De la rencontre de Chikh Mohand Oulhoucine avec Ssi Mouhand Oumhand

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Par Abdennour Abdesselam :

Le Chikh attendait que le poète composa mais de n’avoir pas consommé ses stupéfiants Ssi Mouhand resta muet. Mhend Ouaba se penche vers Chikh Mohand et lui dit : “Maître, pour que ssi Mouhand puise composer, il lui faut quelques prétextes connus de lui seul”. Le Chikh savait naturellement de quoi il s’agissait. Il savait que Ssi Mouhand avait d’abord le fort besoin de consommer son absinthe pour qu’enfin lui vienne l’inspiration. De l’avoir autorisé à en consommer montre combien Chikh Mohand accordait un grand respect à la différence. Il était respectueux de la liberté des uns et des autres. Auparavant, et par respect au maître du verbe kabyle, Ssi Mouhand avait caché ses stupéfiants dans une lentisque sur les hauteurs de Boukenfou. Il proposa d’aller les chercher. Chikh Mohand admiratif du poète errant ne l’a pas laissé remonter la côte. Il enverra un de ses disciples chercher les produits. Lorsque celui-ci revint, et contre toute attente, il prend soin de les remettre directement au Chikh qui à son tour les remet au poète en lui disant dans cette composition en guise d’introduction : «Ay asebsi bbwexlendj ; abbu-k yettnawal awal ; ulamma inijel s usennan; maâna yedjadja-d tizwal; a lbaz izedghen tignaw ; yal wa anida s-tmal.» (fumeur de pipe de bruyère et dont la fumée fait jaillir en toi les vers, bien que les ronces soient armées d’épines elles produisent tout de même des mûres, ô Dieu habitant les cieux à chacun ses faits). On remarque ici que Chikh Mohand aborde le poète directement par une métaphore précédée du vocatif « ay ». Il le nomme : « ay asebsi bbwexlendj » (fumeur de pipe de bruyère). Cette comparaison analogique et volontaire que le Chikh installe entre le poète et la pipe de bruyère qu’il substitue à son nom est destinée à signaler la dépendance euphorisante de Ssi Mouhand aux stupéfiants, seuls alors capables de provoquer en lui une poussée intérieure mais tout aussi féconde cependant. Ainsi donc, pour que cette image de dépendance et des effets qu’elle produit sur le poète aboutisse, le nom du poète est habilement remplacé par Chikh Mohand au moyen d’une métaphore. Dans «yal wa anida s-tmal» Chikh Mohand ne fait pas allusion au destin préalablement et habituellement arrêté pour chacun. Pour le sujet, le mot «mektoub» est absent dans le vers. Il utilise plutôt le mot «tmal» qui signifie épanchement volontaire de soi. Nous avons déjà annoncé dans nos précédentes chroniques que Chikh Mohand considère que l’homme est seul responsable de ses faits et gestes. Aucun autre prétexte invoqué pour tenter de justifier des actes inconvenants ne peut être «endossé» à Dieu. Par pudeur, Ssi Mouhand se retire derrière un mur pour fumer à grandes bouffées. (à suivre)

A. A. ([email protected])

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