Après le terrorisme… l’oubli

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La région de Sidi Yahia, relevant administrativement de la commune d’Aïn-Bessem (à l’ouest de la wilaya de Bouira), est située au croisement des frontières des communes d’Aïn-Bessem, Aïn Laloui, Souk El-Khemis et Djebahia.

Traversée par la route nationale RN 25, reliant les wilayas de Bouira et de Tizi-Ouzou, elle est constituée d’une dizaine de hameaux, éparpillés sur un massif montagneux peu traversé par les routes. C’est l’une des régions qui ont le plus souffert de la crise sécuritaire des années 1990, dans la wilaya de Bouira. Des katibates entière de terroristes sanguinaires ont occupé ce massif à partir de 1993, y commettant les pires exactions sur les habitants, plongeant toute la région dans un climat de terreur.

La majorité des familles de Sidi Yahia ont dû abandonner leurs foyers, leurs champs et activités, pour se refugier dans des villes limitrophes, à la recherche de sécurité. Aujourd’hui, et même si la situation sécuritaire s’est améliorée, beaucoup de familles n’y sont toujours pas retournées et le spectre de la décennie noire plane toujours sur les collines oubliées de Sidi Yahia. Les quelques familles qui ont regagné leurs propriétés souffrent toujours de l’isolement et du manque des moyens nécessaires à une vie décente dans ces hameaux. Malgré le rétablissement de la paix, grâce notamment aux sacrifices des militaires de l’ANP et des unités de la garde communale, dont des brigades sont toujours stationnées au centre du village, les commodités manquent à Sidi Yahia.

La dégradation du réseau routier, l’absence de l’éclairage public, le non-raccordement de la majorité des foyers au gaz naturel et à l’eau potable, ainsi qu’une défaillance dans la couverture sanitaire, sont les problèmes soulevés par de nombreux villageois que nous avons rencontrés sur place, en ce jeudi 29 novembre. «Malgré le rétablissement de la sécurité et la défaite du terrorisme, Sidi Yahia offre toujours une image triste et morbide. Tout manque ici. Ni aménagement, ni gaz naturel, ni eau potable, ni transport, ni assez d’écoles, ni salle de soins… A part le point sécuritaire, rien n’a changé chez nous ! Ce sont surtout nos jeunes qui souffrent le plus de cette triste réalité. Les rares chanceux ont réussi à décrocher un poste de travail à Aïn-Bessem, les autres se déplacent chaque jour au chef-lieu communal, en quête d’ouvertures», explique Ami Saïd.

Le village donne l’image d’un «No man’s land !»

Malgré le manque de moyens, les villageois essayent de se débrouiller pour améliorer leur quotidien. Ces dernières années, de nouvelles filières agricoles, notamment de montagne, ont vu le jour dans cette contrée. Les villageois, notamment des jeunes, s’investissent dans l’aviculture, l’oléiculture, l’apiculture, ou encore l’élevage de bovins, d’ovins ou de caprins. Ils espèrent bénéficier des différents programmes d’aides, pour fixer et développer ces activités dans la région.

«Nous travaillons avec le peu de moyens dont nous disposons. La région manque énormément d’eau et surtout de pistes agricoles. Les villageois qui travaillent dans ces filières s’investissent sérieusement et résistent face au manque de moyens. D’ailleurs, ils exercent tous dans d’anciennes bâtisses en terre, abandonnées par leurs propriétaires durant la décennie noire», nous explique Mohammed. Z, un jeune universitaire de 34 ans, qui s’est reconverti dans l’élevage bovin.

Notre interlocuteur ajoute qu’il réussit à faire vivre sa petite famille, grâce à cette activité : «Je suis diplômé en journalisme, c’est le chômage qui m’a poussé à changer d’activité, après des années de quête sans résultat d’un emploi. Avec cinq vaches laitières, je réussis à faire vivre ma petite famille, mon épouse et mes deux petits enfants. J’aimerais acheter d’autres vaches, m’installer dans un véritable entrepôt et développer mon activité. Malheureusement, les services de la subdivision agricole, ne m’aident pas et je n’ai pas de carte d’agriculteur ni une assurance !», s’est-il désolé.

