Taghzouth… ou la colline oubliée

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Perché sur les hauteurs du mont Chréa, le village de Taghzouth est situé à une dizaine de kilomètres du chef-lieu de la commune d’Ath Rached, au Sud-Est du chef-lieu de la wilaya de Bouira.

Un bourg, hélas, oublié et dépourvu de plusieurs commodités essentielles pour le cadre de vie de ses résidants. Ces derniers ne cessent de se plaindre du cadre de vie dont lequel ils sont empêtrés depuis toujours. Ils réclament leur part du développement, du progrès et du changement. Un changement qui tarde à venir. Bien caché au milieu de forêts verdoyantes, Taghzouth est situé à quelque 65 kilomètres au Sud-Est de Bouira. Pour s’y rendre, il faut forcément être véhiculé. Si l’on décide d’y venir en bus, une première escale à Ath Leqsar ou au village voisin Ighzer Bulghum est nécessaire. Là on se soumet à la bonne volonté des automobilistes qui acceptent de prendre les gens en auto-stop jusqu’au village. Les villageois que nous avons rencontrés sur les lieux affirment que le manque de moyens de transport au niveau de ce village leur complique la vie de plus en plus. «Nos conditions de vie ne sont pas faciles. Sans gaz, ni route ni réseau de téléphonie mobile, le manque de transport isole sérieusement notre village, notamment durant les saisons hivernales. Imaginez que pour vous rendre à notre village, il vous faut un détour de plus de 30 Km», se désole un jeune villageois. Notre interlocuteur affirme que seul cinq taxieurs clandestins assurent la desserte entre Taghzouth et la commune voisine d’Ath Leqsar, alors que le transport vers le chef-lieu de la commune d’Ath Rached est quasiment inexistant, ce qui demeure pénalisant. «Ces clandestins ne sont présents que durant les matinées et ils s’éclipsent pour le reste de la journée, ce qui est pénalisant pour nous !» dira-t-il. Les jeunes de ce village parlent de leur «isolement et marginalisation». «En plus du chômage, nos enfants sont désespérés, pas de loisirs, pas de moyens financiers pour se permettre des vacances. La majorité de nos enfants, même les jeunes, quittent rarement le village et sont ainsi voués à ce misérable quotidien que n’éclaire aucune lueur d’espoir», souligne une jeune résidante.

Le transport ? L’autostop seulealternative  

Electricité gaz, routes, éclairage public, établissements scolaires… Tout pose problème dans ce village, d’après les témoignages de certain villageois, au point de pousser les concernés à s’interroger : «En quelle année sommes-nous ? En 2014 ! Désolé mais je ne pense pas». Les représentants de ce village se demandent, ainsi, pourquoi il y a blocage de l’ouverture de l’antenne communale et de la salle des soins ? Ce n’est pas les seuls projets qui restent en suspens. Tous les projets programmés, depuis plusieurs années, n’ont pas été menés à terme. «Les citoyens du village sont préoccupés par cet aspect paradoxal de blocage et de paralysie qui banalise la vie sociale et administrative de notre communauté. On pourrait citer, à titre d’exemple, la salle de soins du village qui est restée fermée depuis les années 90 malgré les engagements des responsables locaux de la rouvrir, mais malheureusement à ce jour, nous continuons de faire les déplacements vers les polycliniques des communes voisines», soulignent-ils. À cela s’ajoute la réalisation d’une antenne de l’état civil, au niveau du village. Malgré son inscription depuis plusieurs années, ce projet tarde à voir le jour. Le comité de village souligne également qu’il urge d’ériger un mur de protection, sinon baliser la partie haute de l’école primaire «Merouan Mouloud», située sur la voie principale du village. Un danger guette constamment les écoliers qui fréquentent cette école. «L’unique structure éducatif dont dispose notre village est cette école. Érigée au début des années 1970, elle est composée de trois classes seulement et actuellement elle menace ruine et souffre d’un manque flagrant de moyens et d’effectifs d’encadrement, puisque les enseignants fuient notre village, trop isolé et éloigné», se désole âmi Smaïl, un retraité du village, avant d’ajouter : «Lors de nos différentes rencontres avec les responsables locaux ainsi que ceux de la wilaya, nous avons exigé la réalisation d’un CEM au niveau du village, et ce, afin de faire éviter les tracasseries des déplacements, mais à ce jour, nous n’avons aucune nouvelle !».

