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Béjaïa : Virée au douar Ath Ouamar Ouali : Terre d’histoire et de martyrs

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Si l’histoire porte sur le passé, elle est écrite par des hommes dont quelques-uns sont encore vivants afin que les futures générations sachent ce que leurs aïeux ont enduré pour que l’Algérie soit libre et indépendante.

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Dans cet optique, nous étions invités par le bureau des moudjahidine de la wilaya de Béjaïa pour une visite au douar Ait Ouamar Ouali relevant de la commune de Béjaïa, où des festivités grandioses portant sur l’histoire de la révolution seront organisées dans cette région qui a beaucoup donné durant la guerre de libération, à l’occasion du 18 février 2015, journée du Chahid. Constituant la porte Ouest de la ville de Béjaïa, plusieurs combats féroces ont eu lieu dans les maquis de ce douar entre les moudjahidine et les soldats de l’armée française qui s’étaient soldés souvent par des pertes humaines dans les deux camps. Rendez-vous donc a été pris avec Ikhlef Mustapha, un moudjahid natif de cette région et non moins secrétaire général du bureau de wilaya de l’ONM.

Symbole de la résistance 

Mercredi 11 février 2015. A 8h précise, nous avons trouvé notre guide dans le salon de l’hôtel Zéphyr de la ville de Béjaïa. Ce dernier nous a raconté ce qu’il a vécu dans ce douar qui lui est cher et qui a sacrifié ses meilleurs fils pour que vive l’Algérie d’aujourd’hui dans la souveraineté. A bord de son véhicule, nous avons pris le départ à 8h30. Juste à la sortie du rond-point d’Aâmriw, en prenant une route sinueuse et en montée, cet ancien Moudjahid a commencé à raconter sa vie passée dans le maquis qu’il a rejoint très jeune. Il se souvient parfaitement qu’en 1959, il était dans le groupe de Hamou Amlikechi à qui il a été confié une mission sur Tunis pour un ravitaillement des maquis en armes. C’est là-bas, dans la capitale de ce pays frère, qu’il a rencontré Bessa Mokrane, un moudjahid authentique chargé de la formation des jeunes, auprès de qui il a appris la discipline de guerre. On est arrivé Amtik Tafath, nom du premier village de ce douar appelé aussi PK17. Nous traversons le village ce jour-là peuplé par des citoyens vaquant à leurs occupations. A la sortie, nous nous sommes arrêtés à côté du cimetière des chouhada situé au bord de la route. Nous descendons de voiture et si Mustapha, après avoir récité une Fatiha, dira que l’ensemble des ossements des chouhada du douar ont été rassemblés dans ce cimetière appelé à être rénové. «On a choisi cet endroit pour implanter un cimetière des chouhada parce que ce lieu est un symbole de résistance où a eu lieu le premier attentat visant une patrouille de soldats français. Un attentat commis par Mechrouh L’hachemi un moudjahid hors du commun, d’un courage exceptionnel qui a tiré sur la patrouille tuant sur le coup un légionnaire sénégalais et il a réussi à prendre la fuite. Poursuivi pas les soldats à travers les maquis et n’ayant pas pu le capturer, ils sont revenus au même endroit prendre leur revanche en tuant un commerçant ayant une boutique à côté», se rappelle ce moudjahid qui nous a dirigés par la suite sur une crête dominant l’ensemble des villages du douar, en prenant un chemin de terre. Après 500 mètres de marche, nous arrivons au fort qui est un vrai vestige historique construit avec de la pierre locale. Une fois à l’intérieur, nous dominons tout le territoire du douar d’Ath Ouamar Ouali. Le fort a une vue imprenable sur la ville de Béjaïa et les stations balnéaires de la Côte Est.  Après un tour d’horizon effectué à l’intérieur, le Moudjahid reprend son récit : «Avant chaque matin, les soldats venaient s’installer ici pour ne retourner qu’en fin de l’après midi. Ils surveillaient le mouvement des citoyens dans les champs et les villages. Mais parfois ils essuyaient des coups de feu des Moudjahidine. C’est en 1958, que l’armée française a construit ce fort en faisant travailler les prisonniers comme des esclaves. Ils l’ont partagé en une dizaine de chambres entourant une vaste cour et servant de dortoir, les prisonniers sont enfermés dans des caves qui portent les stigmates de tortures et des chaînes auxquelles ils les attachaient. Chaque chambre est dotée d’un petit hublot à travers lequel le soldat de faction surveillait les villages avec des jumelles et quand la caserne est attaquée, les soldats ripostaient à partir des hublots. Ils avaient aussi un canon et tiraient des obus sur les villages. Les populations ont été délocalisées pour couper les vivres aux moudjahidine, après avoir détruit les maisons. La région était classée Zone interdite durant la guerre.

