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Entretien avec M’hend Ameur, commandant de l’ALN : «L’Histoire appartient aux générations futures»

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Mhend Ameur, dit M’hend Yakouren, commandant de l’ALN, livre dans cet entretien ses souvenirs de la guerre de libération. Lui qui a participé à plusieurs actions armées contre l’armée coloniale, relate ces faits historiques. Il estime qu’il est de son devoir de léguer ces événements aux générations futures.

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La Dépêche de Kabylie : Racontez-nous comment vous avez préparé le 1er Novembre 1954 ?

M’hend Ameur : Il faut d’abord souligner que l’Histoire est vitale dans la vie d’un pays. Je vais vous raconter, grosso modo, comment a été préparé le 1er novembre et le déclenchement de la révolution. Les préparatifs directs ont pris pas mois de deux mois d’activités. C’est dire que le déclenchement de la révolution n’a pas été préparé dans la célérité mais les événements qui devaient se tenir durant la nuit du 31 octobre au 1 Novembre 1954, ont été préparés, minutieusement, deux mois durant. Nos responsables, à cette époque, ont multiplié les rencontres et les réunions. Dans notre région, celle d’Azazga, c’était le chahid Ali Mellah qui était le 1er responsable. Je ne sais pas si Ali Mellah a reçu des instructions dans ce sens ou non, mais, on avait une activité chaque semaine. Lors des différentes réunions, Ali Mellah mettait l’accent surtout sur l’éducation et la préparation des militants. D’autres réunions ont eu lieu, effectivement, dans d’autres villages de la région, et elles rentrent toutes dans le cadre de la préparation du déclenchement de la révolution, comme à Achouba, Handou …

La dernière rencontre, je me souviens, a eu lieu au village Handou. Elle a regroupé plus d’une soixantaine de militants nationalistes. Je me souviens aussi qu’Ali Mellah nous a demandé de venir, la veille du 1er novembre, munis de nos affaires, car, il faisait froid et il nous a dit que peut-être on aura des activités ailleurs, donc, il fallait se préparer. Comme il a été convenu lors de la dernière réunion, le jour J, tous les militants venus de toute la région, se sont rencontrés au lieu décidé auparavant. Ce jour-là je me souviens encore, ce ne sont pas tous les militants qui ont été conviés à ce rendez-vous, mais juste une partie. Il a choisi deux à trois militants de chaque village de la région. A notre arrivée au lieu du rendez-vous, il n’y avait pas eu de réunion. Lors du rassemblement, nous étions, je pense, 45 éléments. Ils ont formé 3 groupes. A mes cotés, il y’avait Mohand Saïd d’Azeffoun, qui fut un ancien militant, il est tombé au champ d’honneur avec le grade de commandant, que Dieu ait son âme. Ali Mellah lui a demandé d’avancer vers lui, donc, devant les autres éléments du groupe, pour lui dire que dorénavant, tu es le chef de ce groupe.

Dès cet instant, Ali Mellah décida alors de nous expliquer ce que nous allions faire.

Donc, c’est à ce moment que vous avez su ce que vous alliez faire ?

Effectivement, c’est à ce moment que les directives de notre responsable sont venues. Il a déclaré qu’à partir de ce jour là nous allions faire des actions qui n’ont jamais eu lieu dans notre pays. On ne savait pas que c’était le déclenchement de la révolution même si nous avions des doutes. Le groupe de Mohand Saïd a été instruit de mettre le feu au dépôt de liège de Azazga, un autre groupe allait harceler l’administrateur et le groupement de gendarmerie coloniale. Le dernier groupe a été divisé en deux sections, l’une attaquera les poteaux de fils de téléphone et l’autre s’occupera de la sécurisation de la route menant vers l’Est, plus exactement vers Bgayet. Je faisais partie du groupe qui s’est attaqué à la gendarmerie. Avant notre départ, Ali Mellah a insisté sur le fait qu’aucune action ne sera entreprise avant minuit tapante, soit, le 1er Novembre 1954. On avait seulement deux armes à feu avec nous.

Après l’attaque de la gendarmerie et de l’administration, on nous a demandé de nous replier vers Timizart de Sidi Mansour. Chaque groupe devait se rendre tout seul, sans être accompagné par les autres.

