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Aïn Turk Virée à Ath Aïssa : L’oléiculture n’est pas l’apanage des privilégiés

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Ath Aïssa est un petit hameau haut perché sur une colline en face de Zeboudja. Les deux localités, dépendant de la commune d’Aïn Turk, à quelques encablures du chef-lieu de wilaya de Bouira, ne paient pas de mine outre mesure.

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Comme la plupart des demeures kabyles, les vestiges de cette localité prouvent que la vie y était autrefois prospère au milieu de ce qui fut, il n’y a pas très longtemps encore, un vaste verger oléicole. Cependant, après la décennie noire et les incendies successifs qui ont marqué la région, très peu de verdure demeure encore visible. Pour accéder aux flancs ardus de cette colline, il existe une déviation à partir de la RN5, à l’entrée de Zeboudja. La route y est raide et dans un état qui laisse à désirer, mais les véhicules qui empruntent ce trajet semblent y être accoutumés. Toutefois, ces vestiges et le paysage de désolation ambiant n’ont pas été sans redonner espoir à un irréductible villageois originaire de cette contrée qui, contre vent et marée, s’acharne à faire revivre son village natal. M. Djamel Bourahla est un jeune établi en France depuis plusieurs années déjà mais qui pourtant, est revenu au bled pour concrétiser son rêve : faire revivre son village. Et pour cela, il n’a pas lésiné sur les moyens. Aménagement et réhabilitation de pistes, mais aussi et surtout défricher la forêt qui avait repris ses droits après plusieurs décennies d’abandon des terres autrefois fertiles. Pour Djamel, c’est toutefois une préparation assez méticuleuse des sols qui a nécessité des efforts particuliers. Entre autres, l’aménagement de banquettes spacieuses pour planter des oliviers de la variété locale (Achemlal) et les faire bénéficier ensuite d’une technique de taille novatrice, permettant à l’olivier de produire un maximum d’olives.

Une nouvelle technique de la taille de l’olivier

«Ici, il y avait autrefois des prairies et mon grand père labourait ses champs avec sa paire de bœufs», se souvient Djamel sur un ton empreint de nostalgie, en nous désignant sa maison où il a vécu une bonne partie de son enfance. Une enfance assez ingrate, mais qui fleure bon l’authenticité, se remémore-t-il en racontant ses souvenirs d’écolier, lui et ses camarades qui dévalaient le flanc de cette colline avant de traverser à gué un oued en furie durant les journées d’hiver, pour rejoindre l’école primaire de Zeboudja. De cette période rude, il a hérité d’un caractère rustique qui l’a amené tout naturellement à se tourner vers la plantation, la greffe et la taille d’oliviers sur les terres de ses ancêtres. «J’ai réalisé la plantation d’une oliveraie de plus d’un millier d’oliviers, avec une technique de fertilisation des sols de manière naturelle et entièrement bio. Un engrais qui est, en fait, un mélange de fumier de bovins mélangé à de la terre, sur une couche de 30 cm sur une fouille d’un mètre carré et d’un mètre de profondeur. Par dessus l’engrais de bovin, je rajoute de la fiente de volaille sur une vingtaine de centimètres, mélangée toujours avec de la terre et on finit avec de la terre naturelle. La particularité de cette technique par rapport aux autres méthodes traditionnelles est d’apporter rapidement une alimentation riche à l’arbre. Très rapidement, les racines vont se trouver au contact de ce mélange de fumier de bovin, de fiente de volailles et de la terre et l’olivier aura immédiatement les nutriments dont il a besoin pour se développer», explique Djamel qui tient à rappeler que l’heure est à la culture bio. Pour cet oléiculteur, la technique de la taille est très importante dès la première année de la plantation de l’olivier : «Cette technique de taille, je l’ai découvert en France où je vis et cela s’appelle la taille précoce. On habitue l’arbre, n’importe lequel, à être taillé de façon précoce pour qu’il puisse l’être ensuite régulièrement sans subir de choc trop important, et sans qu’il subisse de traumatisme pour être clair. En l’habituant tôt à cette taille, cela lui évitera d’être incommodé dans sa croissance lors des tailles régulières», indique notre interlocuteur. Ainsi, d’après son expérience, il n’y a aucun impact négatif sur le rendement de l’arbre taillé de la sorte et la production en fruits n’en sort que meilleure. La seule chose qui peut paraître étrange est que l’olivier, au lieu de grandir verticalement, se développe sur les côtés. Spécificité qui le forcerait à faire des branches qui produiront des fruits. «Si on laisse l’olivier partir de façon verticale, il y a beaucoup moins de rendement en olives plus tard. Cette technique de taille en plus d’aérer l’arbre, permet de réduire les branches non productives et de rationaliser la route provenant du sol, des nutriments jusqu’aux fruits», déclare Djamel. Pour lui, la logique est simple, il faut tailler au maximum pour qu’un oiseau puisse voler entre les branches.