Electricité gaz, routes, éclairage public… Tout pose problème

Les jeunes de ce village se plaignent de leur situation déplorable : chômage, absence de toutes structures pour jeunes et la marginalisation de leur village. Certaines personnes nous ont parlé des difficultés de leur quotidien. «Nous sommes dans un coin perdu, marginalisé et nous n’avons aucune perspective d’avenir. Ni travail, ni logement, rien… Nous sommes déçus », nous dira un jeune homme désespéré. Comme dans les autres régions du pays, les jeunes de Taghzouth sont, aujourd’hui, beaucoup plus préoccupés par le problème du chômage. Ce village étant isolé et les aides pour la promotion de l’agriculture étant difficiles à acquérir, les jeunes du village tournent en rond. Il n’y a toujours pas de gaz dans les foyers et les sociétés sont quasi inexistantes. Les habitants ont le sentiment d’avoir été oubliés. En somme, estiment les jeunes de Taghzouth, dans ce coin isolé «même les compagnies de téléphonie n’ont pas pensé à installer des antennes pour capter le réseau de téléphone ». L’un des doyens de la région nuance, cependant, en disant: « Les choses vont beaucoup mieux quand même, car maintenant au moins nous pouvons nous procurer des bouteilles de gaz butane». Le doyen du village regrette, cependant, l’absence de centres de jeux ou de loisirs ainsi que le chômage qui touche la majorité des jeunes de ce village. «Le wali doit venir inspecter les lieux, mais il faut dire que nous sommes dans un coin perdu, les officiels et les ministres ne viennent jamais par ici », déplore-t-il. Notre interlocuteur se gardera d’évoquer la période sanglante qu’a traversée la région. «Aujourd’hui, les gens veulent faire la paix, il ne faut pas réveiller un chien qui dort», tranche-t-il dans un français impeccable.

Gâté par la nature…

Réputée pour son territoire montagneux et accidenté cette région du Sud-Est de Bouira renferme une biodiversité très riche, car constituant une frontière naturelle entre le parc national du Djurdjura et les forêts et les pleines d’Ath Rached et d’Ahnif. Ce beau massif représente le lieu de prédilection de plusieurs rapaces et d’autres animaux sauvages, dont certains sont en voie de disparition en Algérie, à l’image du lapin de garenne, le porc-épic, l’écureuil de Berberie, la hyène rayée, le chardonneret, le loup de l’atlas, le chacal, les tortues… etc. La liste des animaux sauvages dont regorge cette région est encore plus longue. Un tigre aurait même été repéré non loin du village, au mois d’avril 2011, par des bergers. C’est, souvenons-nous, dans cette dernière localité qu’un animal ressemblant à un tigre a été abattu au début des années 1990. À l’époque, une équipe spéciale fut, aussitôt, dépêchée d’Alger pour récupérer cette bête. Toutefois et à nouveau, des témoignages oculaires reparlent d’un «tigre !» «Il était énorme. Sa peau est rayée. C’était un tigre», nous confirme Chahir, un berger disant avoir vu cet animal. Effrayé ce jeune berger a même dû laisser derrière lui son troupeau pour sauver sa peau. Au même jour, un autre berger, du côté de Serja, montagne surplombant le village de Chréa, «s’est offert» un privilège inédit en contemplant cet animal, alerté par le comportement inhabituel de ses deux chiens, qui courraient vers le haut d’une colline. Aussitôt, le jeune homme escalada cette colline et fut surpris et ébahi. «Il circulait en toute quiétude. Il était suffisamment loin, en bas, pour que je puisse rester un moment à le regarder. C’était un tigre», nous confirme ce berger. Ce qui est surprenant, par contre, c’est que l’animal ne s’est jamais attaqué ni aux cheptels ni aux humains. Un carnassier se nourrit pourtant de viande crue. S’agissant d’un animal d’une espèce très rare ? L’on se demande comment il s’est retrouvé à cet endroit très peu boisé et de surcroît à proximité des habitations. Un véritable mystère pour les habitants de cette région, surtout que cet animal ne s’est jamais manifesté depuis. Pour l’heure et bien malheureusement, aucune étude scientifique ou biologique n’a été menée sur cette région, afin de répertorier la liste ou le nombre exact d’animaux sauvages vivant dans cette région. Malheureusement, ce patrimoine naturel subit une forte dégradation. La faune et la flore sont de plus en plus menacées à Taghzouth, malgré les efforts de prévention et de lutte pour la préservation de la biodiversité de la région. Les ordures ménagères, qui offrent un spectacle des plus navrants, sont l’un des facteurs les plus nuisibles à la biodiversité. D’après les témoignages des villageois, plusieurs races d’animaux ont tout simplement disparu de cette région à cause, notamment, du braconnage, de la pollution et des feux de forêt qui rétrécissent, sans limite, le territoire qu’ils occupent.

Oussama Khitouche

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