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Bouira : Djamel, Hichem et Mansour… n’ont pas rejoint l’école à l’instar des autres chérubins : Ces enfants maudits …

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Ce n'est un secret pour personne, la vie peut être parfois injuste et cruelle.

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Elle n’épargne personne et sa cruauté dépasse, parfois, les limites du supportable. Le « Mektoub », le destin ou tout simplement les aléas de la vie, conduisent certains vers des sentiers tortueux et sinueux. Même des enfants se retrouvent parfois confrontés à ce que la vie a de plus abject. Des enfants qui ne connaissent que la misère, la précarité et le travail forcé. Ils sont mendiants, porteurs de cageots au marché du coin, ou simplement des  » parias » cherchant leur nourriture dans les décharges publiques. Afin de sortir des sentiers battus et de l’hypocrisie ambiante, on vous propose de partager le temps d’une simple lecture, la vie de ces enfants.

Des  » adultes » avant l’âge

Djamel, Hichem et Mansour, respectivement âgés de 8, 10 et 13 ans, travaillent au marché couvert de Bouira. Ils ont pour fonction de transporter des cageots de fruits et légumes et accessoirement tenir  » la boutique », en l’absence de leur patron. D’apparence chétive, les épaules fragiles et vêtus de haillons décousus, ces trois jeunes garçons ont des regards perçants et poignants à la fois. On décèle dans leurs yeux, une multitude d’émotions. La rage, la fouge, la passion, mais aussi de la tristesse et tout au fond d’eux, une infime étincelle de joie, à peine saisissable. « Que voulez-vous de nous ? Nous n’avons pas de temps à perdre à vous parler. Si vous voulez acheter quelques choses allez-y, sinon laissez-nous tranquilles », nous dira d’un ton ferme, Mansour, en tenant sur ses frêles épaules un cageot d’oignon. Déjà la première approche était bien compromise. Heureusement, il y avait le petit Hichem, pour détendre l’atmosphère. Il nous interpellera à propos de notre téléphone : « C’est un bien joli téléphone que vous avez là. Il est à vendre ? », nous a-t-il lancé d’un ton sérieux. Par la suite, c’est Djamel qui fera irruption dans la conversation, en estimant notre téléphone portable : « Je vous en donne 8000 dinars et pas un sou de plus ». Suite à cet échange, le dialogue a pu s’instaurer avec nos jeunes travailleurs. « Nous sommes debout depuis 4h30 du matin. Notre job consiste à trimballer les cageots de légumes pour servir d’autres marchands. Pour ça, nous sommes les meilleurs ! Très efficaces, rapides et agiles », dira Mansour, toujours avec un ton sérieux et le visage fermé. Aussitôt son compère Hichem s’empressera de nous montrer ses biceps. « Regarde ça ! Je peux porter jusqu’à 30 kilos! », dira-t-il fièrement. Mais le petit Djamel, lui, fera un  » démenti » sur le champ : « Ne le croyez surtout pas, c’est un vantard. Pas plus tard que ce matin, il a renversé un cageot de patates d’à peine 10 kg ». Interrogés sur ce qui les a conduits à porter des cageots du matin au soir, nos jeunes interlocuteurs se sont tus pendant plusieurs secondes, en se regardant les uns les autres, avant de lâcher : « Hadi hiya el danya (c’est la vie…) Nous devons travailler pour aider nos familles ». Mensour, le regard hagard, nous racontera ses péripéties : « J’ai deux sœurs et un père invalide à 85%. Je suis l’homme de la famille ! C’est sur moi que tout repose! Je fais ce travail depuis l’âge de 9 ans et avec ça, j’aide ma mère qui est couturière, à boucler les fins de mois », a-t-il confié en mâchouillant un chewing-gum. Avant d’ajouter : « Nous habitons (Hichem et Djamel, ndlr) à Tillouine, près de Lakhdaria. Nous faisons chaque jour que Dieu fait le tour des marchés, afin de glaner quelques sous. C’est loin d’être évident, mais nous devons faire avec ». Pour sa part, Hichem, qui tenait toujours à notre téléphone, puisqu’il n’arrêtait pas de l’examiner sous toutes les coutures, poursuivra : « Moi c’est mon frère qui m’a obtenu ce travail. Nous sommes à 8 à la maison et mon père est décédé dans un accident de voiture quand j’avais 5 ans. J’ai 10 ans maintenant, je suis un homme, je dois travailler. Les hommes travaillent ! », s’est-il exclamé. Djamel, le plus jeune, se considère comme un  » apprenti » : « J’apprends avec mes amis et un jour, je serai également un chef! », s’est-il exclamé en regardant son ami Mansour, qui est considéré comme  » le tôlier » de la bande. Et concernant l’école ? Eh bien, seul Mansour avouera avoir fréquenté les bancs de l’école pendant trois ans, avant qu’il ne les quitte définitivement. « L’école, ça ne fait pas vivre des gens comme nous. Seul l’argent de notre travail compte. Qui va payer les bobines de file de yemma? Qui va lui acheter des aiguilles et lui réparer sa machine à coudre quand elle tombe en panne? L’institutrice?  Non, c’est moi. J’aurais aimé continuer l’école et en plus j’étais doué. Mais c’est  » El Maktoub » qui veut ça! ». Cette phrase, raisonnera longtemps dans notre esprit, tant elle est poignante et accroche aux tripes. Avant de les quitter, ces petits « damnés de la terre » nous ont fait part d’un message qui interpelle les consciences : « Dites aux autorités de venir chez nous et voir notre misère. Nous, on est des hommes, on se plaint pas, on travaille pour gagner notre vie ». Ces témoignages renseignent bien sur l’état d’esprit de ces  » hommes » comme ils aiment se définir. La vie ne leur a pas fait de cadeaux et eux, pour leur part, lui livre un combat de tous les instants, non pas pour vivre, mais plutôt pour survire.