A notre arrivée au village de Timizart, ils nous ont conduits à la maison de Chaïeb Ahmed, dit Bouzal. Chez lui, il y avait Ali Mellah qui nous attendait. Je me souviens qu’il nous a dit qu’il est 3h 45. Après les remerciements, il nous a dit que la révolution ne fait que commencer, mais, même si nous ne sommes que 45 personnes, nous ne devons pas tous prendre le maquis, nous devons, mobiliser les citoyens. Ceux qui n’étaient pas recherchés devaient retourner chez eux pour ce travail. Je reprends ce travail jusqu’en 1955.

En 1947, 48 la mobilisation autour du PPA a fait que l’armée coloniale a arrêté beaucoup de militants. Sur ce point, Ali Mellah nous a demandé de reprendre contact avec ces vieux militants et leur donner des responsabilités au sein de l’organisation. On a pris effectivement contact avec eux sans aucune difficulté et je pense que la révolution s’est organisée ainsi en Kabylie. Par ailleurs, des réunions ont eu lieu pour prendre contact avec les groupes de militaires dans le but de ne pas provoquer les accrochages, afin d’avoir le temps de mobiliser les citoyens.

Justement, comment les autres citoyens ont-ils fait face à cette nouvelle donne ?

Pour tout dire, là où j’ai activé du moins dans ma région, on n’a pas eu de difficultés pour rallier les citoyens à notre cause commune. La présence d’anciens militants nationalistes dans nos villages a fait que notre mission de les convaincre s’est avérée aisée. Ce sont les anciens qui préparaient le terrain pour les nouveaux militants. Ce travail d’équipe a vraiment facilité le contact, le soutien et l’adhésion des citoyens à la cause nationale. En 1955, 90% des citoyens ont soutenu la lutte pour l’indépendance, qui avec ses moyens logistiques, qui avec son argent, qui avec des informations, sans parler de ceux et de celles qui ont rejoint les rangs des combattants.

Quelle était la position des Messalistes vis-à-vis de votre action ?

Ce ne sont pas tous les militants qui étaient au courant de ces dissensions et désaccords entre les militants, sauf ceux qui étaient dans l’action armée. Au bout d’un moment, on a eu des circulaires qui nous expliquaient le réel problème. Cela nous a permis aussi de bien expliquer aux citoyens d’une manière sûre la justesse du combat libérateur. Ces circulaires indiquaient que Messali ne voulait pas d’actions armées pour l’indépendance…

Au bout d’un moment, l’option messaliste a été délaissée par la majeure partie de ses anciens militants au profit de la ligne du FLN. Ali Mellah, comme il était bien instruit, insistait toujours sur le dialogue avant toute autre chose avec ces militants du MNA.

On tenait des réunions chaque semaine afin de faire table rase de tous les problèmes. Il nous demandait de privilégier le dialogue afin d’éviter l’affrontement. Il pensait aussi à la rancune. Il y avait des dépassements à l’encontre de certains de ces militants du MNA, mais ils étaient des cas vraiment isolés. Notre responsable nous disait qu’il fallait voir avec ses amis, sa famille et autres personnes proches pour le convaincre, afin d’éviter un embrasement. Il pensait à la rancune qui survivra à ces événements et qui sera léguée à plusieurs générations.

Vers juin-juillet 1955, la plupart des villages de la région étaient acquis au combat libérateur.

Un peu moins d’une année après le déclenchement de la révolution, on travaillait dans les refuges pour accueillir les moudjahidine. La tâche était ardue, car, seuls les militants étaient en contact avec les moudjahidine, ce qui fait que les procédures de sécurité étaient telles qu’on ne pouvait pas être très efficaces sur le plan d’action. En 1955, une décision a été prise et concernait essentiellement une tournée des moudjahidine à travers tous les villages afin de prendre attache avec la population.

Concernant votre engagement, vous avez dit que vous aviez pris le maquis en 1954, une année plus tard, vous revenez, mais depuis qu’est ce que vous avez fait ?

Comme j’étais commerçant à Yakouren, un harki m’avait dénoncé à la brigade de gendarmerie de la région. Donc, depuis j’étais recherché par les forces coloniales.

Les gendarmes devaient encercler mon restaurant, qui été mitoyen d’une boucherie que je gérais. Mais une épouse de l’un de ces gendarmes m’avait informée de mon arrestation.

Cette femme, je me souviens, était enceinte et elle avait envie de manger de la cervelle de mouton. Un jour, elle rentre dans ma boucherie pour achat et elle m’avait demandée de la lui procurer. Je lui avais donné rendez-vous pour le lendemain. Elle revint, comme prévu, le jour-J et je lui avais remis la commission. Depuis, à chaque fois, elle revenait pour s’approvisionner en viande chez moi, un jour, elle m’avait demandé mon nom et elle m’avait dit que son mari, qui était gendarme, l’a informée qu’ils allaient m’arrêter.

