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Laine et burnous du Djurdjura

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On imagine le nombre inestimable de mains respectables qui ont manipulé ces outillages d’un autre âge.

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Peignes, cadres, et quenouille“Voici Ifegaguen, les deux ensouples inférieures et supérieure à côté, ou Tirigliwine, les montants gauche et droit avec Ighounam, les deux roseaux. Akhdor, le bâton, de lisse ou bien Taôqazt-guelni comme le dénouement les tisserandes dans certaines régions notamment At Abbas, Tayazzilt, le peigne de tissage, Tijebadine les mâchoires de fer qui tendent le tissage en largeur. Ce sont les six outils de tissage. Le filage a ses propres outils.Voici Izzdi, la quenouille avec sa roue de bois Taguechrirt, c’est un outil qu’on utilise en le faisant rouler sur le mollet; On le file la laine d’un autre façon en utilisant Tassenart le fuseau avec sa bobine de bois et Taroka, la fourche de bois d’oléastre.Le grand peigne dit Imched est toujours accompagné de Talemdalt, le petit peigne à dents recourbées, ces deux instruments servent au sabrage (afrane) de la laine c’est-à-dire le nettoyage des épines et des échardes (issenanène) voilà enfin iqardaden, l’indispensable paire de cadres avec leur millier de pointes métalliques qui démêlent la fibre de laine par frottement dans les deux sens et la préparent à la filature issogra, ce sont ces deux piques de fer longs et lisses sur lesquelles nous montons les fils de chaîne (Tessegrout).Je conserve ces outils pour l’avenir. Je suis convaincu qu’un jour vous reviendrez à vos racines, alors là, vous ne saurez comment remercier de modestes paysannes comme moi qui ont eu le réflexe salvateur de protéger les outils porteurs de la mémoire. Aujourd’hui, personne n’en veut sauf de cupides collectionneurs que seul l’argent l’intéresse. Mes brus (Tislatine) ne demandent même pas à les voir.Aucune d’elles ne maîtrise le métier à tisser. Seul mon fils aîné, passionné de l’artisanat ancestral lui accorde de l’intérêt. Un jour je déciderai de les lui offrir, s’il promet d’en faire un usage culturel. Je sais qu’il ne les vendra jamais, affirme la paysanne entourée de ses petits-enfants. Elle ajoute d’un air nostalgique. “Le monde change trop vite”. Ma regrettée mère, Taos Ou-Omar, connue pour sa grande maîtrise du travail de la laine, m’a confié que parmi les femmes At-Mélikèche, un certain nombre tissaient des tuniques de guerre pour les résistants de l’occupation coloniale française de l’armée tribale dirigée par Ahmed Oussala vers 1850. On raconte que Yamina Ou Baâl, la femme de Boudeghla, possédait un atelier de filature de vêtements de laine destinés aux cavaliers de l’alliance militaire tribale des At-Mélikèche -At Idjer- At-Illoula- Oumalou que dirigeait le guerrier poète Mohand Saïd Amlikech. Les tisserandes utilisaient de la laine d’ovin et du poil de chameau (Louvar).Une légende tenace, colportée par les aèdes et les tambournnaires des contreforts du Djurdjura, établit que le Chérif Boubeghla était invulnérable aux balles grâce à une tunique de laine doublée d’une armature de métal lourd confectionnée par une paysanne d’At-Mélikèche !