« La décharge, c’est notre hypermarché »

Mais ce qui suit, est d’un tout autre acabit. Nous quittons l’univers des porteurs de cageots, pour nous immerger dans un monde qui fait froid dans le dos, indigne d’une Algérie du troisième millénaire. Une Algérie pourtant  » digne » et prospère. Nous pénétrons dans un univers où la misère, l’insalubrité et la décadence sont les maîtres mots. Cet endroit ne se trouve pas dans n’importe quel pays, il est situé en Algérie, plus précisément dans la wilaya de Bouira, en plein cœur du chef-lieu. C’est la décharge publique de Ras Bouira. Là au milieu de tonnes de déchets en tous genres, on se retrouve face à face avec des gamins, n’excédants pas l’âge de 16 ans, qui s’adonnent à une pratique d’on pensait définitivement disparue, à savoir écumer les poubelles pour manger. Oui ! Ça existe en 2014 ! Il est vrai que le spectacle est affligeant et déconcertant à la fois. Des enfants,  « éparpillés » dès les premières heures de la matinée, au beau milieu d’immondices. Mardi dernier, lors de notre passage sur les lieux, le tableau était désastreux, dramatique, poignant ! Et c’est le même scénario qui se produit à la même heure, de l’aveu même de ces enfants, venus des différents bidonvilles de la cité Ben Abdallah, le tout, sous l’œil indifférent des riverains et des passants. « J’ai 13 ans et je ne suis pas là pour rechercher des jouets ou autre gadgets », confie d’emblée Ismail, un garçonnet au teint mat, le visage plein de taches, sans doute un début de vitiligo. Il nous confiera qu’il est issu d’une famille très pauvre : « Fouiller dans les poubelles, c’est notre gagne-pain. Je me dois d’aider ma famille. J’aurais aimé habiter une belle maison et partir en vacances, mais la vie est ainsi faite et Dieu merci !», explique-t-il sur un ton amer et avec beaucoup de chagrin dans le regard. A une question sur sa situation, ce brave garçon aux allures de « Dany la Malice », nous dira : « Mon père me répète sans cesse qu’il faut se débrouiller dans la vie. Et puis, fouiller dans les poubelles, c’est toujours mieux que de voler ou faire la manche », a-t-il estimé. Avant d’ajouter avec un brin d’humour, qui est également lourd de sens : « Cette décharge est en quelque sorte, notre hypermarché ! ».  Pour notre très jeune interlocuteur, rechercher de la nourriture dans cette décharge ou dans  les poubelles des autres est « une nécessité vitale ». D’après certains témoignages, ces bambins, dont le plus âgé ne dépasse guère les 17 ans, choisissent de commencer leur quête tôt le matin pour préserver un tant soit peu leur dignité. « Les gens jettent tout ce dont ils n’ont pas besoin. On peut y trouver ainsi divers articles intéressants. Quelques fois, on peut carrément dénicher des objets neufs», assure Loucif, un jeune garçon  de 15 ans qui, malgré sa condition misérable déplorable, ne garde pas moins une lucidité perçante. D’autres  » misérables » rencontrés sur place,  nous ont énuméré les raisons qui les ont poussés à chercher dans les poubelles, à l’image du petit Rezki, âgé de 16 ans : « C’est la faim! Je n’ai pas de travail et pas de quoi me nourrir et nourrir ma famille, alors je farfouille ici ». D’autres ne cherchent pas de la nourriture, mais plutôt des objets  » précieux », qu’ils pourront revendre par la suite. Comme c’est le cas de Mehdi, un ado plutôt débrouillard, en quête de bouteilles en plastiques et autres déchets ayant une certaine valeur marchande : « Je travaille pour aider ma famille.  Personne ne nous oblige à le faire, mis à part notre situation familiale. Le fait de travailler très tôt, dans ces conditions rudes, cela me forge et me permet d’améliorer ma situation qui est des plus lamentables ». Ces jeunes ne rechignent pas à la tâche, chaque matin, ils se lèvent à 05h00 pour tenter d’être les premiers sur les monticules de déchets. Car, contrairement à ce que l’on pourrait croire, il y a bel et bien foule sur ces immondices. « Les premiers levés sont les premiers servis… L’idéal, pour moi, c’est de réussir à ramasser 15 kilos, mais pour cela, il faut des efforts », dira notre interlocuteur.

Ramdane Bourahla

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