Je lui avais demandé la raison de mon arrestation, elle m’avait répondu que c’est à cause de mon travail avec les fellaghas. Aussitôt, je me rends chez un ami boulanger qui était en face de mes boutiques et je suivais la scène de l’encerclement des gendarmes de ce lieu, sans pouvoir, tout de même m’arrêter. Depuis, j’ai rejoint le groupe qui activait dans la région. Il y avait Si Moh Arezki, originaire de Timizart de Sidi Mansour, comme chef de groupe. Un des moussabline avait informé le chef du groupe de mon arrivée et juste après mon arrivée, il m’a donné le grade de caporal.

Vous vous êtes rendu, plus tard, en Tunisie avec un groupe de moudjahidine ?

Depuis ma reprise des activités dans le maquis, j’ai activé dans la région de Yakouren, comme chef de groupe, ensuite, j’étais muté vers le secteur d’Azeffoun jusqu’en 1957, avant de me rendre, effectivement en Tunisie pour une mission.

Donc, depuis 1955, vous avez participé à toutes les opérations dans la région ?

Oui, effectivement, j’avais participé à toutes les opérations organisées dans la région. Et surtout les embuscades, car, je les dirigeais parce que je suis de la région et je la connais assez bien. J’avais même participé à des embuscades dans la région d’Azeffoun après mon affectation dans cette région, vers août 1957. Lors de mon arrivée au village Azrou de Yakouren, comme souligné dans la convocation que j’avais reçue, j’avais trouvé une section. J’avais rencontré un certain Moh Lounes qui était sergent-chef originaire d’Azeffoun. Il était ancien militaire à l’armée française, que Dieu ait son âme. Il m’avait dit que je tombais à point nommé car, il préparait une embuscade et il attendait mes conseils sur le lieu et la manière de la réaliser. J’avais dirigé l’opération comme point essentiel, avoir un moudjahid pour chaque camion du convoi. Un de nos éléments, originaire de Bouzeguène, il s’appelait Lahlou, est venu en rampant vers moi, pour me dire que les responsables m’ont désigné pour partir en Tunisie. Je l’avais engueulé car, je n’avais pas envie d’entendre cette information au moment d’une embuscade.

L’embuscade fut une réussite et on s’est replié vers le village Azrou où j’étais convoqué. A mon arrivée, j’avais retrouvé tous les responsables, y compris le colonel Amirouche, qui était commandant à l’époque, Si Abdellah, Briruche…

C’était la première fois que vous rencontriez Amirouche et son équipe ?

Non, j’avais, auparavant rencontré Amirouche au mois d’août 1956, quelques jours avant le Congrès de la Soummam.

Si Abdellah, était originaire de Ibeskriène, donc, responsable de toute la région, que j’ai connu depuis un moment. Il m’ont reçu, avec Mohand Oulhadj avec le grade de capitaine, que j’ai connu bien avant le déclenchement et c’était lui qui m’a surnommé M’hend de Yakouren.

J’ai demandé auprès d’eux les raisons de ma convocation, ils m’ont dit que «c’est cela la guerre !». Ils m’ont informé que j’étais désigné pour aller en Tunisie, mais ils ont refusé car, ils voulaient me désigner dans la compagnie de choc, que dirigeait le commandant Moh Ouali. J’ai refusé le fait de ne pas partir en Tunisie, même si je savais qu’ils avaient besoin de moi dans la compagnie. Je les ai suppliés pour qu’ils me laissent partir en Tunisie. Après un moment, ils ont accepté ma proposition.

J’ai pris le chemin vers la Tunisie, sans arme, car, la mission était de ramener les armes, malgré les difficultés rencontrées durant tout le périple. Chaque groupe avait seulement trois armes pour assurer sa défense. Nous nous sommes donné rendez-vous à Illoula, à Sidi Wadris. Il y avait Amirouche et Briruche avec les grades de commandant. Ils ont réuni tous les groupes qui devaient prendre part au voyage, et le 14 septembre 1957, ils ont désigné la compagnie, avec son chef qui allait en Tunisie. J’étais nommé sergent-chef et chef de section.

Durant le voyage on avait eu des problèmes avec les agents de liaison surtout en wilaya II.

