Un village sous contrat de location

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Boubhir est un village agricole situé à quelque 6 kms du chef-lieu communal d’Illoula Oumalou à près de 7 kms du chef-lieu de la daïra de Bouzeguène. Sa construction a débuté en 1976.

Ses premiers habitants sont venus d’Alger, de Tizi-Ouzou et des communes limitrophes dans le cadre de la révolution agraire et de l’opération d’élimination des bidonvilles lancées par feu le président Houari Boumediene. Sa population actuelle est estimée à environ 1200 personnes. C’est un chiffre intéressant mais Boubhir reste un village des plus pauvres de la région. Il suffit d’y mettre les pieds pour s’en rendre compte. Des années de laisser-aller et d’abondant des élus qui se sont succédé ont fait que Boubhir est si différent et si démuni des autres villages. M. Ouksir Seddik, président du comité du village, explique : «Au début, l’état a construit tous les équipements collectifs, à savoir : une antenne de mairie, un centre commercial, une unité de soins, un hammam, et une école primaire, mais de tout cela, il ne reste que l’agence postale qui est fonctionnelle et l’école primaire qu’on entretient difficilement. Je n’exagère pas de dire qu’on est victimes d’une sérieuse et flagrante discrimination. Jamais un président de l’assemblée populaire d’Illoula n’a essayé de nous aider pour améliorer notre situation qui ne fait qu’empirer d’année en année. On ne dirait pas que nous faisons partie de la commune et de la daïra. Enfin, on se demande quelle est notre place dans ce pays», déplore la même voix. «On est sous contrat de location depuis 1984, date d’ouverture officielle du village. On a, à maintes reprises, sollicité, voir supplié les autorités de wilaya de régulariser au moins la situation de ceux qui dépassent les 25 ans de location. En vain. On demande aux autorités le plan d’occupation du sol (POS) depuis 1990, à ce jour, aucune suite n’a été donnée. Et pourtant on en a besoin pour pouvoir entreprendre des travaux sur nos bâtisses qui ne répondent plus aux besoins de certains. Il y a des maisons où on retrouve 5 couples ! Comment voulez-vous qu’ils vivent en paix ? Jamais un habitant de Boubhir n’a bénéficié d’un logement social. C’est comme si on ne figurait pas sur les listes des citoyens d’Illoula Oumalou. Pourtant, il y a des assiettes de terrain aux environs de notre village qu’on a mises à la disposition de la mairie pour nous construire des logements. On a fait plusieurs demandes dans ce sens mais aucune suite n’a été donnée», ajoute Ouksir Seddik qui enchaîne : «Je ne mentirais pas si je disais que plus de 75% de la population est au chômage. Jamais un citoyen de Boubhir n’a bénéficié d’un poste d’emploi au niveau de toute la commune, même pas dans le cadre du pré emploi, en dehors d’une dizaine de filles dans le cadre du filet social».