Les villageois réclament également la réhabilitation de la RN 25, qui relie leur village au chef-lieu de la commune d’Aïn-Bessem, sur plus de 20 km, ainsi que l’aménagement des petites routes entre les différents hameaux. Ils disent espérer l’inscription d’opérations d’extensions des deux écoles primaires et du collège du village. «Ces établissements scolaires sont surchargés et les élèves sont scolarisés dans de mauvaises conditions», se plaignent-ils. «La RN 25 est dans un état lamentable. Malgré son statut de route nationale reliant deux wilayas, cette route est malheureusement abandonnée. Sur tout le tronçon qui relie notre village à Aïn-Bessem, elle est parsemée de nids de poules et de trous béants qui rendent la circulation automobile difficile, surtout en hiver ou les chutes de neige sont abondantes.

A certains endroits, le bitume a carrément disparu. De graves accidents de la circulation sont régulièrement enregistrés sur cette route, et les services concernés tardent à réagir», se désole encore Ami Saïd. A propos du secteur de l’éducation, notre accompagnateur soulève le problème du manque des moyens de transport scolaire vers Aïn-Bessem et le manque d’enseignants, notamment de langue française : «Nos enfants, inscrits dans les lycées d’Aïn-Bessem, sont privés d’internat et les moyens de transport manquent cruellement. Ils sont ainsi obligés de faire des navette quotidienne de plus de 40 km», A-t-il expliqué.

D’autres villageois soulignent le manque de couverture sanitaire. La salle de soins du village, réalisée en 2013, est souvent fermée, en raison du manque du personnel et d’équipements. «Cette petite salle de soins n’ouvre que deux ou trois jours par semaine. Le reste du temps, elle est fermée. A l’intérieur, il n’y a qu’un lit, quelques tables et chaises et rien d’autre. Seuls deux infirmiers y travaillent, mais ils ne peuvent assurer que des petites opérations de soins ou de vaccination. Pour les cas urgents, nous devons transférer, par nos propres moyens, nos malades, car il n’y a pas d’ambulance. Beaucoup de malades sont décédés en cours d’évacuation vers l’hôpital d’Aïn-Bessem. Les responsables de la wilaya doivent se pencher sur nos problèmes», nous dira un villageois.

La population juvénile déboussolée…

«Nous avons également saisi les responsables locaux qui se sont succédé à la tête de notre commune, à propos de l’absence d’un stade ou d’une maison de jeune à Sidi Yahia. Malheureusement nous n’avons eu que des promesses sans lendemain», se plaignent les jeunes du village, que nous avons croisés sur les lieux. «Dans les villages voisins, de petites maisons de jeunes ont été réalisées, ainsi que des terrains et des salles de sports. Ici à Sidi Yahia, vu notamment le relief accidenté du sol, les jeunes ne peuvent même pas improviser une partie de foot. Nos jeunes enfants souffrent aussi de l’absence de la moindre aire de jeu», précise Kheireddine, un jeune du village.

Notre interlocuteur soulignera aussi, un autre problème dont souffrent les jeunes de la localité. Il s’agit du problème de logement. «Jamais un demandeur de logement de notre village n’a réussi à avoir un logement social ou LSP à Aïn-Bessem. Les autorités locales nous orientent, à chaque fois, vers la formule de l’aide à l’habitat rural, mais, là aussi, les quottas réservés à notre village sont très insuffisants. Par exemple cette année, seulement 40 aides ont été attribuées à des jeunes de notre village, alors que le nombre de demandes dépasse les 1 000 dossiers déposés au niveau de la mairie. Certains ne possèdent pas de terrain où ils peuvent réaliser un logement» a-t-il ajouté.

Les villageois nous montreront des plateformes de revendications, adressées par le passé au maire et au chef de la daïra d’Aïn-Bessem, ainsi qu’au wali de Bouira et au président de l’APW. Dans ces documents, les villageois réclament «le gaz naturel, l’électricité et l’eau potable pour tous les foyers». Ils réclament également «la réhabilitation de la RN 25 et la mise à leur disposition d’une ambulance et d’un chasse-neige, pour faciliter le transport des malades et garder cette route ouvert durant les tempêtes de neige».

L’aménagement des routes du village, la réalisation d’un réseau d’éclairage public et l’installation de nouveaux équipements sont les autres revendications soulevées par les villageois. «Nous attendons toujours le train du développement, qui ne passe toujours pas. En attendant, nous n’avons pas d’autres choix que de nous prendre en charge, nous-mêmes, malgré le manque de moyens», dira encore Ami Saïd. «Je rêvais d’une vie meilleure sur la terre de mes ancêtres. Mais si c’était à refaire, je ne reviendrais jamais à Sidi Yahia. Mes enfants se sont d’ailleurs tous installés, ça me fend le cœur de le dire, mais ils ont eu raison de le faire».

Reportage réalisé par

Oussama Khitouche.

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