Avec nous, il y’avait un groupe de 45 étudiants qui devaient faire le voyage avec nous vers la Tunisie afin de suivre leurs études. Il fallait bien souligner la présence de ces étudiants avec nous. Aujourd’hui, la majeure partie de ces étudiants sont cadres et responsables. On a fait le voyage dans des conditions très difficiles. On a même perdu des hommes, notamment, au moment de franchir la ligne Morris juste à la frontière. C’était une souffrance terrible à supporter, mais on avait tenu le coup. D’autres avaient péri à cause de la faim et du froid, puisque c’était l’hiver. Le voyage a pris environ 78 jours. Je me souviens qu’un jeune étudiant, Abbas Mehiedine, aujourd’hui avocat, était vêtu d’une tenue légère. En arrivant à Souk Ahras, il n’avait plus de chaussures, usées durant le long voyage, en plus, il n’avait que 14 ans. Il a été blessé aux pieds et il ne pouvait marcher. J’ai été voir le chef du refuge où on avait été accueillis, cet homme avait un hangar de blé pour lui demander de m’aider à secourir le jeune Abbas et de lui trouver des chaussures. Je dois avouer, que ceux qui nous ont accueillis avaient refusé de nous donner à manger, car, d’abord, ils ne savaient pas que nous étions des moudjahidine, ensuite, ils n’avaient pas grand-chose à nous offrir. Mais le responsable du hangar nous avait donné la permission de manger du blé que nous avions bouilli dans un récipient de fortune. En fouillant dans le hangar, j’ai trouvé un bout d’une peau de bœuf. J’avais demandé au responsable du hangar si je pouvais l’utiliser pour fabriquer, à la manière traditionnelle des chaussures pour le jeune étudiant. Il a accepté et j’ai pu fabriquer, effectivement, une paire de chaussures pour le jeune Abbas et pour trois autres étudiants.

Ces jeunes avaient porté ces paires de chaussures jusqu’à Tunis.

Avez-vous rencontré les responsables du FLN installés à Tunis ?

D’abord je dois signaler qu’en arrivant en Tunisie, j’étais dans l’obligation de revenir en arrière pour cause d’un jeune étudiant égaré. Il s’appelait Cheikh Aberkane. De son vrai nom Mohand Saïd, originaire de Bouzeguène. Un sergent-chef qu’on appelait «Couscous», m’avait dit qu’il est mort ou qu’il n’avait pas franchi la ligne Morris. J’avais la certitude qu’il était toujours vivant et dès lors, j’avais décidé de rebrousser chemin pour le chercher. Le chef de la compagnie, Hocine, de Larbaâ Nath Iraten, n’avait pas intervenu dans mes débats avec «Couscous» qui avait un point de vue complètement différent du mien, au sujet du jeune étudiant. Le chef de la compagnie n’avait pas l’expérience nécessaire pour mener à bien une telle mission, mais il était d’un courage exemplaire.

J’étais sûr que le jeune étudiant était vivant, car, c’était moi qui ai coupé le fil électrique de la ligne Morris pour leur permettre de passer et je me souviens que le jeune étudiant était passé devant moi. J’ai même tenté de l’aider car il avait peur que les fils l’électrocutent. C’était une certitude chez moi, donc, je devais revenir en arrière, à mes risques et périls pour le retrouver. J’ai pris le chemin du retour durant trois jours, en suivant l’itinéraire de l’aller pour tenter de le retrouver. J’étais accompagné de deux autres djounouds.

Après trois jours de recherche, on avait retrouvé la trace de notre étudiant, dans un endroit où des gens nous ont informés qu’il a pris un autre chemin, autre que celui que nous avions emprunté. On l’avait effectivement retrouvé hébergé chez deux vieux qui avaient pris soin de lui. On avait passé la nuit avec eux et le lendemain, on avait pris refuge aux côtés de la route nationale, dans un endroit qu’ils appelaient Gambetta. On avait marché toute la nuit et au bout d’un moment on avait décidé d’observer une halte pour se reposer. C’était la nuit, car, des convois militaires français passaient, vers l’aube, chaque minute. A quelques encablures de cet endroit, on avait retrouvé des femmes qui paraissaient inquiètes par notre présence. On avait essayé de leur expliquer jusqu’à la venue d’un jeune et de son père qui avait pris soin de nous, auparavant. J’avais essayé de convaincre cet homme de nous accompagner, mais en vain. De loin, on apercevait un village mais, cet homme nous avait informés qu’ils sont tous harkis qui avaient pris les armes contre le FLN. Ce village dépendait de Souk Ahras.

