Les déboires de la gouvernance locale

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La médiocrité voire les dérives, de certains services publics algériens montrent particulièrement leur face hideuse en cette période d’intempéries, où ni les grandes villes ni les petites bourgades ne sont épargnées par les l’accumulation des eaux sur les artères et les boulevards, les infiltrations pluviales dans plusieurs édifices et bâtiments, et parfois les coulées de boue dévalant des pentes dénudées par la bêtise des hommes.

Après quelques heures de pluie, douze morts ont été enregistrés dans les quelques wilayas où la pluie a été loin d’être une bénédiction, comme elle aurait dû l’être après une sécheresse qui dure depuis juin 2011. L’on sait qu’une grande partie du renchérissement du mouton de l’Aïd est due au manque de fourrage entraîné par cette sécheresse.

En tout cas, les désagréments et les dégâts vécus lors des intempéries ne constituent que le sommet d’une courbe de la déliquescence des services publics, courbe qui ne semble pas s’acheminer actuellement vers une quelconque inflexion. Elle s’inscrit malheureusement dans la durée sur les douze mois de l’année.

Une caricature parue dans un quotidien quelques jours avant les élections locales de 2007 fait dire à un fonctionnaire de l’État, lors d’un accueil froid et embarrassé qu’il a réservé à un citoyen venu pour régler un problème le concernant : « revenez après les élections !». La réalité de la chose décrite n’a pourtant rien de caricatural. Des dizaines de réponses sont formulées in extenso de cette manière à plusieurs occasions, moins déterminantes que les élections. Lorsqu’il ne s’agit pas d’élections, les prétextes ne manquent pas (proximité de fêtes religieuses, congés d’été inspections venues des ministères,…) pour bouter hors du bureau des ronds-de-cuir les indésirables demandeurs d’audience ou de simples personnes cherchant à se faire établir une banale attestation.

Les ennuis et épreuves, pour ne pas dire les sévices, qui affectent la vie des citoyens du fait des négligences, laisser-aller et autres travers liés à l’incompétence des gestionnaires des services publics sont difficiles à sérier tant sont ils sont nombreux et variés. Les coupures d’électricité sont devenues monnaie courante. En hiver comme en été ce ne sont pas les explications qui font défaut : délestages suite à de supposées surconsommations, mauvais temps qui endommage les câbles,…etc. Sachant que cette précieuse énergie conditionne la marche du matériel informatique dont sont dotés tous les services, une panne électrique non réparée dans l’immédiat suppose la paralysie de larges secteurs de la vie publique sans parler des dommages que peuvent subir les appareils électroménagers, les médicaments sensibles et les vaccins. Les systèmes de communication et d’informations se sont largement modernisés particulièrement par l’introduction du moyen de transmission par Internet. La déconnexion des services de la Toile provoque incontestablement des retards, des manques à gagner, voire parfois des pertes fatales pour les entreprises et les particuliers qui ont adapté définitivement leur gestion à ce mode de communication qui s’est popularisé à travers

le monde entier.

Le développement humain en question

Maintenant que l’hiver s’installe, particulièrement dans les zones rurales de montagne, la distribution du gaz butane constitue la grande hantise des foyers. C’est une situation vécue comme un calvaire et qui pénalise lourdement les foyers de la montagne non encore branchés au réseau de gaz de ville. Les attroupements de bambins poussant roulant par terre la bouteille de gaz butane ou poussant laborieusement une brouette chargée de deux bonbonnes vides devant les stations Naftal ou devant le camion desservant le hameau sont des spectacles édifiants du sous-développement de nos services publics en ce début du 3e millénaire.

Même si des projets de raccordement au gaz de ville sont inscrits depuis deux ou trois ans pour certaines communes de la montagne de la wilaya de Tizi Ouzou, les problèmes de foncier rencontrés par les entreprises pour respecter les itinéraires tracés par les bureaux d’études sont devenus un grand casse-tête. La relation tendue entre les APC et les populations ainsi que le légendaire déficit de communication entre eux ne sont pas faits pour établir des compromis au bénéficie de toute la communauté.

L’autre face de la dévalorisation des prestations des services publics est indubitablement celle qui se montre au cours des fêtes religieuses ou nationales lorsque les citoyens en sont réduits à accepter la fatalité d’une absence prolongée de services et fournitures censés être assurés par l’Etat ou par des particuliers.

Au début du mois de novembre, les jours qui ont succédé à la fête de l’Aïd ont donné une image peu glorieuse de l’administration et des services qui lui sont rattachés. Absence de fonctionnaires dans les bureaux, fermeture des pharmacies et boulangeries, manque de transport public,…ont été les quelques ‘’cadeaux’’ de la fête qui furent offerts aux citoyens.

