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TIZI-OUZOU - La fête d’Achoura célébrée demain avec faste

De la tradition séculaire aux évolutions sociétales

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Chaque année, la communauté musulmane célèbre l’Achoura, coïncidant avec le 10e jour de Muharram du calendrier hégirien.

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La signification sunnite de cette fête religieuse est dans plusieurs hadiths avérés, dans lesquels il est demandé aux musulmans de commémorer le jour où le prophète Moussa (Moïse) fut sauvé du Pharaon, en jeûnant le 9e, le 10e ou le 11e Muharram. Cette pratique est devenue, par la suite, facultative après la prescription du jeûne du Ramadan en 624 J-C. Avec le temps, l’Achoura est devenue un repère religieux pluriel, célébré différemment en fonction de la culture locale de chaque pays.

A titre d’exemple, chez les voisins marocains, l’Achoura est synonyme de fête de l’enfance, de la famille et des traditions. A cette occasion, il est offert des jouets, des noix et autres fruits secs et confiseries aux enfants. Au Sénégal, du moins chez la communauté musulmane, l’Achoura est appelée Tamkhari.

Contrairement à d’autres musulmans, les Sénégalais, en plus de la visite aux orphelins et aux malades, se maquillent le contour des yeux avec du khôl. En Irak, les chiites pratiquent le pèlerinage devant le mausolée du petit-fils du prophète, l’imam El-Hussein. Les Kabyles se sont également approprié cette fête rituelle, bien que des particularités et des différences notables soient distinguées à travers les villages.

Sanctuaires et walîy : boussoles cultuelles

Il n’y a pas un village en Kabylie où l’on ne trouve pas de sanctuaire. Dans la majorité des cas, ceux-ci sont des mausolées où reposent d’illustres walîy (saints) auxquels on a voulu rendre hommage en leur érigeant de tels tombeaux. Au village Megheira, relevant de la daïra de Mekla, laquelle connaît une dynamique associative et citoyenne assez spécifique à la veille de l’Achoura, est sis le mausolée de l’un des saints les plus ancrées dans la mémoire collective kabyle. Il s’agit de Sidi Boubkeur.

Ce marabout, enterré dans ce village sis à 35 km du chef-lieu de Tizi-Ouzou, est célébré pour ses actes de bienfaisance au profit des pauvres et des orphelins. Il est également connu pour avoir contribué à la construction de mosquées dans plusieurs patelins. Le monument en question profite à Megheira, puisque depuis plus de trois siècles, il a constitué une boussole cultuelle pour les pèlerins, notamment à l’occasion de l’Achoura.

Conscient de la valeur d’un tel patrimoine, M. Kettane, président du comité de village de Megheira, souligne : «Notre village est connu pour ses mausolées, notamment celui du saint Sidi-Boubkeur, c’est un trésor à la fois financier, identitaire et patrimonial que nous possédons. Nous devons coordonner nos efforts en tant que comité de village avec les citoyens et les associations pour faire de la fête de l’Achoura une réussite totale, en vue de valoriser notre patrimoine matériel, comme le faisaient inlassablement nos aïeuls».

A noter que les pèlerins y pratiquent des rites spirituels, sollicitant par là la baraka. Jadis, la tradition voulait que les nouvelles mariées s’y rendent afin de prier pour la bénédiction de leurs foyers et qu’une Timechret y soit organisée au profit de la communauté villageoise pour célébrer la naissance d’un nouveau-né. Des pratiques témoignant de l’importance de la dimension spirituelle qu’accorde la population locale, depuis des centenaires, à cet évènement.

Ceci bien que ces deux dernières décennies, l’engouement pour cet événement tend à baisser pour diverses raisons. L’on citera, entre autres, le manque d’aménagement des lieux séculaires de recueillement et le contre-discours de certaines mouvances religieuses minoritaires. Cela dit, il y a encore des habitants qui tiennent mordicus à la célébration de cette fête ancestrale suivant les préceptes des anciens.

Timcret : ferment de la communauté villageoise

Timcret, appelée aussi Louziâa, est une tradition ancienne par le biais de laquelle on œuvre significativement à la consolidation des liens villageois. Ce rite fédère, en effet, les habitants d’une même bourgade et constitue aussi une aubaine pour les villageois établis à l’étranger ou en milieu urbain de retrouver leur terre natale, et renouer, par là avec une ambiance villageoise empreinte de solidarité et de convivialité. Ceux-ci ne rechignent d’ailleurs pas à apporter leur pierre à l’édifice en mettant la main à la poche pour que la fête soit réussie. Il faut dire qu’en ces temps de vaches maigres, caractérisés par une flambée des prix sans précédent, tout soutien financier est le bienvenu pour renflouer les caisses villageoises.