J’ai insisté auprès de cet homme pour le convaincre de venir nous accompagner mais sans résultats jusqu’a ce que son fils accepte à condition de le laisser partir avant l’entrée du village. Ce qui fut fait, le jeune nous avait quittés après avoir donné un aperçu du village et surtout les postes de gardes de l’armée coloniale. Il nous avait aussi informés que des maisons se situaient à la sortie du village. Nous étions donc à quatre à mettre les pieds dans ce village qui nous est complètement étranger et surtout hostile. J’avais décidé de rentrer seul au village et tenter de forcer un des villageois de venir nous accompagner. Au milieu du village, en pleine nuit je distingue un rond-point, soudainement une porte s’ouvre derrière moi. La peur m’avait paralysée. J’apercevais une vieille qui sortait. En l’abordant en arabe, elle m’avait dit qu’un groupe veillait juste dans une maison toute proche. Je l’avais accompagnée sans savoir où je me dirigeais. Je ne savais quoi faire. Au bout d’un moment j’entendis des éclats de rire, et on retrouve une porte ouverte. J’avais perdu mon sang froid, jusqu’au moment où j’aperçus des armes accrochées au mur. C’était là où il m’était venu à l’esprit ce que l’homme de l’autre village m’avait dit concernant ces villageois.

Une dizaine d’hommes armés devant moi. J’avais serré mon arme contre moi, devant ces hommes complètement ébahis de ma présence. Un homme qui était assis loin de nous m’avait demandé d’où je venais ? J’avais répliqué en lui disant que je venais de l’ouest. Il m’avait demandé les motifs de ma venue. Je lui répondis que je cherchais un contact, car je ne connaissais pas la région. Il voulut s’emparer de son arme avant que je leur dise de rester à leur place, car autrement, je serais dans l’obligation de tirer sur eux. Ils m’avaient indiqué qu’ils sont des leurs (les harkis).

Ils étaient au courant que j’étais moudjahid et ils m’avaient dit qu’ils ne pouvaient pas me donner le moindre contact. «Malgré que nous étions moussabline avec les moudjahidine, mais des événements ont fait que nous avons changé de camp», m’ont-ils dit. Je leur avais dit que malgré cela, ils sont toujours nationalistes, pour les caresser dans le sens du poil.

Ils avaient refusé de m’aider mais à un moment, un de ces éléments a appelé un certain Boularas pour venir nous accompagner. Il avait pris sa mitraillette. Mais les trois éléments qui étaient avec moi avaient pris la fuite à cause du retard, ils pensaient que je m’étais rendu. Notre accompagnateur pensait que nous étions nombreux. Nous l’avions suivi jusqu’à la route nationale où se trouvait un autre refuge. Pour rire, un de mes compagnons n’a pas cessé de pointer son arme vers moi, il pensait que je m’étais rendu. Au bout d’un moment, je retourne vers lui et je lui dis, si tu continues à pointer ton arme sur moi, je te mets une balle dans la tête. Une chose qu’il répétait même après la guerre.

Il nous a montré le refuge, je frappe à la porte, un homme ouvre et dés qu’il a vu notre accompagnateur, il le traita de traître ! «Tu es venu avec des militaires», lui reprochait-il. J’intervenais entre eux pour lui expliquer que nous, nous étions des moudjahidine. Notre accompagnateur ne voulait pas rester malgré notre insistance. A la fin, on a conclu un marché selon lequel, ce harki allait nous protéger contre les Français et nous ferions de même pour lui, contre les moudjahidine.

A notre arrivée à destination, je lui signe un laissez-passer pour qu’il circule en toute quiétude, s’il venait à rencontrer des moudjahidine.

Grâce à ce moudjahid, deux jours après nous avions pu rejoindre la Tunisie au bout de seulement deux jours de route sur dos de mulets.

En Tunisie, nous étions à Tidjerouine. Le harki qui nous accompagnait, après son retour chez lui avait montré le laissez-passer à ses amis, qui l’ont rapidement utilisé pour rejoindre la Tunisie et rallier le Front. Je l’ai revu en 1964 lors d’un stage que j’avais effectué à Cherchell. Durant la révolution, ils sont devenus de grands responsables et d’héroïques combattants.

Comment a été le chemin du retour de Tunisie ?

