Tigzirt la belle, Tigzirt la hideuse

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Tigzirt, avant-hier en milieu de matinée. Il faisait déjà bien chaud ! Tellement chaud… à vous faire croire que le soleil descendait plus bas que d’habitude. Normal donc que la ville soit prise d’assaut en ce deuxième jour de week-end, en plein mois d’août.

Sur les allées bitumées qui donnent sur les plages, ça grouillaient de monde. C’est vivant, mais trop brouillant. C’est l’anarchie. Enfin presque. Ce n’est pas que ça se chamaille ou autre, mais ça donnait l’air d’un espace où chacun se décramponnait sans se soucier de l’autre. Personne pour faire l’ordre. On se pavane en jean, en bermuda, torse et pieds nus, on chante, on crie, des voitures passent, poste-radio à pleins décibels… ça donne une sorte d’ambiance, de joie, certes, mais empreinte d’une certaine arrogance qui ne met pas forcement à l’aise les estivants présents en famille. Parfois, on est contraint de faire un slalom entre les voitures, au beau milieu de la chaussée, pour se frayer un chemin. Pas d’autres choix, puisque les deux côtés sont aménagés en files de stationnement. A vrai dire, les désagréments commencent pour le visiteur, dès l’entrée de la ville. La circulation est déviée. Alors que la plage vous parait à portée de main, un sens interdit occasionnel et une flèche muette vous orientent à faire un long détour, par le haut de la cité pour atteindre le centre-ville. Les chantiers ont l’air d’avoir du mal à avancer. Le parcours n’est pas que bitume… Les véhicules font monter un agaçant et désagréable nuage de poussière. Si vous êtes contraints de laisser les vitres ouvertes, par défaut de clim, c’est la totale… Avant cela, la route principale qui dessert la ville n’est pas sans soucis, ni au mieux de son état avec ces nombreux affaissements rencontrés ici et là. A une certaine vitesse, le danger n’est jamais loin… Même l’usager habitué n’est pas certain de ne pas se faire avoir par ces crevasses en plein virage ! C’est à se demander ce qu’on a fait quand on s’égosillait à évoquer les préparatifs de la saison estivale. Sur le sable des plages, la situation n’est pas plus reluisante. C’est sale et ça se voit tout de suite. Par endroits, ça pue même ! On ne dirait pas du tout que les prétendus éboueurs des plages sont un jour passés par là. Et pourtant, il a été dit que c’était le cas. L’opération a même été pompeusement relayée par la radio nationale… A voir présentement, sur pièce et sur place, ce ne fut que de la réclame. C’est vraiment sale ! Sur le sable, comme dans l’eau. Les rares poubelles disposées en certains endroits débordent. Jette-t-on trop ? N’importe où ? Les services de nettoyage ne passent-ils pas régulièrement ? Allez savoir… Mais sans doute qu’il y a un peu de tout cela. Et, comme ce communal contraint de faire vivre sa famille nombreuse avec le Smig, Tigzirt semble avoir du mal à contenir tout ce monde qui y afflue, à faire face à une telle affluence. Ce n’est, en fait, que logique que ça déborde ! Naturel même. Allez faire jouer Mohamed Allaoua à la maison de la culture de Tizi-Ouzou… Ce n’est plus possible ! Vous allez beau mettre l’organisation que vous voulez, mais ça débordera fatalement. C’est comme un verre qui ne peut contenir plus que sa capacité… C’est pareil pour Tigzirt. C’est une petite ville, tout juste adéquate pour le tourisme de proximité. Elle n’est pas du tout prête à ouvrir les bras à tous. Les espaces de baignade sont restés les mêmes. La grande plage ne s’est pas allongée d’un seul centimètre. Les autres non plus. C’est les plages des années quatre vingt qui sont toujours là. La population locale a presque quintuplé. Des bâtiments ont poussé comme des champignons. Mais le reste n’a pas du tout évolué.

