El Kelaâ, entre histoire chargée et présent laborieux

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Tout le monde s’accorde à dire que le nom du village est dû au village d’origine du premier habitant de cette localité, en l’occurrence M. Braham Ouyekhlef, venu de Kalaât Beni Hammad dans la wilaya de Béjaïa.

La Kalaât Beni Hammad avait à l’origine été érigée à M’Sila en 1007 par Hammad fils de Bouloughine. Ce dernier, pour rappel, est le fils de Ziri, le fondateur d’Alger. Menacé par les Hilaliens à M’Sila, il déplaça sa capitale à Béjaïa. Arrivés à Azeffoun, Braham Ouyekhlef et ses compagnons s’installèrent, au début, au pied d’une colline. Ayant des démêlés avec le royaume de Tamgout, le patriarche fut assassiné. Après la découverte des sources naturelles au bas de la colline, ses quatre fils se déplacèrent et érigèrent le village actuel qui porte le nom d’El Kelâa. Ce dernier est composé de quatre tribus qui portent les noms de la progéniture de Braham Ouyekhlef, à savoir Aït Hmida, Aït Saadi, Aït Ali, Aït Bodjemaa et d’une 5e tribu d’origine maraboutique. Cette localité, qui culmine à 600 m d’altitude, est habitée par près de 1000 âmes. El Kelâa est entourée à l’Est par la commune d’Ait Chafaâ, à l’ouest par la commune de Tifrit, au nord par Azeffoun et au sud par Akerrou.

Tajmaât ou Ldjamaâ Oufella

Ldjamaâ Oufella est une bâtisse vieille de 10 siècles, selon un vieux du village. Construit sur un rocher, ce site historique est le lieu de rassemblement des villageois. Jadis, il faisait aussi office d’un tribunal public. «Quand quelqu’un est poursuivi pour un délit quelconque, on le convoque à cet endroit. Il répond aux accusations devant les citoyens du village et c’est à l’assemblée générale de prendre les mesures qui s’imposent», dira un vieux du village. A côté de la salle, un creux au milieu d’une roche en forme d’un bassin est toujours visible de nos jours. Renseignement pris, il s’avère que c’est un lieu d’aiguisement des couteaux, des haches et autres objets tranchants. «On utilise la surface lisse du rochet pour aiguiser des objets. Ensuite, on les plonge dans le bassin plein d’eau pour les refroidir», ajoute notre interlocuteur. Ldjamaâ Oufella est un endroit attrayant et très prisé, en ces moments de chaleur, par les habitants d’El Kelaâ, lesquels trouvent en ce lieu une fraîcheur naturelle et un calme religieux. Comme tous les sites dont regorge la Kabylie, ce lieu a évidemment son histoire et sa légende. «A une époque lointaine, une divergence entre les habitants, sur le site devant servir à la construction d’une mosquée, a failli dégénérer. Après ce malentendu, les habitants ont décidé de reporter l’assemblée générale à une date ultérieure. Le matin d’après, leur étonnement était grand en apercevant une mosquée en pleine construction sur un rochet, c’est-à-dire en ce lieu même où elle est bâtie actuellement. Chose qui a mis fin définitivement aux querelles des villageois. Et c’est pour cela qu’on l’appelle également Ldjamaâ n Lmalaykat (la mosquée des anges)», poursuit notre guide.

Un village martyr

«Notre village fut un village martyr pendant la guerre de libération. Il n’y avait pas de harkis parmi la population. Il est classé parmi les premiers à l’échelle nationale sur ce point. C’est ce qui a renforcé la solidarité et la cohésion entre les habitants. Le village a été du côté de la révolution et il a payé un lourd tribut, puisqu’il a été complètement détruit et brûlé par l’armée coloniale».