On est abandonnés par les autorités

«On a à mainte reprise cherché à voir le wali de Tizi-Ouzou, nous y avons même déposé quelques cinq demandes d’audience avec accusé de réception. On ne nous a jamais reçus ! On se contentait de nous dire que le wali est en déplacement. Nous souffrons au quotidien et nous manquons de tout. Le chef de daïra a également refusé de nous rendre visite pour connaître le vrai visage de notre localité», dira Ouksir Seddik. Boubhir compte trois épiceries aménagées dans des logements destinés pour l’habitation. Ces épiciers travaillent sans registre de commerce et disent qu’ils n’ont jamais eu la chance de bénéficier d’un local commercial à Illoula. «On avait un centre commercial, l’ex Souk el fellah. Aujourd’hui, il est cédé à un citoyen de la commune de Bouzeguene qui en a fait une écurie. Nous n’avons rien contre ce monsieur, mais sachez qu’on est lésés !», dira encore le président. En matière de soins, notre interlocuteur dira qu’il existait dans le temps au village une unité de soins mais celle-ci a été transformée en un simple logement de fonction pour l’infirmière. «En l’absence d’un médecin, les habitants de Boubhir doivent faire des kilomètres pour atteindre la polyclinique d’Illoula de jour, et celle de Louda de nuit. S’il y avait un médecin, les citoyens n’auraient pas à parcourir toute cette distance pour se faire ausculter», ajoute notre interlocuteur. Le secteur de l’éducation les choses ne sont pas plus réjouissantes non plus puisque raconte le premier responsable du village que «contrairement aux années précédentes, les enfants scolarisés au CEM et au lycée d’Illoula n’ont pas bénéficié cette année de ramassage scolaire suite aux restrictions budgétaires mises en avant par l’APC. Les parents des 140 élèves paient 900 DA par mois pour permettre à leur enfants de rejoindre leur établissement. «A part 5 pères de familles aisés, nous sommes presque tous des journaliers. Nous ne pouvons supporter cette charge qui nous accable», se désole cet autre membre du comité du village. Au chapitre de l’environnement, notre interlocuteur dit que le village n’a pas été gâté non plus. «On a voulu nous imposer l’implantation d’un CET malgré le rapport défavorable pour un tel projet de la commission qui a été déplacé sur les lieux». «Pour être un récipient des ordures de la daïra, on a pensé à nous. Et ils nous aiment tellement qu’ils veulent nous l’imposer malgré le rapport négatif de la commission», ironise le président du comité. «C’est au lieu-dit «Messouya», à quelque 300 mètres du village, que les autorités ont voulu réaliser ce CET depuis 2008 déjà. Une commission de wilaya de choix de sites pour décharges contrôlées intercommunales s’est déplacée à Bouzeguene et à Ait Yahia pour la prospection de terrains qui peuvent servir d’assiette à ce projet de centre d’enfouissement technique intercommunal. L’étude préliminaire engagée sur ce site de Boubhir a fait ressortir que le site de 4 hectares est inadéquat vu qu’il est situé sur un terrain instable. La superficie est aussi jugée insuffisante parce que le site doit regrouper une dizaine de communes. Trois sites ont alors été proposés et consigné dans un procès-verbal, établi le 31 /08 / 2008 et dont nous détenons une copie. Mais, il semble qu’on s’entête à le réaliser à Boubhir… Nous, je veux dire à l’ensemble des habitants du village, notre solution qu’on propose c’est de voir réaliser dans les plus brefs délais un centre de tri, à l’image de plusieurs villages de la commune de Bouzeguene», plaide notre interlocuteur.

Eau, gaz de ville, entre disponibilité naturelle et inexistence administrative

En termes de commodités de vie, s’il y a bien un souci que les habitants de cette localité ont évacué, c’est celui de l’eau potable. «On est alimentés en eau potable à partir de l’oued Boubhir. On a aussi réalisé un forage. Pour le gaz, la conduite est passée par nos terrains, mais nous n’avons pas bénéficié de cette commodité. Nous sommes, donc, allés à la DMI pour comprendre, et ils nous ont dit que notre village n’existe pas sur la carte géographique qui leur a été présentée. Nous les avons fait déplacés sur le site, et à partir de là on a fait opposition», nous fera savoir notre interlocuteur. «L’assainissement du village a été réalisé en 1977, mais il y a des endroits où la conduite est détruite. Une étude a été faite il y a plus de 4 ans, seulement, rien n’est encore fait à ce jour. Cette situation nous bloque. Le revêtement ne peut être entrepris avant que les travaux d’assainissement ne soient effectués», se plaint-il. Le problème du cimetière semble aussi agacer les habitants. «Nous avons un cimetière comme tous les villages, néanmoins, on a souvent des problèmes avec les propriétaires terriens d’à côté. Il nous arrive souvent d’exhumer un mort parce qu’il y a quelqu’un qui dit que le terrain lui appartient. Nous avons plusieurs fois supplié les autorités locales de délimiter le village et le cimetière mais en vain». Sautant du coq à l’âne, M. Ouksir Seddik n’entend s’arrêter d’évoquer les manques de la localité. Avec de l’ironie parfois : «En 2014, nous avons bénéficié d’un projet de construction…d’un manège, comme si c’était la seule chose qui nous manquait. Les citoyens n’ont jamais demandé ni voulu d’une telle structure parce qu’il y a mille urgences à régler et des aménagements à entreprendre, à l’image de la salle polyvalente, de l’antenne du siège de la mairie, entre autres. On ne nous a jamais considérés comme des citoyens d’Illoula parce que la majorité n’est pas de la localité. On ne vient nous voir qu’à l’approche des campagnes électorales où on nous promet le paradis… Juste après le vote, on redevient des sous-citoyens», s’exaspère t-on encore.

Fatima Ameziane

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