrections à l’origine de ces résultats ? Si tel était le cas, alors cette conception réductrice et tronquée de la réussite devient gravissime.

Et nul ne se pose la question de ce que peuvent ressentir ces jeunes, moins jeunes et poussins devant le peu de considération accordée à leurs capacités intrinsèques et la dévalorisation de leurs efforts et amour de la réussite. On se livre plutôt à la recherche d’interprétations pour le moins bizarres, dégradantes et subjectives fondées sur la suspicion dans un climat général délétère, miné par la diffamation et la délation, favorable à souhait à la croissance de germes de discours déclinistes où tout ce qui est correct et ordinaire apparaît comme une anomalie dans le champ de l’anormalité ambiante.

C’est à s’interroger à quoi riment ces spéculations sur la qualité des résultats de nos élèves sachant pertinemment que le système éducatif national est unique dans ses préceptes et conceptions, uniforme dans ses méthodes, outils didactiques et modes d’enseignement et d’évaluation, égalitariste dans ses modes de gestion et de répartition des ressources humaines, moyens matériels et financiers.

Pour reprendre l’expression de la première responsable du secteur, tout serait fait pour garantir l’égalité des chances aux élèves, que ce soit en termes d’acquisition des connaissances, d’évaluation et de réussite. Dès lors, dans cette approche uniformisante, toute spéculation sur un résultat positif global devient caduque et infondée, et tout refus de reconnaître une réalité positive et objective, celle du succès et de la performance, relève d’une dynamique de dévalorisation et de disqualification de l’investissement des élèves, de leurs accompagnateurs et de leurs propres familles jusqu’au plus humble agent qui leur ouvre les portes de leur établissement.

Ce serait contradictoire avec le principe de l’égalité des chances ainsi prôné. Prétendre que ce qui est significatif, ce n’est pas tant le classement d’une wilaya, mais celui de ses lycées, c’est esquiver cette réalité positive et ignorer le principe d’additivité des contributions partielles des éléments constitutifs d’un tout, à l’image de la loi de Dalton qui régit les mélanges de gaz parfaits en chimie.

On dit bien que ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières ! Et si les petits ruisseaux, ici les lycées, n’apportent pas tous assez d’eau, ils ne peuvent pas confluer à la formation d’une grande rivière. Un lycée ou deux ne peuvent propulser une wilaya entière en tête pendant dix ans consécutifs avec des taux de succès consistants, une hirondelle ne faisant pas le printemps.

On trouvera certainement un lycée premier avec un taux de succès écrasant, atteignant même 95% et un lycée dernier de la wilaya avec un taux de succès en dessous de la moyenne nationale, mais l’essentiel des lycées aux taux appréciables fusionnent en ce taux global de l’ordre de 70% qui hisse la wilaya au premier rang. Spéculer sur ce chapitre, c’est refuser de reconnaître une qualité remarquable à une partie d’une partition d’un ensemble nettement au-dessus de la moyenne nationale (55.88%).

Et pourtant, économiquement, une wilaya qui se distingue, ça possède un sens et ça porte un nom. C’est tout simplement un territoire de l’excellence, de la réussite et donc, une ressource et une plus-value pour le développement de ce territoire à travers l’éducation, même en situation de nivellement et d’uniformisation.

Si l’on veut cultiver l’esprit de l’excellence et de la performance et louer les améliorations subites et l’efficacité du système éducatif en entier, il est d’usage d’élever cet acquis au sommet pour tirer les moins performants vers cette réalisation exceptionnelle, vu les conditions dans lesquelles évoluent les élèves.

Et puis, on sait éminemment que tout est relatif dans le champ de l’éducation qui peine à intégrer les fondamentaux nécessaires à l’épanouissement et la réussite des élèves, vérité que personne ne peut nier devant l’envergure et la complexité d’un système qui n’arrive pas à sédimenter sa propre identité et à trouver ses réelles marques.

Pour étayer la relativité et la modestie des résultats, référons nous au classement PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) qui mesure les performances des élèves sur la base de l’acquisition des savoirs de base tous les trois ans.

En 2015, ce classement place l’Algérie au 69ème rang sur 70 pays qui ont participé au processus d’évaluation, loin derrière notre voisin tunisien, classé 65ème. Il est certain que la signification de ce classement doit être elle-même relativisée étant donné que les conditions d’évolution, les enjeux et les objectifs fixés aux systèmes éducatifs des pays participants ne concordent pas entièrement et peuvent même diverger fondamentalement.