C’est à compter de 1962, que les populations commençaient à construite leur maisons pour retourner chez elles. Je crains que ce fort disparaisse un jour si on ne le préserve pas. Voilà pourquoi je fais des démarches pour lui arracher un statut de patrimoine de guerre à sauvegarder ». En quittant le fort, on s’est dirigé vers le village Igheldan qui compte aussi beaucoup de martyrs, nous dira notre guide. En continuant notre route, on s’est arrêté ensuite au village Izeghran situé au bas fond de la montagne et entouré de maquis qui donne l’avantage aux moudjahidine d’attaquer et de s’évaporer dans la nature. Il se souvient du premier ratissage effectué par l’armée française au début de1956 pour débusquer les moudjahidine. «L’ALN, en organisant la révolution, a désigné des responsables (chef nidham) pour chaque village. Chergui Mohand à Izeghran, Ikhlef Said à Belaiche, Bouzouzou Amar à Ibouchetouan et Bouabida Said à Talazda. Pour capturer ces responsables, l’armée française a effectué un grand ratissage en mobilisant de gros moyens en hommes et armement, passant au peigne fin les maquis. N’ayant pas pu les trouver, ils ont incendié leurs maisons», a confié le Moudjahid Ikhlef qui nous convia à monter dans la voiture pour continuer notre route vers le village Belaiche où ont devait rencontrer un ancien Moudjahid répondant au nom de Ouzmim Mouloud, 89 ans qui a fait 7 ans de guerre. Ce Moudjahid, une mémoire vivante de la guerre de libération, témoignera sur quelques accrochages auxquels il a pris part. En arrivant à Bélaiche, nous quittons la route goudronnée pour prendre un petit chemin en montée raide et étroit ne permettant le passage qu’à une seule voiture. La demeure ancienne se trouve tout en haut. Nous entrons dans une pièce chauffée par une cheminée au feu de bois. Avec une humilité d’un grand moudjahid simple, respectable et respectueux, il a vite gagné notre sympathie et profond respect. Il nous a désigné des chaises pour nous asseoir.