D’abord à notre arrivée, les étudiants avaient été transférés vers des écoles en Iraq, Libye, Syrie&hellip,; et nous les militaires, vers Ghardimaou durant deux mois. Après l’arrivée des armes, nous avions pris le chemin du retour. Au début, ils nous ont donné même l’arme lourde, sur dos de mulets. Lors d’un accrochage, un autre groupe avait perdu beaucoup d’hommes. Le chef de ce groupe nous a informés qu’il est impossible de traverser avec ces armes. 15 jours plus tard, nous reprenions le chemin mais quelle fut notre surprise en découvrant que la ligne Morris était renforcée. Deux compagnies de la wilaya III étaient à cet endroit. Même la sécurité de la ligne était renforcée. En trois compagnies, nous décidâmes de franchir la ligne et rentrer en Algérie. Nous avions perdus 50% de nos effectifs des trois compagnies. Ce qui représente 200 hommes. Parmi ces 200, il y avaient ceux qui n’ont pas pu franchir la ligne.

La forte présence des chars blindés sur la ligne a fait que cet endroit est devenu un tas de tranchées qui nous stoppaient à chaque tentative d’avancée.

Sur le lit de Oued Seybous, les crues emportaient tout sur leur passage. Nous avions des cordes avec nous pour nous permettre de passer en groupe. Je me souviens qu’un militaire des At Jennad était le dernier qui s’est accroché à la corde, essoufflé il lâcha la corde en emportant 4 autres avec lui.

Après une nuit d’attente, l’armée coloniale encerclait les lieux avec des armes lourdes et même l’aviation. Vers 9 h, ils mirent la main sur notre chef de section, lequel nous demandait de nous rendre. A midi tapant, l’accrochage commence. Vers 14h, ils ont envoyé les avions. Une journée après, ils ont tué tous ceux qui étaient là-bas. Nous avions perdus presque 150 hommes lors de cet accrochage.

Vers quelle date étiez-vous rentrés en Kabylie ?

Je pense que c’était le mois de mars 1958. En wilaya III, au village Ouled Moumen, au nord de Sétif, en petite Kabylie. Nous avions retrouvé Laifa, chef de région qui nous a aidés. Il nous a même donné une escorte après notre départ. Le chef du refuge nous apprend que Amirouche était à Zemoura et qu’il était au courant de notre arrivée.

Amirouche est venu nous voir. Nous étions 23 alors qu’au départ nous étions 125. Amirouche avait les larmes aux yeux, il nous a dit «allez fils de femmes kabyles».

Quel souvenir gardez-vous du colonel Amirouche ?

J’ai connu Amirouche en 1956, lorsque j’étais chef du groupe de Yakouren. Nos frontières étaient à Assif El Hammam. Nous avions eu des problèmes avec les militants de cette région qui avaient assassiné quelques uns de nos militants. Si Abdellah et Briruche nous ont dit qu’il ne faut pas les laisser venir dans notre région. Au bout d’un moment, les responsables s’emparèrent de cette affaire. Ils convoquèrent une réunion pour résoudre ce problème à Assif El Hammam.

Ce jour-là Amirouche était venu avec le commandant Kaci, même si à cette époque il n’y avait pas de grades. Au village des At Yahia Youcef, une réunion fut programmée. Amirouche et les autres arrivèrent. C’était vers le mois d’août 1956.

Si Abdellah m’avait demandé de donner ma version en expliquant le problème. Amirouche avait demandé à Si Abdellah de présider la réunion. Ils ont mis fin au problème en mettant des gardes fous pour les deux régions. Amirouche avait quitté la réunion bien avant sa fin, car il avait affaire ailleurs.

Une dernière question, êtes-vous convaincu de ce qui s’écrit sur l’Histoire de la guerre ?

Je pense que ce que j’ai écris sur cette période m’a convaincu, mais il n’en demeure pas moins qu’il faut lire et écrire davantage. Je vais donner encore mes témoignages en écrivant d’autres ouvrages qui pourront être exploités par les spécialistes.

A force de lire et d’écrire, des événements reviennent dans ma mémoire et cela me permet de les écrire. Durant la guerre, j’avais mon cahier journal où j’écrivais tout, et cela m’a aidé à écrire sur ce que j’ai vécu et vu.

Pour terminer, je dirais que l’Histoire appartient à la génération d’aujourd’hui et à celles de demain et non pas à nous. Il est de notre devoir de la léguer à ces générations !

Entretien réalisé par Mohamed Mouloudj

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