Que peut bien représenter l’appel de l’Union générale des commerçants algériens lorsque l’autorité de l’Etat perd chaque jour de son poids et de sa fermeté ?

Dans les hôpitaux et polycliniques, en dehors de certaines urgences- malades graves ou accidentés- plus ou moins correctement assurées, les patients sont appelés à…patienter devant la désertion des lieux par le personnel médical. L’on s’interroge légitimement sur l’absence de médecins de garde du secteur privé. Pourquoi l’administration, à travers les Directions de la santé des wilayas, n’a pas réfléchi à astreindre ce corps de métier à des gardes pendant les week-ends et les jours fériés au même titre que les pharmaciens ? Où est le rôle des sections ordinales des médecins censées défendre l’éthique et la déontologie ?

Dans les grands débats politiques (à l’APN, au Sénat,…), la notion de service public est rarement abordée sous l’angle de la bonne gouvernance et de la gouvernance locale. Les médias lourds publics n’ont pas la marge de manœuvre nécessaire pour aborder les dysfonctionnements des services publics préjudiciables aux populations. Lorsqu’ils abordent le sujet, avec le retard habituel bien entendu, c’est que le phénomène a généralement a fini par prendre une dimension de catastrophe nationale et même d’affaire d’Etat (grandes inondations de Bab El Oued et de Ghardaïa, par exemple). La seule fenêtre qui reste aux populations, particulièrement de l’Algérie profonde, pour faire porter l’information et les réclamations au niveau des responsables élus ou administratifs c’est la presse écrite. C’est actuellement le seul canal qui s’intéresse à l’information de proximité. Certains organes en font même leur raison d’exister.

Même les campagnes électorales ne constituent guère des tribunes idéales pour le débat sur les services publics locaux. Les candidats-harangueurs aux postes de maires ou de députés sont plus emballés par sujets plus généraux qui ne les engagent pratiquement en rien. Or, la conception de l’État à travers l’administration publique et à travers aussi les mandats confiés aux élus ne peut ni cohérente ni complète si la relation administration/administrés et gouvernants/gouvernés ne se fonde pas sur une prestation satisfaisante de la qualité des services publics, une qualité censée être à la hauteur des moyens et des ambitions du pays en matière de développement et d’indices de développement humains (IDH).

Les conditions d’un nouvel essor

Les investissements consentis par la collectivité nationale au cours des dix dernières années sur le plan des infrastructures de base et des équipements publics supposent des prestations de service diversifiées et de grande qualité. Malheureusement, ce n’est pas souvent le cas. Lorsque les grands barrages sont remplis d’eau et les conduits installées vers les consommateurs en ville ou dans la campagne, le citoyen est censé recevoir l’eau dans le robinet au rythme décidé par l’Algérienne des eaux (ADE). Cependant, de grandes perturbations, qui vont jusqu’à la coupure pendant plusieurs semaines en été affectent la distribution de l’eau potable, sans parler de la potabilité même de cette eau qui, parfois, est remise e cause dans certaines localités. Les fuites d’eau ne se comptent plus. Elles avoisinent 40 % du volume lâché dans les réseaux. Une véritable saignée pour un produit soutenu par l’Etat.

La dégradation des services publics affecte lourdement l’état civil des mairies depuis les deux dernières années. Des chaînes interminables se forment des 6 heures du matin pour un simple extrait de naissance ou une fiche familiale. On en est arrivé à instaurer dans certaines communes le système de jetons qui vous renvoie à la 400e place si vous vous présentez à huit heures du matin devant le guichet. De même, les erreurs qui entachent les documents délivrés par ces services sont devenues monnaie courante, ce qui remet en cause parfois la constitution de tout un dossier administratif urgent et de haute importance.

Pratiquement aucune structure n’est épargnée par les dérives et la faiblesse des prestations de services. Même les établissements scolaires semblent constituer une ‘’proie’’ facile pour des opérateurs indélicats chargés de services ou de fournitures. Ainsi, les approvisionnements des cantines est ce volet de la gestion ou où s’entrechoquent la cupidité immonde de certains fournisseurs sans scrupule, les intérêts opaques d’agents chargés des contrats de fourniture et…la santé des écoliers. Cette dernière constitue apparemment le dernier des soucis de tout ce beau monde.

Ce sont des schémas de régression et de délitement de la gestion des services publics qui se reproduisent un peu partout (environnement, salubrité publique, gestion des parties communes des immeubles,…) et qui donnent une image de médiocrité et de sous-développement que notre pays, de par ses ressources financières, est censé neutraliser et dépasser. La preuve est aujourd’hui faite que l’aisance financière, à elle seule, ne suffit pas à assurer des services publics performants ni à asseoir une bonne gouvernance locale. Une forte volonté politique et des révisions déchirantes dans la culture du service public constituent des conditions sine qua non pour un tel grand dessein.

Amar Naït Messaoud

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