Si pour les uns, ils restent strictement scientifiques et contribuent à la construction réelle du capital humain, pour d’autres, ils épousent un caractère politique et démagogique au vu de la massification de l’enseignement et des enjeux et stratégies des régimes politiques en place. Mais, cela étant, cet aspect constitue un premier indicateur relativement pertinent malgré les disparités dans les caractéristiques des systèmes éducatifs des pays concurrents.

Par ailleurs, le niveau des bacheliers qui accèdent à l’université constitue un second indicateur du caractère relatif des résultats et des carences de notre système éducatif, au-delà du facteur linguistique que l’on a tendance à incriminer. Il y transparaît un déficit manifeste de la maîtrise des fondamentaux dans les matières essentielles axés sur la logique et le raisonnement au profit d’une tendance à l’apprentissage fortement nourrie à la démarche paradigmatique et au couple mémorisation – restitution.

Cet aspect est d’autant plus aggravé par l’incapacité des apprenants à rédiger des textes même sommaires de leur propre synthèse et production en réponse à de simples questions, sans compter un déficit notoire en matière de culture générale, l’étendue de leur champ d’ouverture et d’exploration étant limitée par celle du système en œuvre lui-même. Il est clair que les objectifs essentiels sont loin d’être atteints quand une bonne partie des élèves sortent du premier palier sans savoir compter, lire et écrire correctement.

Ce déficit est traîné tel un boulet jusqu’aux bancs de l’université où des étudiants peinent à être constants dans l’écriture de leurs propres noms et noms de leurs localités de naissance, ou faire usage d’un cercle trigonométrique pour en déduire les valeurs des fonctions trigonométriques d’angles particuliers, ou enfin, à reconnaître la forme d’une équation du second degré et encore moins à la résoudre ! Que dire alors de la procédure d’extraction d’une racine carrée d’un nombre !

Pendant que l’on continue à disserter sur des thématiques redondantes, tels les défis et les enjeux du système éducatif national ou cette attitude hésitante à mettre en œuvre des réformes pourtant superficielles, le moment est venu d’évaluer l’efficacité réelle de ces méthodes d’approche par les compétences et autre affabulation de pratiques pédagogiques pour montrer que l’on plane toujours plus haut en répétant la rhétorique des autres, et de réajuster la courbe d’apprentissage pour la cadrer avec l’essentiel des sciences et des connaissances utiles à être soi-même et parmi les autres, sans quoi on a foncièrement failli.

La gravité des choses est devant nous : elle s’étale au grand jour, telle une piètre toile d’un peintre médiocre qu’aucune galerie n’ose abriter. Elle est supportée par un faisceau d’indicateurs vérifiables par tous et à tous les niveaux, hormis par ceux qui continuent à nourrir le leurre de la gymnastique d’être les meilleurs par le pire et par l’exhibition de données chiffrées maquillées pour défendre les bienfaits de la politique publique de l’éducation et, d’une manière générale, de l’action publique.

Il est donc temps de retourner à un principe de réalité et de simplicité dans les pratiques pédagogiques et aux fondamentaux de l’apprentissage tout en abandonnant ces complexités embarrassantes tant pour les formateurs que pour leurs élèves, qui rognent beaucoup plus le temps pédagogique qu’elles ne leur apportent de bénéfices, sans compter les coûts financiers y afférents. (à suivre…)

I. A. Z.

* Idir Ahmed Zaid est spécialiste dans la Dynamique Globale du Système Terre, Docteur en Géophysique Interne du prestigieux Institut de Physique du Globe de Paris et de l’université Paris VI, enseigne diverses disciplines à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou depuis 40 années dans différents instituts et facultés, où il a occupé également diverses fonctions et responsabilités (Directeur d’Institut, Vice Recteur) et siégé dans les organes scientifiques et de gestion pendant des années. Aujourdhui il enseigne au Département des Sciences Géologiques de la même université et exerce des activités de recherche au Laboratoire des Eaux. Il est connu aussi pour ses travaux et activités de recherche dans le domaine de la langue berbère, notamment dans tout ce qui a trait aux sciences du vivant, de la nature et de la Terre.

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