La hantise de l’integrisme religieux plane sur Tripoli

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Le Guide libyen qui vient de connaître une fin peu honorable ce jeudi, voyait déjà sa fin sanglante dans un recueil de nouvelles qu’il écrivit en 1984 ! Il y voyait que les masses pouvaient se retourner contre le leader en se rappelant les exemples de l’histoire où des héros, autrefois adulés, voire même sanctifiés, eurent à vivre le retour terrible de la manivelle. Les acteurs de revirement de situation sont les masses. « Des masses qui n’ont pas pitié même de leur sauveur », écrivait-il. Fut-ce un simple exercice littéraire développé dans une tente par un chef ennuyé qui se disait le roi des rois d’Afrique, ou, au contraire, un brin de lucidité qui n’a pas eu l’heur d’avoir la vie longue? L’image moyenâgeuse de la scène où Kadahfi s’agitait dans son sang et que les télévisions du monde entier ont passée en boucle tout au long des deux derniers jours ne fait bien sûr honneur à personne. Mais, il n’y a probablement pas de révolution propre où le cours des événements serait réglé comme du papier à musique. La pleutrerie et l’abjection accompagnent et ternissent parfois les idéaux les plus nobles. Après l’indescriptible débandade qui s’est emparée du clan et de la famille Kadhafi, la fin du leader jamahirien est passée comme ‘’une lettre à la poste’’.

Le seul regret de certains dirigeants et roitelets arabes- ‘’adhaâf el iman’’ (le minimum de foi)- serait, dans ce cas de figure, de déplorer que la fin de Kadhafi se déroulât d’une manière aussi avilissante et dégradante. En s’en tenant juste à ce scrupule purement formel, ces souverains- dont l’avenir peut ne pas être différent de celui de l’ancien dictateur libyen- prennent clairement leurs distances de la tragédie du peuple libyen, comme ils l’ont fait pour le drame irakien qui dure depuis des années. Kadhafi était incontestablement un tyran qui, pendant 42 ans, a fait vivre à son peuple les pires moments de son histoire. Il également a exposé son peuple à tous les risques des calculs de la géostratégie mondiale qui n’a pas tardé de se manifester, sous l’emblème de l’OTAN, dès les premiers mouvements de contestation du régime libyen. Cette géostratégie s’appuie sur des enjeux qui ont pour noms : sécurité énergétique, déploiement des entreprises occidentales sur la rive sud de la Méditerranéen dans un moment de crise économique aux dimensions mondiales, et d’autres enjeux aussi stratégiques les uns que les autres. Cependant, beaucoup d’autres dirigeants arabes et musulmans ne sont pas non plus des parangons de démocratie et de bonne gouvernance. Il est à craindre- maintenant que le Rubicon a été franchi avec cette révolution ‘’importée’ qui fait des régimes arabes la risée du monde- que l’audace et la cupidité de l’Occident ne s’arrêtent pas en si bon chemin.

Il ne sera pas alors surprenant que la réaction des peuples soit moins révolutionnaire qu’on a eu la facilité de le penser aux premiers instants de l’insurrection. La mainmise étrangère sur les richesses des pays concernés et le risque de statu quo sur le plan social auront pour conséquence des replis identitaires et des comportements épidermiques qui risquent de faire un appel d’air à l’intégrisme religieux et au terrorisme, sachant que les régions du Maghreb et du Sahel étant depuis les cinq dernières années des cibles privilégiées des rejetons de Ben Laden via l’AQMI. L’ancien leader d’El Qaida a fait des petits sur les ruines de sociétés déjà fortement malmenées et fragilisées par les tyranneaux du 21eme siècle. Le lasso dans lequel a été pris Kadhafi un certain 20 octobre 201, après huit mois d’insurrection populaire et de frappes de l’OTAN, pourrait devenir, si un assaut de remises en cause déchirantes et de lucidité ne vient pas à la rescousse, la hantise de tous les dirigeants qui ont fait le choix de se mettre à dos leurs peuples.

Amar Naït Messaoud

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