Par Abdennour Abdesselam :
Il est une tradition en Kabylie qui veut que durant toute cueillette, quel que soit le produit et la saison, on prenne soin de laisser la part des animaux. L’attitude dépasse la simple tradition dans la mesure où cela traite du principe de la protection de la nature et de l’environnement, devenue aujourd’hui une préoccupation mondiale majeure. Un jour qu’il se rendait dans le verger jouxtant sa maison, le Chikh remarqua Akli Iguenaten, le jardinier et homme à tout faire, en train de cueillir du raisin typiquement du pays kabyle appelé : Hmar bu âmar, en prenant soin de ne pas rater la moindre petite grappe. Une fois arrivé près de lui, il lui dira : pourquoi cueilles-tu jusqu’au dernier grain? Akli répond : les oiseaux risquent de tout manger. C’est alors que Chikh Mohand dira: «Âuhdegh Rebbi ar win ur nedji tirect i ziwci, negh i uzirdi, yelha-d kan deg wutchi, a ddunit-is akw d aghidhi, ur t-yetchur d irebbi» (Je jure par Dieu quiconque privera de sa part l’oiseau (pour animaux volants) ou celle de la mangouste (pour animaux au sol) et ne se souciera que de manger, sera rongé par les remords et ne fera point de grande récolte). Nous ne savons pas exactement à quand remonte cette pratique traditionnelle de parts réservées aux animaux. Mais nous savons précisément que Chikh Mohand a, à plusieurs reprises, rendu grâce à la nature. L’homme des montagnes du Djurdjura a possédé de petits troupeaux de moutons ou de chèvres. Rares étaient ceux qui avaient une vache ou deux, mais presque tout le monde avait un âne pour le transport des divers besoins en bois, fourrage, eau, pierre de construction, argile etc. Cet animal a été un précieux compagnon. Le Chikh recommandait un usage raisonnable de cette bête de somme. Il dira: «Yerra-yagh lzam ar lmal agugam» (nous devons prendre soin des animaux sans parole). Il dira à propos de la terre : «Akal, ur tettdhurru, ur tettghullu» (N’exploitez pas la terre avec excès et ne la privez de rien (entendre reboisement, semences etc…). Il est démontré scientifiquement aujourd’hui que la terre travaillée excessivement doit être temporairement mise en jachère. L’exploitation alternée de la terre est aussi une forme de protection de la nature. Malgré l’insuffisance des espaces agraires, les Kabyles observaientt une pratique alternée de la terre.
A. A. ([email protected])