Par Abdennour Abdesselam:
La rencontre entre Chikh Mohand et Ssi Mouhend Oumhend a eu lieu une seule fois et au cours de laquelle les deux imoussnawen se sont donnés la réplique dans un verbe magique. J’ai repris dans mon ouvrage «Chikh Mohand Amoussnaw ou la renaissance de la pensée kabyle», disponible en librairies, la version rapportée par Mouloud Mammeri dans son ouvrage : «Inna-yas Ccix Mohend». Nous pouvons considérer la rencontre comme étant un haut fait de la littérature kabyle orale qui a réuni deux grands génies par la parole. Le premier a travaillé à la pensée et le deuxième à la poésie. Il est certes difficile de tracer une frontière entre les deux domaines de connaissance en ce sens que la distance est réduite. Leur point commun a été leur mise à disposition au service de la société. Ils ont été l’un et l’autre le miroir de celle-ci. Durant près de quarante années, les deux grandes expériences incarnées par ces deux hommes, ont agi différemment sur la langue. La rencontre a eu lieu au cours de l’année 1901, soit quelques mois avant la disparition du Chikh. La répartie qu’ils se sont alors donnés, dans un respect mutuel extraordinaire, a poussé encore plus loin les possibilités de création et de profondeur du verbe kabyle. Celui d’entre eux qui a le plus parlé fut Ssi Mouhand Oumhend. Chikh Mohand s’est contenté de lui poser quelques questions d’apparence simplistes, mais Ssi Mouhand en tirait le plus grand prétexte pour déclamer. En réalité Chikh Mohand est apparu dans cette rencontre plutôt par l’attitude hautement admiratrice et respectueuse qu’il avait de son hôte connu pour avoir été aussi le poète des adolescents chantant l’amour. Comment alors deux personnages, Chikh Mohand et Ssi Mouhand, aussi distants l’un de l’autre par certains aspects de leurs missions dans le groupe social kabyle, pouvaient se rencontrer, se côtoyer, se regarder face à face et s’admirer mutuellement. Dans «Un poète algérien, Ssi Mouhand Oumhand», Mammeri disait : «On parle présentement de «poètes maudits» et il peut-être tentant de compter Mouhand parmi eux. Rien ne serait plus faux. On considérait que le don de la poésie exemptait le poète des conventions convenues, que ce qui chez un autre serait dépravation peut être chez lui condition de création, voir simplement d’existence…». A ce titre, le rôle social joué par Ssi Mouhand avait été mesuré à sa haute et juste mesure par un Chikh Mohand qui conciliait la vie sous tous ses aspects. Nous donnerons une suite de publication de la rencontre marquée par une répartie poétique dans nos prochaines éditions.
A. A. (kocilnour@yahoo.fr)
