Par-delà les ‘’corrections’‘ apportées par le Conseil constitutionnel, via l’examen des recours présentés par les partis ayant participé au scrutin législatif du 10 mai 2012, la composition de l’Assemblée populaire nationale est restée la même. Les changements n’ont concerné que quelques sièges; ils ont bénéficié principalement au FFS et au PT. Dans cette nouvelle étape de ce qui est convenu d’appeler le “renforcement du processus démocratique», la participation citoyenne se met sans doute au même degré d’intérêt que les couleurs et le spectre politiques de la nouvelle Assemblée, sinon plus. Et pour cause; la culture de la participation a été longtemps mise entre parenthèses : trois décennies de parti unique où l’administration et les kasmas du FLN ont voté à la place des citoyens, et presque deux décennies où le terrorisme islamiste a évacué l’action politique au profit d’un positionnement douloureux de partis en réconciliateurs et éradicateurs. Ce sont, en grande partie, ces moments de perte de repères, d’indécision, d’alliances forcées et de démobilisation qui viennent aujourd’hui, par effet retard, jeter encore de la brume sur certaines formations politiques qui ne savent pas s’il faut se réjouir ou paniquer devant les résultats des législatives. Le syndrome qui a touché le FFS -entre la nécessité que ressent son président de faire régner la discipline partisane et le besoin d’autonomie et d’expression libre dont ont usé certains de ses éléments -fait partie de ces turbulences qui accompagnent la recomposition du champ politique national. Il est clair que, dans un processus politique complexe comme celui que vit l’Algérie -auquel s’adjoint une longue transition économique prise en otage par la rente et l’informel-, il n’y a certainement pas de situation idéale qui agréerait à toutes les parties.
Ce sont des pas et des avancées qu’il y a lieu de consolider et de prolonger par d’autres acquis. Indubitablement, les élections législatives du 10 mai dernier -ayant consacré l’option d’abstention comme un des modes préférés d’expression politique des Algériens- ne permettent pas d’entrevoir tout de suite une «révolution mentale» qui changerait fondamentalement les données de la sociologie électorale. De même, le forcing des pouvoirs publics -lesquels ont convoqué bans et arrière-bans pour attirer la population sur le terrain électoral- et les opérations de charme des partis politiques visant le même objectif, ont eu des effets mitigés. On peut, évidemment, se vanter d’avoir dépassé le taux de participation de 2007 dans une conjoncture où l’on appréhendait une totale désaffection des citoyens pour l’acte de vote. Maintenant, après l’installation, hier, de l’Assemblée populaire nationale, une situation de ‘’fait accompli’‘ s’est dessinée pour ceux qui, mauvais perdants, ont décidé de boycotter l’APN et de…constituer un parlement parallèle. Les soubresauts et incidences des élections du 10 mai relèvent parfois de l’irrationnel. Comment se fait-il que, des partis qui n’ont presque aucun ancrage social ni un quelconque fonds culturel, y compris dans les régions où ils ont pris naissance, s’arrogent le droit de remettre en cause l’institution parlementaire? Si le bon sens n’arrive pas à prévaloir dans leur camp, ils risquent de se décrédibiliser davantage et surtout de plonger dans les abysses du ridicule. La mécanique institutionnelle étant mise en marche, il importe maintenant de savoir comment la nouvelle APN, et à la lumière des grands bouleversements qui affectent le monde, la région arabe et l’Algérie, va participer à la gestion de la cité et à la prise en charge des affaires publiques. Le pluralisme politique formel ne suffit certainement pas à insuffler un nouvel esprit dans la conduite des affaires de la vie publique liée à la gestion de l’espace et des infrastructures, à la gestion de proximité supposant la participation démocratique des citoyens, et à la promotion d’un cadre de vie où le milieu et les ressources seraient rationnellement managés pour le bien de l’individu et de la communauté ? Entre les beaux idéaux de la Constitution actuelle et de celle à venir, d’une part, et les pratiques réelles de l’administration et des élus, il y a malheureusement un grand hiatus fait d’inculture, d’un déficit de maturité des organisations de la société civile, de rente, de climat délétère des affaires, d’incompétence et de navigation à vue. À tous les niveaux de responsabilité les déficits accumulés en matière de mérite, de compétence managériale et de sens de la prospective se sont ligués dans une fatale conjuration pour freiner et compromettre les sains élans de la jeunesse algérienne tendus vers une vie plus décente dans un pays aux atouts qui ne se démentent pas.
La nouvelle Assemblée nationale s’attellera à la révision constitutionnelle. Cela fait partie de l’agenda des réformes politiques fixé par le président de la République depuis avril 2011. Cependant, comment faire pour que cette procédure ne soit pas une fin en soi.
Car, le citoyen a acquis la conviction que, malgré tous les textes réglementaires (Constitution, lois, décrets, arrêtés,…), votés par le peuple ou élaborés par les pouvoirs publics, la seule “Constitution” en vigueur est celle clientélisme, du népotisme et des disparités sociales. Comme l’Algérie dispose d’une puissante économie parallèle qui prend en chasse le peu d’économie structurée, elle dispose malheureusement aussi de textes de loi qui sont souvent doublés, contournés, violés, contorsionnés et malmenés pour consacrer des droits indus, des situations imméritées et des statuts factices. C’est à l’aune des réparations qu’elle aura à faire à ce genre de distorsions et d’errements que, en grande partie, la nouvelle APN sera évaluée et jugée.
Amar Naït Messaoud