On s’en souvient encore à Tala Bouzrou…

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Dans la matinée du 10 octobre 1961, les habitants de Tala Bouzrou étaient loin de se douter qu’ils allaient vivre l’une des plus effroyables tragédies de l’histoire de leur village.

En cette matinée calme, rien ne présageait qu’ils allaient assister à une bataille qui marquera à jamais l’histoire de la guerre de Libération et celle du village. La bataille d’Azrou Ouguettouf reste encore ancrée dans la mémoire collective des habitants de la région. Les souvenirs sont vifs et les larmes coulent toujours au souvenir des maris, enfants et parents morts devant le regard impuissant de leurs proches. La plaie est toujours béante parmi les combattants qui évoquent, au détail près, ce moment tragique. À la veille de la commémoration du soixante-quatrième anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale, nous avons retracé un fait d’histoire majeur de la révolution à Tala Bouzrou, lequel a forgé les nouvelles générations de ce patelin qui a donné le meilleur de ses enfants pour une Algérie libre, digne et souveraine. En compagnie de Youcef Liman, un producteur de documentaires et archivistes, nous avons recueilli des témoignages d’hommes et de femmes qui portent encore les traces indélébiles de cette bataille. Ils se remémorent encore la voix de leurs camarades, leurs mots et leurs cris d’agonie, au moment où les balles les perforaient. Ils sont morts, mais leur présence est restée éternelle parmi les leurs. Le lieu de la bataille est presque mystique. C’est un immense rocher situé sur les hauteurs du village Tala Bouzrou, à quelques kilomètres du chef-lieu de la commune de Makouda. Il porte encore les traces de coups de canons et de mortiers. Sur sa base, il y a des grottes qui s’étendent sur des centaines de mètres. Le lieu servait de refuge aux maquisards depuis les premiers jours de la guerre. En ce 10 octobre 1961, les villageois assisteront à une des plus macabres batailles de ce petit village reculé, mais à l’histoire chargée.

72 heures d’horreur…

Se trouvant à l’abri ce jour-là Aouchiche Ahmed et Belmiloud Amar sont des survivants de cette bataille. Nous avons recueilli leurs témoignages ainsi que celui de Boukfoussa Fatma et Rebib Tassadit. Aouchiche Ahmed et son camarade Benmiloud Amar racontent comment un maquisard du nom de Boukfoussa Mohamed, dit Moh Saïd N M’hand, fut blessé par les militaires français à Amdhiq Ourihane alors qu’il revenait d’Ighil, où il avait l’habitude de se rendre avec Moh Annan, «un spécialiste des abris». Le maquisard se dirigeait vers Azrou Ouguettouf, avant d’être repéré par les troupes françaises, qui lui livrèrent bataille sur place, à lui et aux autres maquisards cachés sur les lieux. Azrou Ouaguettouf sera rapidement encerclé par l’armée française. Des avions, des canons et des mortiers lançaient des tirs de partout sur des hommes retranchés dans une cache située dans le ventre d’Azrou Ouguettouf. L’assaut commença aux environs de 9 heures et demi en ce 10 octobre et durera trois jours. Les négociations dureront toute la journée. Deux hommes du village, enrôlés dans l’armée française, ont été chargés de demander aux Moudjahidine de se rendre pour avoir la vie sauve. Tous préféraient mourir au champ d’honneur, sauf un, l’infirmier, qui accepta le deal. Après l’attaque, les villageois apprendront que l’homme a vendu deux de ses camarades blessés et réfugiés à Icheriouen. Après une journée de bombardements et de tirs ciblés, la nuit tomba sur Azrou Ouguettouf. Nos interlocuteurs précisent que l’armée française lançait des ballons lumineux pour empêcher les hommes réfugiés de s’enfuir. «A la nuit tombée, racontent Belmiloud Amar et son compagnon, le maquisard blessé était sorti pour respirer, étouffant probablement à cause de sa blessure. Il sera, alors, la cible d’une balle tirée par les soldats français qui guettaient ce moment-là». C’était le premier mort de cette bataille. A l’aube, les maquisards vont tenter un dernier coup de force pour sortir en tirant sur des soldats français beaucoup plus nombreux et armés jusqu’aux dents. Quatre moudjahidine seront tués sur place. D’autres réussiront à se sauver durant la nuit. Nos interlocuteurs racontent que cinq maquisards n’ont pas pu s’en extirper. Dans le feu des échanges de tirs, les soldats français ont cru que tous les hommes retranchés dans l’abri Ouguettouf ont été tués. La bataille prit fin le 11 octobre. Mais le supplice du village Tala Bouzrou n’a fait que commencer. Transportés à bord d’une jeep, les dépouilles des quatre maquisards tués seront exposées à la fontaine du village pour servir d’exemple aux «téméraires». Boukfoussa Tassadit, sœur du premier Chahid de l’attaque, raconte, les larmes aux yeux, comme elle a été amenée à reconnaître son frère : « Il portait encore les chaussures qu’il avait ramenées de France. Je les ai reconnues sur ses pieds qui dépassaient de la Jeep». Quelques heures plus tard, les quatre corps seront déplacés pour être exposés encore, à Tarihant, village limitrophe, puis à Takhamt N’Ldjir. Les martyrs sont Amirouche Mohamed, Moh’N Blanchit, Rebib Moh Akli (Moh N Mhand), Bentoumi Belaïd et Boukfoussa. Après l’exposition des corps, ces derniers seront jetés au fond d’un ravin, au village Takhamt N’Nldjir. Ce n’est qu’après la fin de la guerre que leurs corps seront récupérés et enterrés, dignement, au cimetière des Chouhada de la région. «J’ai ramassé le crâne de mon frère avec mes propres mains», témoigne Tassadit Boukfoussa. Au lendemain de la bataille lendemain, Tala Bouzrou retombera dans son quotidien de résistance. La guerre a été le compagnon de ce village depuis les premiers pas de l’occupation française de l’Algérie. Beaucoup de ses enfants sont morts à Staouéli pour stopper l’avancée de l’armée coloniale. Quelques années plus tard, sous la conduite d’Ali Oumhand, des enfants du village Tala Bouzrou tomberont dans la bataille de Taouerga, pour stopper l’avancée de l’armée française. L’histoire de Tala Bouzrou avec le colonialisme ne s’est pas arrêtée là puisque ses habitants seront parmi les premiers à rejoindre le maquis, en 1945, soit une dizaine d’années avant la lutte armée. Au lendemain du déclenchement de la guerre de libération, Tala Bouzrou sera le premier village à être bombardé par l’aviation militaire coloniale, le 14 novembre 1954.

Akli N.

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