Virée chez les kabyles de Barbès…

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L’élection d’Emmanuel Macron continue de faire des émules. Sa victoire a créé un véritable séisme dans la classe politique française et son onde de choc a ébranlé l’ensemble des partis qui ne cessent de se fissurer. La société, dont une bonne partie est constituée de nos émigrés algériens, kabyles en particuliers, n’est pas restée en marge de la vague.

Chez les politiques, à droite chez Les Républicains, comme à gauche au Parti Socialiste, ainsi que chez les autres formations des extrêmes, les risques d’implosion sont palpables.

Ça ressemble à l’irruption d’un renard dans un poulailler. Et chacun veut sauver sa peau : Démission, ralliement au Macronisme et remise en cause des stratégies adoptées jusque-là. L’effet Macron ne laisse pas indifférent et même les ténors de la politique, rodés au combat électoral, ont souhaité une investiture sous l’étiquette de La République En Marche.

Manuel Valls, ancien Premier ministre et Bruno Le Maire député LR se rapprochent du nouveau président pour participer à une future majorité présidentielle. On ne lui a pas accordé d’investiture, mais on a pris soin de ne pas lui présenter un concurrent dans sa circonscription. Un traitement de faveur particulier pour Valls.

Chez les partis «victimes» de ces dérobades et transgressions, ces départs sont dénoncés et perçus comme des offenses et on tente de ne pas céder à la tempête Macron. En Marche pourrait-il emporter tout sur son passage ? En tout cas, les prémisses des grands chamboulements sont déjà là.

L’homme du changement attendu pour la France a entamé indirectement son programme par la refonte des formations politiques. De mémoire, jamais une élection présidentielle n’a été aussi fortement commentée. Au-delà de son caractère particulier, cette élection apporte chaque jour son lot de surprises.

Si les politiques semblent très bousculés par l’arrivée d’Emmanuel Macron au poste de président, dans la rue les citoyens restent dubitatifs. Du côté des quartiers populaires de la capitale française à forte concentration d’émigrés, les commentaires sont très réservés et beaucoup n’attendent pas grand-chose de cette élection.

A Barbès comme à Belleville, les gens approchés sont plus happés par leur quotidien que par les promesses de la campagne électorale. Sofiane a 22 ans. Il est étudiant à Paris. Cela fait deux ans depuis qu’il a ficelé son inscription dans une université parisienne à partir d’un cyber de Bouzeguène d’où il est parti.

«Je n’ai pas voté, je ne peux pas le faire, je n’ai pas la qualité. Mais si j’avais pu le faire j’aurais voté plus contre Le Pen que pour Macron. J’étais persuadé qu’elle ne passerait pas, mais comme on n’est jamais à une surprise près, on ne sait jamais. Maintenant, on attend de voir ce qu’il peut faire», c’est son avis à Sofiane qu’on rencontrait chez Sabrina, une coiffeuse installée nouvellement à son compte dans le quartier.

Elle a 30 ans et avoue que les élections cela fait un bon bout de temps qu’elle n’y croit plus, mais… «Les politiques ne donnent pas une image brillante de leur fonction. Avec le temps, ils finissent par donner une image qui ne donne pas du tout envie de suivre. Mais parfois il faut réagir. Comme c’est le cas pour cette fois.

Le choix s’est imposé de lui-même. Les déceptions s’accumulent et les politiques ne font que décevoir. Le Front National surfe sur les peurs des citoyens en leur promettant des jours meilleurs. Une fois portée au pouvoir, elle n’aura pas de solution viable. J’ai choisi Macron et on verra », balance-t-elle sans grande conviction. Le ton est donné.

Pas vraiment le choix face à… Le Pen

Pour humer les senteurs du bled, rien de mieux que de faire un tour dans ce mythique quartier de Barbès. De jour comme de nuit, les rues et les trottoirs grouillent de monde. A pied ou en voiture, il est très difficile de se frayer un chemin. Ici, ce n’est pas la France En Marche. Du moins pas du tout en rangs ordonnés.

Ca va dans tous les sens. Ca parle en plusieurs langues : Le français est celle qu’on entend le moins. Les bruns et brunes dominent. Le Kamis y est présent. La mini-jupe il faut la chercher… On vend la pastèque à la criée : «A ya Delaâ un euro..». On y vend de la Zalabia, du Maqrout, quasiment à longueur d’année. C’est aussi le quartier… des portables, de la cigarette et des parfums à bon prix…

A Barbès on n’est pas du tout dépaysé des quartiers populaires du grand Alger ou de Tizi-Ouzou. Les frontons des boutiques sont d’ailleurs en majorité dans les deux langues nationales… Ce n’est pas plus propre qu’à Alger, il y a des Chinois et des Chinoises aussi. C’est juste qu’ici le métro va partout et on le voit même sortir de sous terre…

Un petit paradoxe, un peu comme le gaz de ville qui est dans les villages sur les hauteurs du Djurdjura. Les saladiers de la police font aussi l’exception. Leur bleu est plus foncé et la sirène est plus aiguë… Dans ce 18e arrondissement, la station Barbès-Rochechouart se trouve au croisement de quatre grands boulevards : La Chapelle, Magenta, Barbès et Rochechouart.