Une technique qui s’applique même aux oliviers les plus âgés

Ainsi, cette technique s’appliquerait à n’importe quel arbre pour qu’il produise des fruits intensément, selon notre oléiculteur. «Les oliviers séculaires gagneraient à être taillés de cette manière afin qu’ils deviennent plus productifs et surtout ils produiront régulièrement s’ils sont taillés chaque année. Ils produiront peut être un peu moins une année sur deux, mais le rendement sera plus important et régulier que sans aucune taille. L’alternance de l’olivier d’une année à l’autre, peut être réduite de manière significative en appliquant cette technique de taille», soutient Djamel qui fait preuve d’une attention particulière envers ses oliviers. De cette stratégie développée dans d’autres pays du pourtour méditerranéen, Djamel tente tant bien que mal d’inciter d’autres oléiculteurs à ces techniques, mais force est de constater que très peu d’oléiculteurs ont manifesté leur engouement jusque-là : «J’essaye de partager cette technique de taille avec le maximum d’agriculteurs, mais je sens une réticence auprès de certains. Il y a la peur du «nouveau». Cela leur fait peur de voir un olivier qui commence à pousser et devoir lui couper des branches. Il y a une personne qui m’a demandé de venir faire la taille de plusieurs oliviers sur sa propriété, mais pour d’autre la réticence est toujours de rigueur, par manque de connaissance j’imagine, ou par manque de pratique mais cette technique de taille gagnerait à se développer en Algérie et en Kabylie en particulier, où l’olivier, cet arbre rustique, est d’un apport considérable. J’ai eu à le constater, cette technique fonctionne très bien en Europe. J’ai un ami tunisien qui a planté chez lui 3 000 oliviers et il pratique la même méthode de taille et au bout de trois années seulement, il produit énormément d’huile. Avec chaque année une taille régulière, la différence se verra sur le rendement. Pour ma part, je n’ai fais que la variété locale Achemlal, car c’est l’olivier qui poussait auparavant ici. J’aurais pu effectivement importer une autre variété d’oliviers d’Espagne ou du Portugal, mais j’ai préféré gardé le cachet authentique de la région en préservant le patrimoine du terroir. C’est vrai, j’aurai pu ramener des arbres plus productifs mais ce n’est pas mon but. Mes motivations ne sont pas d’ordre pécuniaire. Mon objectif avant tout est de préserver et maintenir le cachet authentique de la région avec l’olivier rustique que nous avons ici.

La réhabilitation du réseau électrique, un préalable pour le retour des populations

L’exploitation oléicole de M. Bourahla a été entièrement réalisée sur fond propre et il n’a d’ailleurs bénéficié d’aucun soutien, ni aide des services de l’Etat. Il faut dire que pour cet émigré, travailler tranquillement est déjà un avantage même s’il soupçonne quelques fois des entraves «incompréhensibles». «La seule difficulté que j’ai rencontrée a été de retravailler un terrain longuement abandonné au cours de la décennie noire. Revenir sur un lieu où personne n’avait remis les pieds a été une chose difficile, mais j’ai cette volonté de faire revivre ma région et cela est plus fort que tout. J’ai commencé cette aventure il y a de cela 4 ans avec la taille et depuis, je plante régulièrement sur cette exploitation. Depuis, des villageois sont tentés de revenir sur leurs propriétés. Il y en a certains depuis deux ans qui regreffent des oléastres dans des endroits assez éloignés d’Ath Aïssa pour préparer le terrain, d’autres replantent des oliviers, d’autres ont investi dans des ruchers. Oui il y a beaucoup de villageois qui veulent revenir et cela se voit sur le terrain. Lorsque j’ai commencé, j’étais tout seul. Il y a avait quelques bergers qui étaient visiblement étonnés de me trouver sur ces hauteurs mais petit à petit, on peut dire que l’engouement à repris et que les gens viennent retravailler leurs terres», témoigne Djamel. Toutefois, comme dans de nombreux hameaux désertés durant les années 90, l’absence d’électricité est un écueil qui freine énormément le retour des populations en zone rurale, malgré les efforts de l’Etat consentis à travers ses différents programmes. À Ath Aïssa, le problème se pose de manière cruciale et l’électricité n’a toujours pas été rétablie malgré la présence de pylônes électriques et de quelques poteaux qui avaient été la cible de voleurs au cours de la décennie noire : «Des étrangers à la région étaient venus avec des camions pour emporter les poteaux électriques, mais rapidement, ils ont été chassés par les bergers qui les ont démasqué, en les empêchant de commettre leur forfait», dénonce Djamel qui affirme qu’il n’était absolument pas prédestiné à devenir oléiculteur. «Je pense que c’est dû à mon enfance. Avant de partir en France à l’âge de 9 ans, j’étais souvent berger, j’emmenais les troupeaux de moutons paître ici sur ces terrains. C’était mon terrain de jeu on va dire. Après la décennie noire, en revenant ici, j’ai eu un pincement au cœur. J’avais laissé un petit paradis sur terre et tout était revenu à l’état sauvage. En voyant cela, j’ai décidé de m’investir à fond pour faire revivre la région et de recréer à l’identique ce que j’avais laissé. J’ai encore le souvenir de mon grand père qui travaillait beaucoup la terre, et c’est lui qui m’a élevé d’ailleurs. De ce fait, j’ai décidé de rattraper ce que la nature avait repris. Faire revivre cet endroit ce n’est pas un rêve, c’est un objectif que je me suis fixé et j’espère y parvenir et le réaliser au final», désire cet oléiculteur. Son souhait, ainsi que celui des habitants d’Ath Aïssa en plus de la réfection de la route menant vers cette localité, est de voir la lumière illuminer l’avenir et les foyers des villageois contraints de vivre hors de chez-eux.

Hafidh Bessaoudi

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