Le burnous kabyle est menacé“Ne me donne pas un burnous chaud, apprend-moi à le tisser”, aurait dit un jeune berbère perspicace à son père qui voulait l’honorer pour sa bravoure, rapporte une paysanne centenaire d’un village d’At Melikèche, citant le poète vernaculaire Mohand Saïd Amilech, contemporain de Si Mohand Ou Mhend. Après les habits ordinaires que les berbères ont produit ou copiés sur les Grecs, les Romains et les Arabes c’est au tour du Burnous d’être menacé de disparition ! Dans chacun des dix villages du arch des At-Melikèche il ne reste pas une dizaine de femmes qui maîtrisent le tissage du burnous ! Un véritable drame ! C’est un authentique travail de création et la compétence n’a pas été transmise. Les jeunes filles n’en veulent pas. Fastidieuse, complexe et peu valorisante de nos jours, la technique de tissage du burnous nécessite une réhabilitation dans l’urgence avant l’oubli total et la perte irrémédiable. Le burnous n’est pas uns simple habit. C’est le symbole de la maturité, de la responsabilité et de l’autorité.C’est surtout l’emblème de l’honneur ! Un burnous qui tombe à terre est le signe de la déchéance du déclin moral de son propriétaire. Aït Menguellet fredonne dans l’un de ses chants de nostalgie “A lmoussiw, chdagh yeghli ouvarnoussiw” Où est ma dague, en glissant j’ai perdu mon burnous”.Cette tournure interrogative met en valeur l’importance symbolique du burnous dans la société kabyle. Après sa chute, l’homme cherche son arme blanche pour défendre son burnous, il se soucie plus de la protection de son habit emblématique que de sa propre personne !“Gardez le burnous près de vos cœurs ne le laissez jamais tomber à terre. Avant de disparaître confiez-le à l’un de vos enfants à qui vous avez pris soin d’apprendre sa valeur. Transmettez le savoir-faire, il faut que chaque femme et chaque homme amazigh sache tisser son propre burnous”, demande la vieille paysanne.Porter un burnous est tout un art que l’on acquiert après une sévère initiation. Six façons d’arborer cet habit à valeur symbolique identitaire sont connues dans les contreforts méridionaux du Djurdjura. Un homme qui se rend au marché doit porter le burnous sur l’épaule (avarnous ghef tayets). C’est la tenue de sortie du chef de famille (imsewaq) l’habit officiel des cérémonies de réconciliation et de règlement des conflits qui rehausse le rang social de son porteur.Mettre le burnous sur les épaules, les pans tombants sur les jambes (avarnous ghef touyat) est le port ordinaire du burnous des badauds qui déambulent les ruelles du village par temps doux.S’habiller d’un burnous (yelsa avarnous) c’est passer le plastron dans le cou le capuchon dans le dos et rejeter un pan vers l’arrière. C’est la façon des frileux ou de ceux qui voudraient avec le burnous cacher la qualité des autres habits. Le burnous est souvent un cache-misère.S’envelopper dans son burnous (yetsel avarnous) posture du Kabyle assis sur un ban dans l’agora du village (tajmaât) on dit également s’emmitoufler dans son burnous (yekmounès doug varnous). Nouer le burnous (tamoukrist) est la posture de celui qui s’adonne à une tâche manuelle sans quitter son burnous et enfin la sixième façon de porter cet habit, bien convivial, est de mettre le capuchon de côté (aqelmoun deg diss) comme une poche est la mise de la personne qui revient du marché où elle fait de légères commissions ne nécessitant pas de gros paniers. Il existe sans doute une variété d’autres façons de mettre le burnous, mais est-ce si important au moment où toute une génération ignore son existence. La façon de le tisser c’est une autre histoire !

Tisser l’amour et l’altérité“Le travail de la laine est un travail de fourmi, mais il ne demande pas trop de place. Le métier à tisser est tendu verticalement sur deux perches à faible distance du mur. Il peut rester là aussi longtemps que l’on veut. Mes tantes y passent en quelque sorte leurs moments perdus. Elles s’assoient, alors le dos appuyé au mur, introduisent les brins de la trame entre les fils de la chaîne et tassent avec un peigne de fer. C’est une occupation qui n’empêche pas les bavardages… Quand le sommeil ne vient pas, pendant que nana travaille nous racontons des histoires” écrivait Mouloud Feraoun dans son célèbre roman autobiographique Le fils du pauvre. Quel jeune Kabyle de la génération de la guerre de libération, villageois ou campagnard n’a pas connu le frisson et la magie des contes qui sortent entre les fils du métier à tisser, de mémoires convaincues, totalement acquises à leur narration. C’est à travers ces histoires extraordinaires que nous avons acquis les valeurs les plus partagées par l’humanité l’amour et le respect de l’autre.Feraoun écrivait à ce propos, évoquant les instants magiques passés auprès de sa tante maternelle : “Pendant les récits, nous étions elle et moi des êtres à part. Elle savait créer un monde imaginaire sur lequel nous régnions. Je devenais arbitre et soutien du pauvre orphelin qui veut épouser une princesse, j’assistais tout puissant au triomphe du petit m’quidech qui a vaincu l’ogresse…L’histoire coule de la bouche de Khalti et je la bois avidement. C’est ainsi que j’ai fait connaissance avec la morale et le rêve. J’ai vu le juste et le méchant, le puissant et le faible, le rusé et le simple”. Le tissage était notre école des valeurs, le lieu convivial de l’apprentissage du bien et du mal, de la loyauté et de la traîtrise, de la générosité et de l’avarice, mais également de l’endurance, de la persévérance et de la résistance, de la besogne bien accomplie, du labeur mené à terme et de la satisfaction, de la plénitude que l’on ressent une fois l’ouvrage réussi au bout de l’effort. Les sacrifices de nos mères pour habiller la progéniture. Les souffrances qu’elles ont endurées sont gravées dans nos mémoires. Combien de fois avons-nous dormi au pied du métier à tisser, bercé par le tambourinage harmonieux du peigne qui tasse le fil de trame.Nos sens gardent encore de nos jours des couleurs blafardes de la lampe à huile d’olive (el-mesvah) l’odeur du suint de laine (tawedaht) et les bruits particuliers des doigts de fée qui glissent le fil de laine dans la chaîne infinie des fils verticaux. Nous avions appris à rêver, et à créer un monde à part. Mon père, avant de s’en aller, m’a confié le burnous que son père lui a laissé. J’espère pouvoir le transmettre à mon fils avec toutes les valeurs positives qu’il symbolise, ce qui fait que nous sommes nous et pas les autres et tout ce que nous partageons avec l’humanité”.

Rachid Oulebsir

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