La grande rue de Tizi-Ouzou, la plus grande avenue de la cité n’est plus ce qu’elle était. Déjà défigurée par les deux trémies qui lui donnent, depuis, l’image d’un corps étendu, éventré de part et d’autre, l’allée, improvisée ces derniers temps en station principale des bus interurbain, à la faveur du nouveau plan de circulation imposé à la hâte à la ville, est en passe d’étouffer.
Cerise avariée sur le «gâteau» : l’opération bétonnage, au nom de la «réhabilitation » des deux jardins, qui faisaient, jadis, son charme, la dépossède de la dernière pincée de son âme.
L’image est en effet saisissante : le jardin jouxtant la grande mosquée du centre ville de Tizi-Ouzou est en train de vivre une amère métamorphose. Dans quelques jours, il n’en restera sans doute que le nom et les quelques palmiers qui survivront peut-être encore quelques temps au bétonnage général de ces espaces, enclenché cette semaine. Ce haut lieu est en train de subir un véritable massacre, financé bien entendu, vraisemblablement à coup de millions de dinars. Un jardin «est un terrain où l’on cultive des végétaux utiles ou d’agrément». Jardiner c’est «s’adonner au jardinage, action de couper ça et là certains arbres d’une forêt, entretenir des plantes…». Ce sont là quelques définitions tirées du petit Larousse illustré 1986, à propos du mot jardin et du verbe jardiner. Désormais, il n’en sera plus question de ce lexique du côté des squares de la grande rue à Tizi-Ouzou. La terre est complètement bétonnée et recouverte soit de pierres, soit de pavés. Le gris et le jaune ont pris le dessus. Pour la verdure, il faut aller voir ailleurs. L’espace est complètement dénaturé. Franchement, un jardin sans le moindre espace vert, sans ressentir la terre, le gazon, l’air pur et frais, une ombre rafraîchissante, un climat apaisant, des bancs pour souffler, se reposer… A Tizi-Ouzou, des idées «lumineuses» ont vu les choses autrement pour ne pas dire à l’envers. Allez savoir quelle tentation en a été à l’origine… ? Ce qui est sûr, c’est que les travaux ont été entamés après une étude de «réhabilitation», s’il vous plait ! Et que le marché de réalisation eut été attribué… Et quel marché : Un marché pour bétonner un jardin, qui faisait la référence de la ville, la capitale de l’immense Djurdjura. L’autre jardin d’en face n’est pas mieux loti. Les travaux qui y ont été entamés durent depuis cinq ans. Pour ne rien changer au final. Les allées sous forme de labyrinthe sont toujours là quoique habillées en…pierres taillées. Et l’espace complètement quadrillé aux grilles en fer. Cela a certainement coûté cher, mais ce n’est pas beau. Pas plus qu’auparavant, en tous les cas. On a fait d’un espace dont la vocation est pourtant l’ouverture, le libre accès, une véritable forteresse. A Tizi-Ouzou, la mode de la pierre taillée et du pavé a fait des émules et des… portefeuilles heureux. La ville, elle, en a bien pâti. Même les petits espaces fleuris, qui ornaient les différents ronds-points du centre-ville, n’ont pas échappé à la razzia. Mais quelle place reste-t-il donc à la nature ? Pour l’écologie, la réflexion est visiblement engagée, en contresens du temps qui passe…
La grande rue mue en entonnoir…
Ce qui surprend encore, c’est que le massacre, – le mot est plus approprié que «travaux» -, se fait en plein jour, devant les yeux ahurissants des nombreux vieux qui continuent à trouver en ces petits espaces, à défaut de mieux, des lieux pour un passe-temps, où ils s’adonnent à d’interminables parties de dames. C’est le cas du jardin de la mosquée, du moins ce qu’il en reste, ou ces personnes du troisième âge se disputent les places aux brouettes, aux camions remplis de pavés qui défilent, et aux travailleurs du macabre chantier. A côté les trottoirs sont bondés de monde. Normal : C’est d’ici que l’usager peut embarquer pour rallier les différentes gares multimodales, implantées en dehors de la ville, nouvellement lancées par la direction des transports. Sur le cas de cette station, cette dernière a vu faux. Les usagers ne profitent d’aucun bien-être, puisqu’ils sont des centaines, vieux, vielles, jeunes et moins jeunes, garçons, filles, dames enceintes… à s’agglutiner debout, le long des trottoirs, dans les deux sens, sous le soleil, et autres averses, en attendant ces trolleys qui ahanent et ne semblent pas passer lorsqu’on les attend. Et pourtant, on les sent bien présents avec ce constant embouteillage qu’ils provoquent à chaque passage, notamment aux heures de pointe. La ville se retrouve ainsi bien plus encombrée qu’elle ne l’était. Particulièrement au niveau de cet arrêt, avec un bus en stationnement de chaque côté de la rue, ajoutés aux engins intervenant dans les chantiers engagés sur cet axe, la circulation semble passer par un entonnoir. Face au flux, le monde a l’air d’évoluer dans un indescriptible brouhaha : Le vacarme des voitures, le bruit de la bétonnière, la poussière qui monte, le soleil qui descend, l’impatience des usagers qui se perd, les trottoirs qui débordent… Une véritable cacophonie ! Et pourtant, il aurait suffi d’envisager ces « travaux » de nuit et le calvaire aurait certainement été atténué. Au moins ça ! Et ça aurait été encore mieux si l’on avait fait appel à des jardiniers et non à des carreleurs et maçons, pour faire revivre un jardin…
Djaffar Chilab.