Ouzmim Mouloud, une mémoire vivante de la guerre de libération

En nous demandant l’objet de notre visite, on lui a répondu que nous sommes des journalistes venus recueillir son témoignage sur la guerre de libération dans cette région. Nous voyons ses yeux hagards rougir. Vite, nous avons compris ses souffrances de se rappeler de ses compagnons d’armes dont la plupart ne sont plus de ce monde. Il entama son récit avec trop de peine. «J’ai hâte de quitter ce monde moi aussi pour rejoindre mes compagnons d’armes presque tous morts aujourd’hui. Je suis resté seul. Je suis né en 1926, donc j’ai 89 ans. J’ai entamé le djihad en 1956. J’étais avec Hocine Hihat qui était mon chef de compagnie puis avec Aissa Blendi qui l’a remplacé. Je ne peux pas vous raconter tous les combats auxquels j’ai pris part. Je ne pourrais jamais les compter. Je ferai un effort de vous raconter deux ou trois si ma mémoire ne me lâche pas. Je me souviens parfaitement de la première bataille livrée par notre groupe à l’ennemi. C’était à la fin de l’année 1956. Notre section composée de 33 hommes, à sa tête Hocine Hihat arriva dans l’après midi au village Bélaiche où on a passé la nuit car notre objectif était de donner l’assaut contre une caserne située à une vingtaine de kilomètres que nous avions envisagée d’attaquer à l’aube.  Une taupe nous a vendus à l’armée française qui a dépêché tout un bataillon pour nous attaquer. Comme le relief est accidenté les soldats furent transportés par des hélicoptères qui se posaient sur une crête, les faisant descendre. C’est au lieu dit Bouhamdane, à quelques encablures du village Belaiche qu’à eu lieu la bataille sanglante où on a perdu 11 de nos frères moudjahidine. Nous savions que le bataillon français qui comptait des centaines de soldats a perdu beaucoup dans ses rangs, les tués et les blessés ont été évacués par hélicoptères. Cette bataille a duré de 10h du matin jusqu’à 22h, soit 12 heures d’affilée. Les militaires français battirent en retraite. Gagnés par la fatigue, nous avions aussi fait marche arrière. On a envoyé un émissaire au village demandant à la population d’aller récupérer nos morts et les enterrer. Comme le règlement nous impose trois activités par semaine, les attaques que nous avions effectuées se comptaient par centaines. Mais la plus importante est celle qui a eu lieu en 1958 à Bouchakroun, toujours dans notre douar. Une compagnie de l’ALN de la wilaya trois qui comptait dans ses rangs le cinéaste René Vautier se rendait en Tunisie pour un approvisionnement en armes. En traversant notre territoire, on devait l’accompagner pour lui assurer la sécurité jusqu’à la limite de notre enclave. En cours de route, nous fûmes tombés sur une patrouille de l’armée française qui nous a accrochés. Au départ, on était plus nombreux qu’eux et en plus on était sur les hauteurs donc on les dominait bien. On a commencé à lâcher nos rafales sur eux. Mais vite un avion arriva en renfort survolant la crête à basse altitude et commença à larguer des bombes avant même d’y arriver à notre niveau. Nous ne savions pas par quel miracle l’avion a été abattu d’une seule rafale lancée par l’un des nôtres. Nous étions un peu protégés par la densité du maquis et l’absence de pistes. Donc les soldats montaient à pieds laissant leurs camions loin. Nous connaissons aussi parfaitement le terrain, ce qui nous a permis de nous sauver quand l’étau allait se resserrer sur nous. Bilan de l’opération, on a abattu trois avions et tué une centaine de soldats français. Dans nos rangs, on a perdu 45 de nos frères», dira Da l’mouloud qui malgré le poids de l’âge à encore une parfaite mémoire. Il a voulu apporter un témoignage particulier sur un Chahid exemplaire au courage exceptionnel qui ne reculait devant aucun danger. Il s’agissait de Said Bellil dit Said l’Indochine. «Said Bellil était un enfant de Tighediouine, un village proche du nôtre qui a donné ses meilleurs fils à la révolution. Très jeune, il se rendit à Alger où il trouva un travail. A l’âge de 20 ans, il s’engagea dans l’armée française et fut envoyé en Indochine. Dés son retour en pleine guerre, il déserta l’armée française pour rejoindre les rangs de l’ALN. Pour montrer toute sa bravoure et son amour pour la patrie, il accepta une mission suicide en attaquant une caserne militaire à Béjaïa avec une grenade qu’il a lancée sur la guérite, tuant sur le coup la sentinelle. Tirailleur de premier plan ne ratant rarement sa cible, il a été incorporé dans un groupe de choc de la wilaya 3. Ces supérieurs en décelant en lui les qualités d’un soldat hors paire, l’ont promu au grade d’Aspirant. Il fut blessé lors d’un accrochage au douar Ighram. Ces compagnons d’armes l’ont emmené à Tazmalt pour le soigner dans un refuge. Le destin a voulu qu’il périsse ce jour-là car le groupe fut intercepté par une patrouille de soldats français. De la bataille qui s’en était suivie, les soldats les ont exterminés. Les Moudjahidine ont préféré mourir que de se laisser attraper », tel est le témoignage de Da L’mouloud sur le martyr Said Bellil.

L. Beddar

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