Mythe et valeur d'usage

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Par Amar Naït Messaoud :

L’euphorie qui a légitimement gagné les foyers algériens où on compte un bachelier sera, comme chaque année, appelée à évoluer en une éreintante recherche à placer le récipiendaire dans l’enseignement universitaire. L’éventail, apparemment étendu, des spécialités et des filières qui sont offertes au futur étudiant recèle des incohérences et des paradoxes qui disent pour nous tout le malaise qui prend dans ses tenailles le système éducatif et l’enseignement universitaire dans notre pays. En effet, dans quelques jours, les opérations d’inscription vont commencer, et, avec elles, les multiples interventions des parents pour tenter de faire valoir le choix inscrit dans la fiche de vœux. Réellement, il y a un double problème: comment accéder au premier choix fixé dans la fiche, et, puis vers quel établissement universitaire va être affecté l’étudiant? Si, en théorie, la carte universitaire établit une relation étroite entre ces deux paramètres, les pratiques finissent souvent par tordre le cou à cette logique. En tout état de cause, la valeur  »mythique » du baccalauréat a beaucoup perdu de son faste d’antan. L’idée des métiers socialement valorisés et professionnellement valorisants n’a presque plus cours. Les spécialités qui sont censées ouvrir les horizons à des métiers libéraux, droit, médecine, architecture&hellip,; ont été gagnées par la crise du monde du travail et de l’économie. En effet, les évolutions, naturelles ou forcées, de l’économie et de la société le sérieux passif, dont on déplore le fait qu’il soit toujours (actif !), d’une gestion rentière de l’économie algérienne ont dissout et dilué bien des valeurs, si bien que l’exercice d’une activité relevant de l’économie parallèle, y compris le commerce illicite sur la voie publique, peut facilement porter ombrage au poste de médecin ou d’enseignant universitaire dans la fonction publique. Devant de telles réalités, que l’élève de lycée a déjà plus ou moins intériorisées tant elles constituent le décor journalier de la vie en société l’enthousiasme pour l’Université a beaucoup de risques de s’essouffler dès le dépassement de l’étape de la jubilation ayant suivi l’annonce des résultats du Bac. C’est là un constat qui, dans la situation actuelle de l’Université amène son lot d’interrogations et d’angoisses. L’idée qui, trop promptement risque de brouiller les calculs, est celle qui consiste à penser que le taux de réussite au baccalauréat reflète le succès du système d’enseignement. Il n’y a sans doute pas, en la matière, d’indice plus discutable que ce fameux taux qui, au cours de ces dernières années, a été porté à une moyenne de 58 à 63 %. En tout cas, il est loin de constituer un référentiel, et les responsables de l’Éducation nationale le savent mieux que quiconque, même si, dans leurs déclarations officielles, ils s’en tiennent à l’obligation politique de  »vendre » la joie et l’optimisme. Mais, c’est un leurre. Tous les autres indices, en dehors du taux de réussite au Bac, le disent et le crient puissamment. Les milliers de diplômés de l’Université injectés dans le dispositif du pré emploi depuis des années sont là pour dire l’échec de la formation universitaire. Les débouchés de l’économie nationale ne permettent pas d’absorber ces « contingents » primo demandeurs, leur niveau même leur donne peu de chances de s’insérer dans des entreprises privées ou étrangères installées en Algérie, entreprises qui sont exigeantes sur le plan de la qualification et du rendement, contrairement aux structures publiques (administration ou EPE). On oublie souvent que la valeur du baccalauréat est étroitement liée à la qualité et au niveau de l’enseignement dispensé non seulement au lycée, mais aussi au collège et à l’école primaire. Ce sont des maillons solidaires d’une chaîne, une succession et une accumulation pédagogiques qui confèrent sens, poids et valeur à l’examen du baccalauréat. Débattre de l’importance et de la valeur stratégique de l’examen du baccalauréat suppose de passer sérieusement en revue et au peigne fin les programmes d’enseignement et les pratiques pédagogiques qui prévalent sur le long processus de la scolarité Sur un autre plan, le constat du recul du niveau scolaire et universitaire a dépassé les simples limites du pays. Il a eu des échos défavorables au sein des instances internationales au moment même où certains cadres universitaires algériens, ayant fourni des efforts exceptionnels, se sont imposés dans les pays occidentaux (Europe, Canada, États-Unis) où ils se sont rendus à la recherche d’un travail. Les réformes dont les responsables de l’Éducation ont gavé l’opinion publique tardent à venir. Les recommandations de la commission Benzaghou, installée au début des années 2000 dans le but de faire procéder à des réformes profondes de l’École algérienne, ont été allègrement ignorées. L’école privée continue à être culpabilisée à chaque fois qu’elle essaye d’innover et de se mettre au diapason des grands défis mondiaux en la matière. Quand cette politique de l’autruche prendra-t-elle fin? Les défis économiques, technologiques et sociaux qui se posent dès aujourd’hui à l’Algérie exigent pourtant une autre voie, une autre vision salutaire qui puisse nous libérer de la camisole de la rente, de l’assistanat et du sous-développement.

A. N. M.

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