A cet endroit de Paris, le métro est aérien, ce qui offre une vue plongeante avec un avant-goût sur cet espace à forte densité humaine. Chaque rame de métro déverse son flot de voyageurs qui arrivent par centaines. Dès la sortie, vous entrez dans un véritable bain de foule, non pour vous accueillir mais vous happer et vous engloutir dans la marée humaine. Et là c’est le cœur du quartier où il faut négocier son avancée tout en faisant attention à ses effets personnels.

Barbès est associé à l’immigration, à la diversité des communautés : c’est la France des couleurs, blacks-blancs-beurs. Barbès c’est surtout ce grand marché où se côtoient commerces de détail et d’importation, vente légale et informelle : c’est la Samaritaine à ciel ouvert. Les boucheries hallal et les magasins d’étoffes foisonnent. Il donne l’image d’un attroupement dense de vendeurs, de consommateurs, de curieux et de touristes.

Chadia, 42 ans et formatrice, sort du tabac d’à côté avec un titre de chez nous à la main. Elle semble à l’affût des commentaires d’Alger qui ont suivi les législatives, mais elle est aussi branchée à la vie parisienne qu’elle mène : «Aujourd’hui les politiques ne sont pas crédibles. Ils se présentent comme des défenseurs des droits et protecteurs des démunis mais une fois au pouvoir, ils tournent le dos au peuple. Macron veut renouveler la classe politique et moraliser la société, il faut espérer qu’il dise vrai».

La Kabylie gagne aussi dans le maintien de l’euro

De son côté, ce vieux Arezki, 68 ans, retraité de son état, donne l’air d’un vieux qui se soucie encore de demain malgré le poids des années. C’est à croire que l’avenir est devant lui. Trainant le pas, le retraité finira par lâcher son souci premier : «Préserver ma retraite en euro». «Ce président travaillera pour renforcer les relations franco-algériennes. Pour nous les émigrés, Macron était le meilleur choix. Avec Le Pen, on serait tombés dans une confrontation brutale. Les extrémismes n’ont jamais réglé les problèmes et je sais de quoi je parle. J’espère que ce président travaillera pour renforcer les relations entre les deux pays et garder la monnaie européenne. C’est celle qui nous fait vivre. C’est grâce à cette retraite que la Kabylie tient encore».

Le vieux Arezki ne veut pas dire le nom de son village. «Disons que je suis de la région d’Iferhounène», finira-t-il par céder. «Mais chaque six ou huit mois je viens. Pour nous les émigrés, la France c’est aussi une partie de nous, je connais plus les rues de Paris que celles d’Algérie… Ces magasins de TATI, je les ai vus monter», fait-il remarquer en joignant le geste comme pour dire c’est aussi chez moi ici. Barbès a-t-il fait TATI ou plutôt l’inverse ? Le quartier doit en effet sa notoriété à l’emblématique magasin.

L’enseigne française fut créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ce magasin de vente de textile et de bazar bon marché est une création de Jules Ouaki, Juif Sépharade de Tunis. Si autrefois, les magasins TATI étaient une véritable attraction pour la vente de produits à bas prix, aujourd’hui, ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. TATI est en redressement judiciaire et les salariés s’inquiètent pour leur avenir. Noria, 47ans, en fait partie. Elle est à son heure de pause de la journée.

Du coup elle en profite pour sortir s’acheter un paquet de cigarettes : «C’est une élection inédite. On n’a pas eu de débats sur le fond et durant toute la campagne les affaires ont pollué les débats. On a fait un choix par dépit pour éviter l’extrême droite. Macron est audacieux pour bousculer et réformer une France frappée par l’inertie», dit-elle au milieu d’une agitation qui s’empare de ce quartier en continu. Dans la foule, Kader, 36 ans, se déclare auto-entrepreneur.

L’élection de Macron pour lui ? «C’est un vote chargé d’hypocrisie. Je ne crois pas qu’il puisse réellement remettre la France en marche. C’est plus compliqué que ça. Son programme économique ne sera pas en faveur des plus fragiles même s’il promet le meilleur pour tous. Avec son manque d’expérience, il lui sera difficile de gouverner tranquille durant cinq années».

Voilà un résumé des appréhensions qui, à vrai dire, tétanisent Français de souche et émigrés, car convaincus tous qu’au fond, ils ont dû choisir le moins mauvais. Dans la ligne 2 du métro, direction Nation, on a comme l’impression d’avancer vers l’incertitude avec les voitures qui s’enfoncent sous terre, laissant Barbès et son effervescence à ceux qui l’animent.

A mesure qu’on s’éloigne, la configuration de la masse de voyageurs subit des mutations. Le black et le beur se fondent dans le blanc. On sent les Français se réapproprier un peu plus leur espace. Derrière, Barbès restera sans doute toujours ce lieu de vie chargé d’histoire. La station Barbès-Rochechouart doit son nom à Armand Barbès, un républicain révolutionnaire, farouche opposant au régime de Louis-Philippe et à Marguerite de Rochechouart de Montpipeau qui fut l’une des 46 abbesses de Montmartre.

De Paris, Tahar Yami

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