Noms des lieux habités de Kabylie (noms composés)

Partager

Par Ramdane Lasheb

Les traces de l’activité humaine en Kabylie remontent à la préhistoire, comme l’attestent les nombreuses découvertes archéologiques telles que l’industrie lithique, les gravures et les peintures rupestres [1]. Elles témoignent de l’activité et de la présence humaine permanente. Quant aux premiers contacts avec le monde extérieur, ils remontent aux Phéniciens (Carthaginois) qui, par les nombreux comptoirs commerciaux longeant la côte kabyle, ont noué certainement des liens commerciaux.

Les Romains, les Byzantins, les Arabes et les Turcs se succédaient et les montagnes sont restées inaccessibles aux différentes intrusions. La Kabylie du Djurdjura resta indépendante et autonome.

Ce fut donc les Français qui parviennent, pour la première fois de l’histoire, à occuper les montagnes en 1857, en venant à bout de la résistance [2] 27 ans après la chute d’Alger.

Il a fallu mobiliser une armée de

25 000 hommes équipés d’un matériel des plus sophistiqués à l’époque, sous la conduite du général Randon et du maréchal Mac Mahon en « pratiquant la politique de la terre brûlée pour acculer à la reddition les villages et les tribus que les combats n’avait pas pliés » [3].

Par économie de terrain et de défense, les autochtones construisirent leurs habitations sur les cols, les collines et les gorges étroites impropres à toute culture (apiculture, agriculture). Ils réservèrent les pentes pour les cimetières et les terrains à bas relief à l’agriculture. Ainsi, tous les villages se ressemblent dans leurs structures et dans leurs situations géographiques ; l’étude d’un seul suffit pour comprendre toute l’organisation sociale des Kabyles.

Taddart (village) vient du mot dder (vivre) et taddart signifie lieu de vie. Le village est constitué de groupes familiaux consanguins appelés taxarubt (fraction), puis autour d’elle viennent se grouper d’autres familles étrangères pour former adrum (quartier).

Il peut y avoir deux ou plusieurs quartiers dans un village et un certain nombre de villages forment l’aârch (tribu) et ensuite taqbilt (une confédération de tribus) si c’est nécessaire pour faire face à un envahisseur.

En parallèle, d’autres fractions se forment de la même façon et l’ensemble des quartiers forme un village : adrum1+adrum2+adrum3=taddart (village)

Par ordre de grandeur croissant on obtient :

axxam – taxarubt – adrum – taddart – aârch – taqbilt

Cependant, il existe des petits villages issus d’un seul ancêtre. Dans ce cas, taxarubt (fraction) se confond avec adrum (quartier).

Pour distinguer les habitants des villages, il a fallu donner des noms à chacun d’eux et « le lieu marque l’homme qui l’habite et l’homme s’identifie au lieu habité » [4]. Ainsi chaque nom véhicule l’histoire de ses habitants. Hmed Zayed écrivait: « Le toponyme est une forme de fossile où sédimente une somme de faits linguistiques, historiques, sociaux et géographiques. » [5]

Le relief de la région, ses mythes, ses légendes et son organisation sociale furent la base de la toponymie de ces lieux habités. Les noms des lieux peuvent êtres modifiés au cours de l’histoire : dénomination et nomination selon la colonisation.

Les noms des lieux habités de Kabylie sont en général des noms composés :

Exemple :

Tawrirt Mussa

At yidir

Iril N’Wemmas

Un nom composé est constitué de deux parties :

-La base ou le premier composant.

-Le second composant.

Exemple :

Tawrirt Mimun

Tawrirt : base ou premier composant.

Mimun : second composant.

Le second composant est nécessaire pour différencier les noms :

Exemple :

Tawrirt Mussa

Tawrirt Muqran

Tawrirt Aden

Tawrirt Mimun

Ces quatre noms ont tous une même base (taourirt), le second composant est donc nécessaire pour distinguer un nom d’un autre.

Bases des noms habités :

A-Noms à base de montagne :

1) Montagne :

Adrar : montagne Adrar Ufarnu

Awrir : colline Awrir Uzemmur

Tawrirt : colline Tawrirt Mussa

Agemun : mamelon Agemun N’ Izem

Iril : crête Iril N’wemmas

Tirilt : crête Tirilt lhao Ali

Tizi : col Tizi-Wezzu

Agni : terrain plat se terminant par une montée Agni Gerran

Lbur : champ non cultivable Lbur Hemmu

2) Champs :

Alma : prairie Alma n Waman

Iger : champs de céréales Iger Gedmim

Tigert : // // Tigert n Werlis

Tamazirt : jardin Tamazirt Urabah

Timizar : jardin Timizar Lerbar

Arqub : plaine Arqub N Tbarda

Urti : // // Urti Weqqac

Tasga : // // Tasga Mellul

Azarar : plaine Azarar Ukerruc

3) Rochers :

Adrar : rocher Adrar Acebhan

Azru : pierre Azru Uqellal

Tazrutt : // Tazrutt N Awda

Tizra : pierres Tizra Aysa

B – Noms à base d’eau :

Tala : fontaine Tala n Lluh

Irzer : ravin Irzer Amuqran

Asif : rivière Asif n Lhemmam

Tamda : étang Tamda n Wezwir

Tarwint : source Tarwint u Lexrif

Tirwinin : sources Tirwinin Ufella

C-Noms à base d’habitat :

Taddart : village Taddart Ufella

Lazib : ferme Lazib Hmed

Lhara : place Leara Ufella

Taxamt : chambre Taxamt Loir

Axxam : maison Axxam n Hmed

D – Noms à base de plante :

Tadekkart : figuier Tadekkart Uzeoig

Tazebbujt : olivier sauvage Tazebbujt Tizi

Tasaft : chêne Tasaft Ugemun

Tamadart : maquis Tamadart n Hemmuc

Azemmur : olivier Azemmur Aysa

E- Noms à base de jours :

Leoma : vendredi Leoma n Sario

Larba : mercredi Larba n at. wasif

F- Noms à base d’homme :

At+Anthroponyme

At : celui de At yidir

Sidi : seigneur Sidi Smaïl

Abid : serviteur Abid Camlal

Bibliographie :

1. Adli Younès, 2004, La Kabylie à l’épreuve des invasions, Editions Zyriabes Algérie.

2. Ahmad Zayed Malika,1999, « Toponymie villageoise kabyle » in Revue Tiziri n°17, Bulletin de l’association culturelle n imazighen de Belgique

3. Boulifa Si Amar,1925, Le Djurdjura à travers l’histoire, Bringau, Alger.

4. Cheriguen Fodil, 1993, Toponymie algérienne des lieux habités. Les noms composés, Épigraphe, Alger.

5. Dahmani Mohammed, 1987, Économie et société en grande Kabylie, OPU, Alger.

6. Hanoteau A. et Letourneux A., 1893, La Kabylie et les coutumes kabyles, Challamel, Paris.

7. Mahe Alain, 2001, Histoire de la Grande Kabylie, Editions Bouchène, Paris.

8. Mahe Alain, 2001, Présentation de la grande Kabylie sous le régime turc (1874), de Joseph Nil Robin, Editions Bouchène, Paris.

9. Mahe Alain, 2001, Notes historiques sur la grande Kabylie de 1830 à 1838, présentation de Joseph Nil Robin(1876), Editions Bouchène, Paris.

10. Pelligrin, 1949, Essai sur les noms des lieux d’Algérie, de Tunisie, étymologie et interprétation, edition S.A.P.I, Tunis.

11. Direction de la planification et de l’aménagement du territoire « listes des villages par commune » 1996.

R. L.

Partager