« Ceux qui devaient incarner l’essor démocratique se sont reniés »

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La Dépêche de Kabylie : Vous êtes considéré comme l’un des principaux initiateurs du mouvement de fronde qui affecte le FFS. Comment définissez-vous cette fronde ?

Samir Bouakouir : Ce qui se passe au FFS n’est ni une fronde ni une dissidence, comme on en a connu par le passé, encore moins un mouvement d’humeur passager en rapport avec la confection, contestable au demeurant, des listes électorales. Le FFS se trouve, aujourd’hui, à un tournant politique historique. La fracture est politique et stratégique. Elle se situe non pas, comme cela est souvent mis en évidence chez les analystes et commentateurs, entre partisans de la participation et ceux qui ont boycotté le scrutin du 10 mai, mais entre ceux qui demeurent attachés aux principes et aux valeurs du parti et ceux qui n’ont pas hésité à les piétiner.

Entre ceux qui militent pour une ligne de rupture démocratique et une direction embourbée dans les terrains marécageux d’un système dont elle avait cru percevoir, notamment au niveau officiel, des signaux positifs quant à une imminente ouverture démocratique. C’est du moins ce qu’elle a laissé entendre à ceux qui ont osé l’interpeller.

À ce jour, les observateurs et la base militante sont dans l’attente de ces fameuses grandes décisions « révolutionnaires ». Assemblée constituante ? Dissolution de la police politique ? Dans une récente déclaration, la direction du FFS exprimait son impatience. Je dirai pour ma part, son désarroi.

En réalité, il n’y a aucun signe manifeste qui laisserait apparaître une quelconque volonté, au plus haut sommet du pouvoir, d’engager le pays dans une transition démocratique. Comment, sinon, expliquer ce brusque revirement stratégique opéré il y a de cela un an, quand on sait que les pseudo réformes politiques, engagées l’année dernière, ont abouti à des lois répressives et liberticides ? Mystère ! Certains vont même jusqu’à évoquer un deal autour de Hamrouche, dans la perspective de la succession de Bouteflika en 2014.

On est dans l’opacité la plus totale. Je tiens à rappeler et à souligner fortement qu’il a toujours été dans les traditions politiques du FFS de refuser les arrangements d’appareils et les marchandages secrets. Une disponibilité au changement doit se jauger, précisément, à l’aune de mesures politiques concrètes permettant une ouverture politique et médiatique et la consécration du libre exercice des droits politiques fondamentaux, dont le droit de manifester.

Pour être clair, en ce qui me concerne, ce n’est pas tant la participation au scrutin du 10 mai qui posait problème. Je l’ai appuyée et défendue jusqu’au bout, avec la force de l’argument, car elle me semblait être une excellente opportunité pour remobiliser la population et réhabiliter le débat politique. Elle ne posait pas problème tant qu’elle demeurait tactique. Mais, comme j’ai eu à le découvrir durant la campagne électorale, c’est la conséquence d’un deal avec le pouvoir.

Pour être transparent vis-à-vis de l’opinion publique, je dois avouer que j’ignorais tout du rapprochement entrepris sous l’instigation du chef de cabinet du Président, et de ses deux conseillers que sont l’ancien ministre, Mohand Amokrane Cherifi, et Salima Ghezali. Je tiens, aujourd’hui, à dire clairement que mon élimination, la veille du scrutin, sur instruction soutenue de l’intérieur de la direction, était liée au fait qu’en aucune manière, je n’aurais cautionné ce que j’appelle une compromission.

Mais comment expliquez-vous le comportement de l’électeur algérien lors de ces dernières législatives ?

La désaffection populaire à l’égard du scrutin du 10 mai est liée à plusieurs facteurs. En premier lieu, dans la perception qu’ont nos compatriotes d’une « classe politique », totalement domestiquée et davantage tournée vers le pouvoir, certains pour les profits qu’ils espèrent engranger, d’autres pour continuer, dans l’impunité, à faire fructifier leurs « affaires » et les trafics de tous genres, assurés de l’immunité parlementaire.

En Algérie, nous n’avons pas affaire à des partis au sens ou la science politique l’entend, reflets des contradictions de classes, mais à des « Sociétés Anonymes » basées sur des liens d’intérêts familiaux, tribaux et régionalistes. Nous sommes dans l’infra politique ! Deuxièmement, l’hyper concentration des pouvoirs entre les mains du chef de l’Etat fait du «Parlement» une simple chambre d’enregistrement. Il est donc clair que le climat général du pays n’est pas favorable au politique et à la politique.

La crédibilité dont jouit le FFS et son mot d’ordre de « ni Etat policier ni République intégriste » aurait pu, ou dû, trouver un écho favorable, mais sa faiblesse structurelle, dont j’avoue n’avoir pas mesuré l’importance, se dissimulant derrière la légitimité de son président, n’a pas permis d’atteindre l’objectif fixé par la participation. Bien au contraire, le statut quo a été renforcé pour aboutir à une impasse intégrale.

Une ligne de fracture s’est nettement dessinée entre la direction du parti et les cadres et militants frondeurs. Comment comptez-vous éviter au parti une implosion ?

La question de l’autonomie politique est fondamentale. Il faut, en effet, une sacrée dose de courage politique et une rigueur morale et intellectuelle à toute épreuve pour résister aux chants des sirènes d’un système qui, grâce à la rente, a élargi les circuits de la corruption pour la généraliser. Un parti comme le FFS posait de sérieux problèmes au pouvoir, car il a toujours su résister aux tentatives de « normalisation ».

J’espère, et c’est le souhait de tous les militants et cadres du FFS, et plus largement de l’ensemble des démocrates patriotes, que Hocine Ait Ahmed dispose de suffisamment de ressources pour sortir de ce piège et mettre fin à la dérive politique de l’appareil.

Dans l’hypothèse où la direction du parti refuse tout compromis avec votre mouvement, jusqu’où la fronde peut-elle aller ?

Cette dynamique du rassemblement initiée devra se poursuivre et s’élargir aux jeunes, aux intellectuels, aux syndicalistes, aux acteurs de l’économie productive et créatrice de richesses, aux femmes, aux médias et aux artistes, qui récusent la fatalité et qui résistent avec dignité et courage. C’est une œuvre difficile et semée d’embûches, mais c’est la seule voie de salut pour notre pays.

Nous devons, au préalable, tirer les leçons de l’échec du mouvement démocratique, des reniements successifs et des errements stratégiques de ceux qui ont ambitionné de l’incarner. J’ai bon espoir quand je vois ces jeunes déterminés à se battre et à affronter un système, son appareil judiciaire et répressif.

La vitalité politique du mouvement démocratique dépendra du renouvellent de son leadership et l’émergence de nouvelles élites, fortes de l’expérience démocratique avortée, et qui auront à cœur de porter les valeurs démocratiques au cœur de la société. Il faut sortir des logiques d’appareils qui ont stérilisé le débat et provoqué le désengagement citoyen.

Il faut faire preuve d’imagination pour réinventer de nouvelles formes de lutte et d’organisation, promouvoir la culture démocratique en bannissant les comportements autoritaires et sexistes, en opposant l’argument à l’insulte et à l’invective.

Entretien réalisé par oucef Benzatat

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