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Hommage à Mohia

C’est aujourd’hui mercredi que seront clôturées les trois journées consacrées à Mohia. L’hommage a débuté pour rappel lundi dernier avec un riche programme qui s’est étalé sur trois jours.

Au cours de l’ouverture officielle de l’hommage, la petite salle de théâtre de la Maison de la culture Mouloud Mammeri, était pleine à craquer. Le public est encore, une fois de plus, au rendez-vous pour partager avec sa famille et ses compagnons de combat, ces moments de retrouvailles pleines de souvenirs et d’émotion. Dans son intervention, le directeur de la maison de la culture, M. Ould Ali El Hadi soulignera : « Cette rencontre regroupe les parents et proches de Mohia. C’est avec un grand plaisir que cette institution qui porte aussi le nom d’un grand homme de la culture, l’éminent chercheur et linguiste, Mouloud Mammeri, abrite cet hommage. Des témoignages faits par des compagnons de Mohia avec lesquels il avait partagé des joies, des déceptions, des douleurs aussi! ». Ould Ali fait remarquer qu’au même moment, des activités se déroulent à Ath Erbah et Larbaâ Nath Irathen. Au volet témoignages, M. Mohamed Loukad remonte à quelques années en arrière pour rappeler : « le pouvoir en place, d’alors, ne nous a pas permis de connaître nos artistes, nos penseurs, nos écrivains et dramaturges. Il leur était difficile de se produire ! » Ceci, en guise d’introduction. Revenant sur la vie et l’oeuvre de Mohia, le témoin, ami et compagnon affirme : « Il travaillait en silence et en retrait. Il n’aimait pas se montrer ». Ses nombreuses qualités font de lui un homme de haute culture. « Il avait réussi à toucher le peuple, tel était son objectif principal : toucher le peuple en s’adressant à lui dans sa langue ». A ce sujet, il est nécessaire de rappeler les citations suivantes qui, aujourd’hui, pourraient servir d’études, de recherches et de sujets philosophiques: « La langue que j’utilise, c’est, tout simplement, la langue des gens auxquels je suis censé m’adresser! » ou : « Si l’on veut être compris par la majorité on ne peut que s’exprimer dans nos langues vernaculaires, c’est-à-dire le berbère ou l’arabe populaire ! » Et là Mohia et Kateb Yacine convergent admirablement. Ils s’accordent tous deux à dire qu' »il faut utiliser la langue du peuple pour s’adresser au peuple ! » Le témoin se réjouit que de nos jours, des gens travaillent pour la promotion de la langue amazigh, mais ne cache pas sa déception : « La promulgation de Tamazight en langue nationale c’est bien, mais son officialisation serait encore mieux ! » Le témoin termine par annoncer l’éventuelle baptisation du centre culturel d’Azazga du nom de Mohia Abdellah. L’autre témoin, Brahim Bentayeb, un ami de jeunesse de Mohia dira : « Nous nous sommes rencontrés, pour la première fois à Alger, grâce à l’Académie berbère, dans les années soixante-dix et depuis nous formions une paire soudée. » Abdellah, Brahim, Momoh et bien d’autres jeunes assoiffés de culture, de leur culture et identité exclues des programmes et des projets nationaux, travaillaient dans la clandestinité. Il rappelle : « Mohia était un excellent mathématicien, un grand lecteur; il relevait des livres dont il avalait les données, les informations qui manquaient ou qui pourraient servir et s’appliquer dans notre pays ! ». Il aborde ensuite le côté traduction et adaptation de Mohia : « La traduction en Tamazight d’une œuvre d’un auteur étranger dépasse l’œuvre originale. C’est par cette traduction qu’il enrichissait notre langue ! ».

La conférence du Dr Saïd Chemakh (Universitaire, Tizi-Ouzou) a trait, justement à ces traductions et adaptations réalisées par Mohia. Le conférencier brosse rapidement les parcours scolaire et universitaire de Mohia mais s’attarde sur le thème du jour. « Mohia traduisait alors en Tamazight : « Morts sans sépulture » de J.P. Sartre, puis avec Momoh Loukad : « la pute respectueuse » du même auteur. En 1974, il adapta « l’exception et la règle », « la décision » (annegaru ad d-yerr tabburt) de Brecht, « le ressuscité » (Mohand ucaâban) du célèbre écrivain chinois Lu Xun, « la jarre » (Tacbaylit) de Pirandello, « Tartuffe » de Molière (Si Partuf), le Médecin malgré lui. « En attendant Godo » de Samuel Beckett (Si Lahlu) et « Am win yettrajun Rebbi », « Sinistri » (la farce du maître Patelin, Les fourberies de Scapin et le « Malade imaginaire » de Molière, ainsi que bien d’autres traductions adaptations qui constituent un trésor indéniable, une référence indispensable à ces jeunes qui veulent poursuivre son combat qui est identique à tout assoiffé de culture et d’identité. « Il était d’une immense connaissance en langue, culture et civilisation universelles ». A propos de ces traductions qu’il adaptait à la réalité algérienne en général et à la Kabylie en particulier, Mohia disait : « En ces termes, je voulais par l’entremise de l’adaptation mesurer les potentialités de notre langue vernaculaire à l’autre des auteurs que j’adaptais! ». C’était grâce justement à ce travail de longue haleine, de recherches soutenues et du choix des termes mesurés : « Que l’adaptation d’auteurs étrangers nous donne le moyen concret de renouveler notre production, de la revivifier ». L’adaptation joue un grand rôle dans des circonstances telles celles de la Kabylie dont la langue n’était pas, alors, langue nationale ».

Arous Touil

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