Il est des ouvrages qui marquent les esprits et qui auraient grand mérite d’être médiatisés dans l’intérêt d’un public avide de lecture. A l’exemple du premier livre de Saïd Sebkhi, un jeune auteur qui vient de publier aux éditions Azur, un roman intitulé L’Oléastre. Cette œuvre littéraire relate dans les détails, la vie des villageois de Tasga dans les années 1950. Dès les premières pages, le lecteur est aussitôt capté puis plongé dans un univers typiquement kabyle où s’entremêlent divers sentiments. L’histoire est basée essentiellement sur deux familles : les Ath El Hadj et les Ath Amar et plus précisément sur leurs enfants respectifs, à avoir Mohand et Salah. Ce dernier dès son plus âge, convoitait la belle Taous, mais celle-ci était déjà promise à Mohand Ath El Hadj. D’où le redoutable serment de Salah, qui deviendra plus tard “Si Salah” et qui déclara : “… Je jure devant Dieu que je n’aurai plus de repos jusqu’au jour où je l’aurai tué et rendu cette fille mienne.” Une promesse qui prendra des années avant de se réaliser à moitié.Toutefois, la perfidie ainsi que la jalousie de Si Salah, devenu cheikh, ne cessera d’augmenter durant toute cette saga. Une saga qui également décrit avec véhémence les relations extraconjugales de femmes et d’hommes jouant des rôles importants dans la vie des jeunes antagonistes. A l’instar de Mouloud Feraoun dans Les Chemins qui montent, et toujours avec des mots simples, l’auteur a su peindre des scènes qui frôlent l’érotisme et les amours interdites de l’époque, pourtant le lecteur qui se retrouve plongé dans ce monde demeurera attentif, page après page et chapitre après chapitres, au dénouement de cette intrigue, au gré des manigances et des conspirations de Si Salah. Un conspirateur qui usa de sortilège pour jeter un mauvais sort à son ennemi juré en rendant celui-ci impuissant. De cette maladie, Mohand enfreindra secrètement avec sa famille des illusions de guérison et sa pauvre mère ira jusqu’à sacrifier son honneur pour sauver son fils de ce qui était considéré comme étant une tare aux yeux du village, et où le moindre détail ou embarras familial alimentait la conversation des villageois à Tadjmaït. L’ensemble de ces épisodes qui constituent le roman, emmène le lecteur dans une atmosphère alternée de joie, de compassion et de tristesse. De l’amour à la haine, en passant par la trahison et l’adultère, jusqu’à comploter un meurtre à l’encontre de sa propre femme, le triste personnage qu’est Si Salah, pourtant vénéré comme un cheikh qu’il est, au vu de cette fonction qu’il assume au sein de la mosquée du village, sont autant de sentiments qui construisent et qui détruisent, marquant ainsi le quotidien des villageois de Tasga, des années 50 jusqu’à la fin de la guerre de Libération nationale. Une guerre qui, comme toutes les guerres connaît ses héros et ses traîtres mais dont l’auteur relate avec soin les petits détails historiques qui font que les traîtres deviennent malgré eux des héros. A l’image des Aventures de Huckleberry Finn et de Tom Swayer” la très célèbre œuvre de Mark Twain, le roman de Saïd Sebkhi submerge le lecteur qui se retrouve dans une Kabylie vulnérable, où la description remarquable des us et coutumes d’une société avant, pendant et après l’Indépendance, fait découvrir ou redécouvrir les faces cachées d’une véritable Kabylie, mise à nue dans sa complexité, sans aucun tabou.
Hafidh B.
L’auteurSaïd Sebkhi est né en 1955 à Semaoun, petit village de la commune de Chemini, à quelques kilomètres de Sidi Aïch. Marié et père de quatre enfants, cet ingénieur en maintenance que rien ne prédestinait à l’écriture s’est pourtant appliqué à retracer dans son œuvre les multiples facettes d’une Kabylie qui l’a vue naître. Sans pour autant dire que son roman est le reflet d’une réalité oubliée, il compare pourtant Semaoun à un village “… qui ressemble géographiquement à s’y méprendre à Tasga…” De même, l’auteur connaît à peu de chose près, le même parcours scolaire que le petit Mohand Ath El Hadj, un des personnages clé de L’Oléastre, notamment à l’école primaire de Tifrit, village natal du défunt Mohamed Haroun, où enseignait son père. Après une scolarité qui s’est effectuée “cahin-caha”, Saïd Sebkhi obtient en 1973 un CAP en chaudronnerie soudure, appelé pompeusement dans le jargon de l’époque “construction métallique”, mais qui signifie tout simplement “forgeron”. Ainsi même si l’auteur s’identifie au jeune Mohand, dès les premières pages du roman car ayant entamé tous deux leur scolarité tardivement et plus précisément à l’âge de 9 ans, force est de constater que l’œuvre de Saïd Sebkhi demeure une pure fiction qui tire cependant son essence de la réalité où tout Kabyle, autre que lui, pourrait retrouver une part de son vécu. L’ensemble des faits historiques dont s’est inspiré l’auteur pour “mijoter” son œuvre est d’autant plus réussi car le lecteur aura l’agréable sensation de se retrouver dans un monde inconnu, dont pourtant il reconnaîtra inéluctablement la société kabyle dans toutes ses facettes.