Le spectacle est dans les rochers

C’est à peine s’il y’a plus d’épiceries et de fast-food, à travers la ville qui donne l’air de prendre de l’espace avec toutes ces coopératives immobilières en chantier. Et puis, ce nouveau port de pêche, déjà saturé qu’on a mue en esplanade de plaisance par défaut. C’est absurde, mais c’est comme ça. Sur place, les prix ont bien flambé ! Un frite omelettes et deux ou trois saucisses vous reviendrait facilement dans les alentours de 400 DA. Et on vous dira, avec sourire, que le prix est vraiment raisonnable : « Ici vous ne risquez ni de chopper la fièvre aphteuse, ni l’Ébola ». C’est vrai qu’il y a de l’intelligence, de l’humour et de l’ironie dans l’échange, et ça fait sourire, mais le prix est plus fort&hellip,; c’est comme si le tarif est arrêté au change parallèle de l’Euro. Mais sinon l’Europe reste loin d’ici. Et les lieux ne lui ressemblent en rien. De la flamboyante structure nouvellement inaugurée, il ne reste que le béton et les tas de grosses pierres qui repoussent la mer. Les rares parcelles gazonnées offrent désormais l’image d’une piste d’un champ de course abandonné. L’herbe grillée et complètement aplatie vous fera tout de suite penser à Tindouf, Béchar, Naâma…bref, au sud, mais jamais à Tigzirt ! Et pourtant… Aux alentours, c’est encore des chantiers qui pataugent… Avec tous ces matériaux, barres de fer, planches et autres objets dangereux qui jonchent cet unique passage qui relie la grande plage à celle dite familiale. Entre les deux, le passant devrait bien voir devant lui et faire gaffe… Particulièrement ces aventuriers aux pieds nus. D’autant plus que le regard, à ce niveau, est vite capté par ce sublime spectacle à grande échelle qu’offrent ces estivants à la recherche d’intenses sensations du côté des rochers… Pour ceux qui en ont l’âge et une certaine mémoire ça rappelle les plongeons d’Elvis Presley du haut de la falaise dans « L’amour à la quatrième vitesse ». Et ils sont nombreux à tenter le diable. L’adrénaline monte vite ! Des jeunes font le show en se jetant d’un rocher émergeant au milieu de l’eau, haut de pas moins de cinq mètres. Enfin, peut-être un peu moins, peut-être un peu plus. En retrait, des spectateurs entassés sur les abords de la mer savourent le régal. Hallucinants, ces petits bouts de garçons à la silhouette chétive, qui multiplient les sauts, aussi spectaculaires les uns que les autres. Ils paraissent à peine faire 20 kg, après le manger, mais ils étonnent vraiment.

La trouvaille décalée de l’ADE

De véritables cascadeurs ! Chacun y va de son inspiration, pour innover en pirouettes en plein air avant de piquer de la tête dans l’eau. On ne s’ennuie pas du tout, et c’est gratos ! On en prend plein les yeux et le moral ne s’en plaint pas non plus. On en profite, de loin mieux que sur la plage bondée d’à côté. Là on en voit de toutes les couleurs et on entend de toutes les langues. On se met à l’eau, en deux pièces et en hidjab avec bas… Chez certaines, un maquillage ostentatoire saute aux yeux. Ça fait vraiment fausse note et frise le ridicule… Des images vraiment décalées. Et tous ces jeunes qui exhibent leurs caleçons MEN, sous un short délibérément tiré vers le bas… C’est, parait-il, la nouvelle mode masculine, face aux strings qui dépassent les jeans des femelles. Tient, il s’en est trouvé même un homme d’un certain âge, en costume cravate, qui faisait les cent pas ! On dirait le propriétaire de la plage qui s’avérera finalement un déglingué habitué des lieux… On s’en rend vite compte, à voir tous ces jeunes qui le taquinent! C’est, parait-il, la mascotte de la plage, comme en ont, presque tous les villages en Kabylie… Il fait donc partie, en quelque sorte, du décor de cette grande plage. Tout comme ce stand chapiteau de l’ADE, aménagé juste à l’entrée. On y suggère gratuitement des petits sachets d’eau, comme on en fait pour les coureurs d’une course à vélo. Il fallait vraiment y penser pour la trouver celle-là au moment où les villages, dans leur ensemble, crient leur soif, là haut sur les montagnes… C’est bien beau, en effet, tout ça, mais la logique aurait voulu qu’on se soucie plus de ce citoyen qui paye régulièrement ses factures, avec des robinets asséchés quasiment à longueur d’année… Car, pour l’estivant, à la limite, c’est à lui de prendre ses dispositions… Et sans doute que dans cette affaire, l’ADE n’aura rien fait qui atténuera de la galère de tous ces villages qui ferment périodiquement rues, mairies, daïras… pour réclamer, justement, l’eau. Ça soignera peut-être son image, à travers la télé au cas où elle passerait par là mais certainement pas chez les abonnés remontés… C’est l’autre paradoxe de Tigzirt la belle et Tigzirt la hideuse… C’est loin d’être le top, mais on y vient avec plaisir ! On ne repart pas forcement comblé mais on y revient quand même. Et de plus en plus nombreux. Cela dit, ces habitués ont-ils vraiment d’autres choix ?

Djaffar C.

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