Blocage du raccordement à l’eau potable

Comme tous les villages kabyles, El Kelaâ est géré par un comité de village issu d’une assemblée générale des habitants. Cet organe exécutif du village a, à son actif, plusieurs réalisations. On peut citer le bitumage de toutes les ruelles, la rénovation des sources, l’installation des fontaines publiques, l’entretien des places et des sites historiques et une grande mosquée en construction. «Tous ces projets sont financés par les cotisations des habitants. Les pouvoirs publics sont aux abonnés absents, comme d’habitude», explique-t-on. Mais là où le bât blesse, selon les citoyens de ce village isolé, c’est le laisser-aller et l’abandon de la conduite d’alimentation en eau potable qui est pourtant prête à être mise en service. Raison pour laquelle les citoyens ont recours aux fontaines publiques, comme au bon vieux temps.

Une école et des questionnements !

Un des problèmes majeurs de ce village est l’établissement scolaire. «Depuis l’ouverture de l’école en 1967/1968 à Tidmimin, nos enfants ne fréquentent l’école qu’une demi-journée : la matinée pour le premier palier et l’après-midi pour le deuxième», nous apprend Hammad Med, membre du comité du village. Et pourtant, une autre école, construite dans les années 80, est visible à l’entrée du village. D’après notre informateur, l’établissement n’a jamais ouvert les portes. «Au début, il y avait une divergence entre nos deux bourgades. Ceux d’en bas ne voulaient pas se déplacer jusqu’à la nouvelle école. Après, il y a eu un laisser-aller de part et d’autre», se désolera ce membre du comité du village. Avant d’ajouter : «L’établissement est transformé actuellement en un poulailler et une écurie. Habité par un individu depuis longtemps, il en a fait sa propriété privée. Il utilise les classes de l’école à sa guise, sans que personne ne lève le petit doigt, que ce soit de la part des autorités ou encore moins des citoyens. Une situation qui frôle le ridicule. Ce qui se passe chez nous est inadmissible et intolérable».

Une jeunesse désorientée et livrée à elle-même

«Nous n’avons même pas un petit espace pour se divertir. La monotonie nous guète à longueur des journées. Et pourtant, ce ne sont pas les promesses qui manquent. A chaque campagne électorale, les candidats nous promettent monts et merveilles. Mais une fois élus, ces soi-disant représentants du peuple se cachent derrière leurs bureaux. Je vous cite un exemple : Ils ont commencé la construction d’un stade au village, avant les élections. Mais une fois l’échéance passée, ils ont abandonné les travaux. Nous les avons interpellés à maintes reprises, mais notre doléance est restée lettre morte», se désolera ce jeune qui propose la transformation de l’école abandonnée et squattée en une maison de jeunes. Dépourvus de toutes commodités, les habitants de ce village «oublié» sont contraints de se déplacer à Azeffoun, à des dizaines de kilomètres, pour un simple retrait d’argent ou une injection. «Même les moyens de transport manquent. Alors, on a recours aux clandestins ou on est obligés de se déplacer vers d’autres villages pour rejoindre la ville d’Azeffoun. Si tu veux être à 8h à Azeffoun, tu dois te réveiller à 4h du matin», explique-t-on.

La légende de Taâwint n Hend Ou Mhend

«On racontait que les habitants de Missoura, l’ancien village des citoyens d’El Kelaâ, étaient souvent en conflit avec le royaume de Tamgout, à cause de la source appelée Taâwint n Hend Ou Mhend. Beaucoup de sang a coulé de part et d’autre. Un jour, les descendants de Braham Ouyekhlef font nourrir un agneau avec du blé et de l’orge. Rassasié, l’animal se dirigea directement vers cette source pour s’abreuver. Arrivé sur les lieux, les gens de Tamgout l’ont égorgé. Eventré, ils trouvèrent du blé et de l’orge dans le ventre de cet agneau. Intrigué par cette découverte, ils alertèrent leur supérieur. Ce dernier rétorqua : «S’ils donnent à leurs animaux du blé et de l’orge, au lieu du foin et de l’herbe, c’est qu’ils sont vraiment riches et possèdent sûrement des armes». Depuis cet événement, la tension s’est sensiblement apaisée entre les deux camps. Un vieux du village nous souligna qu’après la découverte des sources naturelles au village actuel d’El Kelaâ, les descendants de Braham Ouyekhlef ont quitté Missoura pour se sédentariser dans le lieu actuel.

Hocine Moula.

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