Le rite de Timecret peut accompagner toutes les occasions et causes, tels que le nouvel an berbère ou l’arrivée du printemps, ainsi que les événements à caractère religieux, comme les fêtes de l’Aïd ou l’Achoura. Pour célébrer cette dernière, des dizaines de veaux et agneaux sont sacrifiés. Une fois les bêtes dépecées et réparties en quartiers, les foyers auront tous droit à des parts égales. Notons que si l’Achoura est apparue en Algérie il y a une dizaine de siècles avec les conquêtes musulmanes, le rite de Timcret, lui, hautement symbolique, puise ses racines dans l’Afrique du Nord.

Le but reste toujours le même : perpétuer les valeurs séculaires de solidarité, de partage, de bénévolat et de bienveillance. Rappelons, par ailleurs, que des cotisations se font en prévision de l’évènement. Le montant exigé pour chaque foyer diffère d’une année à une autre et d’un village à un autre. A titre d’exemple, dans le village de Laghrousse, sis dans la commune de Mekla, le montant des cotisations est fixé à 20 DA/ habitant alors que dans le village de Tizi-Bouaman, dans la commune d’Aït-Khellili, il s’élève à 5 000 DA par foyer. Outre la stratégie de financement adoptée, les villageois semblent se donner le mot pour une coopération à tous les niveaux, sollicitant l’implication de l’ensemble des acteurs de la société civile.

Agraw : un mécanisme de finance solidaire

Agraw consiste à ouvrir la caisse villageoise en vue de la collecte de fonds auprès des habitants et des pèlerins. C’est un imam, accompagné de sages du village, qui reçoit les dons des participants, pour lesquels il prie bénédiction. A l’instar de Timcret, le rite d’Agraw est organisé en prévision des fêtes de toutes natures et les commémorations.

Son ancrage dans les mœurs locales est qualifié de «légendaire», puisque l’on raconte qu’à travers l’Histoire, des malades ont vu leur état de santé s’améliorer jusqu’à guérison complète à la faveur des prières récitées pour eux. En somme, le rite d’Agraw constitue un réel mécanisme de finance solidaire qui peut être mobilisé pendant l’Achoura.

Les fonds collectés sont destinés à la réalisation de projets d’intérêt commun, en fonction des besoins du village. Contrairement aux deux rites précédents, Bouafif consiste à faire don d’une denrée alimentaire pour l’organisation d’un repas collectif. A cet effet, une dynamique de volontariat est enclenchée par les jeunes du village.

Le panier des biens alimentaires diffère d’un village à un autre, mais il est généralement constitué de mets traditionnels, tels que le couscous, les galettes maison&hellip,; et d’autres produits comme les œufs, la figue sèche, le lait caillé, le petit lait… Chez certaines communautés villageoises, ce sont les membres du comité ou de Tajmâat qui font le tour des maisons pour collecter les dons. Lors des grandes fêtes, en revanche, dans les villages à forte concentration démographique notamment, ce sont les ménages qui apportent leurs plats culinaires vers les sanctuaires ou les places publiques, où sont prévues les collations.

L’animation culturelle toujours au rendez-vous

Bien que la dimension artistique de l’Achoura ne date pas d’hier, avec les fameux chants séculaires Urar el khaleth interprétés par les femmes âgées dans les sanctuaires et mausolées pour donner son cachet festif à cet événement, d’autres activités culturelles sont retenues dans le programme de célébration tracé pour l’occasion.

En effet, dans la daïra de Mekla à titre d’exemple, les villages d’Aït-Kheir et d’Aït Zellal organisent des galas le jour J. Dans cette ambiance conviviale, le moment le plus attendu est l’entrée en scène des troupes idbalen, qui font danser les invités au rythme endiablé du bendir. Dans d’autres villages, comme Tizi N’terga, le programme inclut aussi des pièces théâtrales et des monologues mais aussi des exhibitions sportives.

Enfin, l’Achoura constitue une aubaine pour les artisans et les artistes, qui ne manquent pas d’exhiber, à l’occasion, leur savoir-faire et leur talent. Certes, l’ensemble des coutumes, traditions et valeurs de l’Achoura ne sont pas communes à tous les villages, ni à toutes les époques, puisque certaines sont tantôt abandonnées et tantôt ressuscitées en fonction des attentes collectives des villageois et de la disponibilité des ressources financières.

Mais cette fête religieuse constitue un lubrifiant pour les dynamiques de coordination et de coopération solidaires et une aubaine pour exposer les doléances. Les alliances villageoises autour de ce patrimoine sont appelées à intégrer de nouvelles formes de valorisation innovantes à initiatives, tels que le tourisme cultuel, la coopération décentralisée…

Ahmed Kabane

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