Par Abdennour Abdesselam:
L’intervention du maître du verbe kabyle, Chikh Mouhand Oulhoucine, relève du domaine de la philosophie, avions-nous déjà précisé. En effet, il concevait que le développement de la langue par la conceptualisation des faits de pensée valait plus que sa simple préservation par l’évocation, le discours de circonstance, ou même l’enfermement sur soi. Pour le Chikh, la langue est un dispositif réfléchi. Il disait : « Imi taqbaylit tettnawal, temmal tassawal, rray degs yettlal … ihi get-as nnuba i wawal. » (Puisque la langue kabyle est productrice, discernante et communicante, vivante et vivace … alors, prenez-en soin particulièrement) Il n’est pas un hasard ici, que l’intervention du Chikh commence par la conjonction « imi » (puisque). Cette conjonction, en la circonstance de son utilisation, suggère une succession d’arguments qui déclament que la langue kabyle n’est pas simple phonation ou simple curiosité de l’esprit. Pour le Chikh, elle est un instrument de libération de la pensée et, partant de là un apprentissage à développer. Le texte de l’intervention ci-dessus présente une structure propre au classique du discours direct. Il y a une introduction, un développement et une conclusion. La locution « ihi» (donc) est absolue. Il n’y a pas d’autres éléments par lesquels on s’apprête à annoncer une conclusion franche. En kabyle, une conclusion ne s’accorde pas avec les nuances qui installent le doute et les conflits dans le raisonnement. La formule consacrée dit : Taqbaylit tegzem (la langue kabyle est une langue de précision.) Tous les arguments, ainsi décomposés, ayant suivi la conjonction « imi », sont happés par la seconde « ihi », qui induit la synthèse: « get-as nnuba i wawal », awal, signifiant ici le verbe au sens de promotion de la langue et Mammeri de dire, dans la revue « Awal », que «la civilisation berbère, en général, et kabyle, en particulier, est une civilisation du verbe » (l’sas n teqbaylit d awal). Ainsi, les vers de nos penseurs sont magiques et les mots qui les composent sont aussi simples qu’étranges, et l’étrangeté est annonciatrice de création qui pourvoit la langue en éléments nouveaux.
A. A. (kocilnour@yahoo.fr)
